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Pouvons-nous admettre qu'il existe un lien juridique entre le député et les électeurs, quelle que soit d'ailleurs la nature de ce lien juridique, mandat, louage de services, ou même quelque rapport contractuel moins déterminé?

DEUXIÈME PARTIE

I

Théories qui reconnaissent l'existence d'un lien juridique entre le Collège électoral et le député.

Il existe toute une série de théories qui admettent l'existence d'un lien juridique entre les électeurs et les élus. Nous en présenterons l'exposé et la réfutation sans nous préoccuper de savoir si ces théories ont en fait reçu quelques applications pratiques, les questions de droit positif étant confinées dans la première partie de notre ouvrage.

Ces diverses théories peuvent se grouper en une seule école, qu'on peut appeler l'école française, parce qu'elle a trouvé la plupart de ses partisans dans notre pays.

§ 1. -L'école française.

La doctrine française procède tout entière d'un principe unique, le principe des droits naturels de l'individu, ce qui ne

l'empêche pas de se diviser en trois branches principales dont les conclusions politiques sont radicalement différentes ou opposées l'une aboutit au referendum populaire, une autre au mandat impératif, la troisième au mandat dit représentatif ou général.

La doctrine du droit naturel, qui prit au XVIII° siècle un si grand développement, montre déjà ses traces dans les écrits. des docteurs scolastiques: dès le moyen âge, nous voyons apparaître l'idée des droits individuels dans tous les écrits politiques, dans les divers traités, notamment de Jean de Salisbury et de saint Thomas d'Aquin.

Les événements de la Réforme, les persécutions et les guerres religieuses donnèrent un nouvel essor aux idées libérales et soulevèrent en France toute une littérature où l'on affirme couramment la théorie des droits naturels. Signalons, en particulier, parmi des ouvrages de même inspiration, la Francogallia, de François Hotman, parue en 1573, et ce pamphlet, dont l'origine est contestée, qu'on attribue parfois à un certain Hubert Languet: Venditiæ contra tyrannos.

Signalons, parmi les ouvrages de la même époque, les Six livres de la République, de Jehan Bodin (1576), et les divers écrits de Suarez et de Molina.

Au XVIe siècle, Grotius et Puffendorf défendent encore les mêmes principes et, dans la suite, nous les voyons repris par Locke, par Wollf et par Vattel. Mais voici venir de plus grands noms, puisque Montesquieu, semble-t-il, puis Rousseau transportent en France les théories de Locke et vont reconnaître le principe de la souveraineté individuelle.

On ne peut pas dire que Montesquieu ait écrit un système de représentation politique, mais il affirme quelques principes qui trahissent sa croyance à la souveraineté de l'individu et à la personnalité de la nation. « Comme dans un Etat libre,

> dit-il au livre XI, chapitre vi de l'Esprit des Lois, tout > homme qui est censé avoir une àme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la > puissance législative; mais, comme cela est impossible dans » les grands États et est sujet à beaucoup d'inconvénients > dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représen> tants tout ce qu'il ne peut faire par lui-même. >>

Pour des raisons pratiques, Montesquieu repousse le mandat impératif et le déclare, dans le même chapitre, en ces termes : Il n'est pas nécessaire que les représentants qui ont reçu » de ceux qui les ont choisis une instruction générale en > reçoivent une particulière sur chaque affaire, comme cela > se pratique dans les diètes de l'Allemagne. Il est vrai que » de cette manière, la parole des députés serait plus l'expres» sion de la voix de la nation: mais cela jetterait dans des longueurs infinies, rendrait chaque député le maître de tous > les autres; et, dans les occasions les plus pressantes, toute > la force de la nation pourrait être arrêtée par un caprice. »

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A part quelques réflexions pratiques du même genre, que Montesquieu écrivit dans le chapitre sur la Constitution d'Angleterre, on ne peut dire qu'il ait raisonné un véritable système politique. Mais il convenait de le signaler à cause de l'influence prépondérante qu'il exerça sur son siècle et les événements qui le marquèrent ses idées durent, en quelque mesure, inspirer la Constitution des États-Unis d'Amérique,

et son influence est très visible dans nos deux Constitutions de 1791 et de l'an III.

Jean-Jacques Rousseau, plus théoricien que Montesquieu, exerça sur son temps une influence beaucoup plus décisive, car ses idées ont pénétré jusqu'aux moelles de la démocratie » française, et ce sont elles qu'on voit souvent reparaître de

» nos jours sous des formes et des noms nouveaux ». (Esmein Droit constitutionnel, page 146.)

Sa doctrine se trouve tout entière dans le Contral social et convient d'être analysée: d'abord, parce qu'elle inspira souvent la politique révolutionnaire; ensuite, parce qu'elle occupe une place à part au milieu de la doctrine française des droits individuels.

I.

-

L'homme naît en possession de droits individuels inhérents à sa nature d'homme il est donc son propre souverain. En considération de communs avantages, les hommes résolurent de vivre en société et réalisèrent par un contrat ce nouvel ordre de choses: ils abandonnèrent à cet effet une partie de leurs droits individuels, mais ils n'en restèrent pas moins pour cela seuls détenteurs de la souveraineté et les seuls défenseurs de là le nom de théorie de la souveraineté individuelle ou fractionnée qui a été donné à la doctrine de Rousseau.

La vie commune entraînant la nécessité d'une organisation sociale, les hommes durent élaborer les règles fondamentales de leur conduite mutuelle et confier le pouvoir de faire respecter ces règles à quelque autorité : c'est ainsi que l'État naquit au sein de la société : « Cette personnalité publique qui se » forme par l'union de toutes les autres prenait autrefois le » nom de cité et prend maintenant celui de république ou de » corps politique, lequel est appelé par ses membres État » quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance » en le comparant à ses semblables. » (Contrat Social, I, Iv). Disons d'une manière plus simple: l'État est la société organisée.

Dès lors deux puissances se trouvent en présence : l'une d'abord se forme de la collectivité de tous les individus appor

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