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pour sa proposition, et il eut quelque surprise du calme avec lequel elle fut accueillie.

Toujours est-il que, sur ce point, l'œuvre de la Conférence de La Haye fut rigoureusement nulle. -On ne saurait attacher quelque importance à l'interdiction, pour une durée de cinq ans, de lancer des projectiles du haut des ballons, et autres interdictions de ce genre que quelques Puissances acceptèrent.

Cependant la proposition du Tsar tendant à faire cesser la Paix armée traduisait un mouvement d'opinion! Ce mouvement d'opinion est-il donc déraisonnable?

Il est tout au moins directement contraire aux

fondements historiques des États modernes et aux conditions actuelles de leur développement.

I

Les nations armées

Couramment on attribue à la France et à l'Allemagne la responsabilité des nations armées, dont la conception serait une conséquence directe de la guerre de 1870 entre les deux États.

Cela est vrai d'une certaine manière. Mais ce n'est pas toute la vérité. L'idée de nation armée a de plus lointaines origines que la guerre de 1870. Il faut remonter jusqu'à la Révolution française pour en trouver la naissance. Et c'est en grande partie parce que la Révolution a fait la nation armée qu'on peut lui attribuer la responsabilité des États modernes.

Les armées révolutionnaires

Sur les volontaires de la Révolution, il s'est formé une légende qui a longtemps servi à l'éducation patriotique et guerrière. On dit même encore aujourd'hui, souvent, malgré les dénégations des historiens, que les soldats de la Révolution trouvèrent dans leur seule ardeur patriotique la force de vaincre l'Europe.

On comprend fort bien que cette légende se soit formée, elle est flatteuse, mais elle donne de la

nation armée une idée fausse. L'histoire est moins poétique que la légende.

Certes, il y eut un grand élan patriotique parmi les volontaires de 1791. Mais les bataillons s'organisèrent difficilement. Certains même ne se formèrent jamais. Et les premiers contacts avec l'ennemi furent désastreux les généraux déclarèrent tout net que les bataillons de volontaires étaient inutilisables; les troupes de ligne, les troupes cidevant royales, seules, valaient quelque chose, quoique leur patriotisme fut suspecté.

Quand, en 1792, l'Assemblée déclara «< la Patrie en danger », il y eut à nouveau un grand élan. Mais si les volontaires acceptaient de mourir pour la Patrie, ils refusaient de manger d'autre pain que du pain blanc, ils ne voulaient point camper, et ils n'entendaient marcher que quand ils le jugeaient bon. II fallut prendre des mesures de rigueur. Peu à peu cependant les volontaires se disciplinèrent, et, grâce aux troupes de ligne qui avaient été renforcées, réorganisées, Valmy fut une victoire.

Mais les volontaires, d'après les décrets qui les avaient appelés, pouvaient rentrer chez eux une fois la campagne terminée, et bientôt le ministre de la guerre ne sait plus, alors que la Patrie n'est point hors de danger, de combien de bataillons il dispose et où ils se trouvent. La Convention se décide alors à organiser vraiment l'armée. Elle efface toute distinction entre troupes de ligne et bataillons de volontaires; elle décide que tous les célibataires et

veufs sans enfants de 18 à 40 ans sont mis en état de réquisition permanente jusqu'à ce que soient obtenus les effectifs nécessaires; elle fait l'amalgame enfin, elle mélange les soldats des troupes de ligne et les volontaires. Il était temps.

Si les armées révolutionnaires furent victorieuses, si elles bouleversèrent l'Europe, si elles fournirent à Napoléon les moyens de se tailler un Empire gigantesque, de faire et de défaire des États, ce ne fut donc pas uniquement, comme le veut la légende, à cause des sentiments patriotiques qui les animaient. Les farouches orateurs de club et tous les hommes qui s'emparaient d'une parcelle d'autorité publique, avaient excité chez les jeunes gens l'ardeur belliqueuse, d'autant plus facilement que la vie était dure; et il y avait un mouvement national. Mais on commet une erreur historique quand on veut voir dans la « nation armée » la nation dont tous les citoyens se soulèvent d'un seul élan pour défendre le sol, maintenir le droit national ou acquérir quelque droit nouveau. Pour pénétrer le secret des victoires guerrières, il faut tenir compte avant tout de l'organisation des forces militaires dont disposent les généraux. Comment étaient faites les armées révolutionnaires, voilà ce qu'il faut premièrement connaître, et non sous l'influence de quels sentiments les soldats ont pris les

armes.

On peut se demander si à aucune autre période de l'histoire il y eut, en quelques années, autant

d'actes incohérents que sous la Révolution. L'examen rapide des mesures prises à l'égard des armées prouve tout au moins que ces mesures furent commandées par les circonstances, et nullement déduites logiquement, méthodiquement, de quelques principes a priori.

Mais une fois les armées révolutionnaires constituées, on put en chercher le principe, et remplacer par une loi les décrets successifs que les événements avaient contraint à prendre.

En l'an VI fut promulguée la loi de la conscription, qui réglementa et régularisa les pratiques antérieures Tous les jeunes gens de 20 à 25 ans furent inscrits dans les divers corps de l'armée et appelés au service au fur et à mesure des besoins. C'était le service personnel et obligatoire.

Un tel principe d'organisation militaire est aujourd'hui tellement familier en France qu'on a peine à en concevoir un autre; il fait partie des « lois intangibles » de la troisième République; il est un des fondements de l'enseignement civique dans les écoles. Mais il a plus d'importance militaire que d'importance morale. Si les armées révolutionnaires remportèrent pendant de longues années des victoires éclatantes, cela tient principalement à deux

causes:

- la possibilité pour les généraux de gaspiller les soldats sur le champ de bataille parce que la nation pouvait constamment en fournir de nouveaux.

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