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citoyens nommèrent alors des députés pour faire en leur nom les actes de la vie politique qu'ils ne pouvaient plus faire eux-mêmes; c'est ainsi que naquit l'idée du mandat ou de la représentation politique.

Nos grands États modernes ne pouvaient point s'accommoder du gouvernement direct qui est devenu tout à fait impraticable et, en dépit de quelques efforts inefficaces pour réaliser le gouvernement du peuple par lui-même, le système appelé représentatif a triomphé partout.

Nous ferons l'histoire de cette institution en prenant pour thème de nos études les diverses organisations successives de la France et quelques-unes des plus importantes parmi celles des nations étrangères.

Nous constaterons toute une évolution dans la manière de légiférer, évolution dont nous n'avons point encore vu le terme et que nous diviserons en trois étapes:

1° D'abord vient la période du mandat impératif;

2o En second lieu vient la période du mandat représentatif;

3o Le troisième terme de l'évolution doit amener la période de la fonction législative.

DE

L'ÉLECTION POLITIQUE

PREMIÈRE PARTIE

I

Le mandat impératif aux États Généraux.

Les États Généraux de l'ancienne France nous offrent le type le plus parfait du mandat impératif : on doit en rechercher la raison jusqu'aux origines mêmes de l'institution.

L'origine des États Généraux est très controversée. Bien que d'une façon générale on assigne à l'année 1302 la première réunion de l'illustre assemblée, tous s'accordent à reconnaître dans cette date une simple convention : elle veut simplement signifier que depuis 1302 l'institution des États Généraux existe d'une façon indubitable et définitive. Mais chacun reconnaît que fort avant le règne de Philippe le Bel,

la vieille France avait vu la réunion d'assemblées importantes occupées aux affaires du royaume.

Ainsi donc, y eut-il quelque chose de nouveau? Qu'y eut-il de nouveau dans l'assemblée de barons, de clercs, de députés des bonnes villes convoquée en 1302 à Paris, par Philippe IV le Bel? Trois opinions jusqu'ici se sont fait jour sur ce point.

Une première théorie voit dans les États Généraux la continuation de certaines assemblées qui remontent jusqu'à l'époque gallo-romaine : à aucune époque la nation ne serait restée étrangère aux affaires publiques et sa participation se serait traduite tour à tour par l'existence de certaines assemblées ce sont l'assemblée des soixante civitates des trois Gaules à Lyon (consilium trium Galliarum), depuis 238; puis les assemblées extraordinaires des provinces ou même de la Gaule entière (1). Après l'invasion des Barbares, c'est le Champ de Mars ou de Mai, les placita, la curia regis (curiæ solemnes aut generales). Les États Généraux ne seraient que le développement de ces plaids. Seulement cette opinion n'explique point comment ces assemblées cessèrent d'avoir un rôle purement consultatif et comment, le pouvoir délibératif leur étant donné, les députés sont liés à leurs électeurs par un mandat impératif on ne voit pas comment des gens qui appartenaient jusque-là au Conseil royal ont pu cesser d'être des fonctionnaires pour devenir des mandataires, des mandataires non du roi mais de ses sujets, pour discuter avec lui les affaires publiques, au besoin pour tenir sa volonté en échec.

Les deux autres opinions, qui ne diffèrent entre elles que par le détail, sont absolument d'accord sur le point qui nous intéresse. Nous citerons celle de M. Callery qui le premier défendit le système nouveau.

(1) En 418, Honorius convoque à Arles une assemblée générale des Gaules.

« Pour nous, les États de Philippe le Bel, dit M. Callery (1), > ne sont autre chose que le développement d'assemblées > féodales d'une nature particulière dont il y a des exemples multiples avant Philippe le Bel; ce n'est donc pas à Philippe le Bel que la nation est redevable d'aucun droit politique; ces droits découlent absolument des conditions. politiques dans lesquelles le corps féodal tout entier s'est > trouvé par suite des transformations qui se sont opérées peu » à peu au cours des x1o, XIIe et XIIe siècles dans les >> rapports qui existaient entre le roi, les seigneurs et les non> nobles. »

M. Callery répudie toute filiation entre les assemblées mérovingiennes, la curia regis et les États Généraux. Il considère que le système féodal est essentiellement contractuel : les obligations de chacun y sont fixées par des contrats perpétuels, de telle sorte que personne n'a de droits hors des limites des contrats. Lorsque avec sa puissance le roi capétien voit croître ses affaires et celles du royaume, lorsque ses moyens personnels, ses revenus et ses taxes ne lui suffisent plus, lorsqu'il devient nécessaire de recourir pro defensione patriæ à des taxes générales, le roi se trouve obligé de demander des mesures extra-féodales : il réclame l'auxilium. Il faut donc qu'il obtienne consentement de tous les contractants et c'est pourquoi il réunit les prêtres, les nobles et les députés des bonnes villes.

Nous adoptons entièrement cette manière de voir qui nous explique très bien le pouvoir délibératif des États Généraux et comment les députés purent être liés par mandat impératif, puisqu'au début chacun se présente en vertu de son droit

(1) Alphonse CALLERY: Les États Généraux et provinciaux, réponse à M. LUCHAIRE. Pages 1 et 2. Bordeaux, 1882.

personnel. Nous verrons plus clairement encore dans la suite de l'histoire des États Généraux comment se forme le principe du mandat.

Comment entrait-on aux États Généraux?

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Il faut distinguer deux périodes: ce qui caractérise la première d'entre elles XIV et xve siècles c'est qu'il n'y a de représentation que dans l'impossibilité de comparution directe, ce qui revient à dire que chacun vient aux États Généraux en vertu de son devoir personnel de consilium et d'auxilium. Nous disons devoir parce qu'en fait ce ne fut jamais qu'un devoir malgré les efforts réitérés des États pour en faire un véritable droit. Les efforts vigoureux tentés lors des crises du pouvoir royal échouèrent après des tentatives peu durables en 1356 et en 1484, dès que la royauté se fut de nouveau raffermie. Ainsi le roi garda-t-il toujours le droit de convoquer ou de ne pas convoquer les États et n'y recourut jamais qu'après épuisement de tous autres moyens. Quand le roi avait convoqué ses vassaux, ils avaient le devoir de se rendre aux États et d'y siéger en vertu d'une « obligation stricte, assimilée au service de cour » (1).

Le principe, le critérium en quelque sorte du droit à être convoqué avec ceux de son ordre, c'est la possession d'une terre: c'est qu'en effet il n'est alors de richesse que la richesse immobilière et d'unités féodales que les propriétaires du sol.

En ce qui concerne les nobles, ils siègent aux États Généraux en vertu de leur propre devoir féodal, en tant que seigneurs, en tant que détenteurs du sol, au point que le noble sans fief n'est pas convoqué aux États Généraux : il est vrai de dire

(1) JALLIFIER: Histoire des États Généraux, Paris 1887, page 26.

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