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cent mille francs.» La loi appliquée aux Glaneuses, dit spirituellement M. Tissier, ne l'a pas été au portrait légué par la demoiselle Desains.

Pour nous, nous sommes d'avis que l'on ne peut admettre de pareilles théories sans tomber dans le règne de l'arbitraire. Si nous faisons d'un legs modique une charge, nous tombons dans la même erreur que ceux qui veulent faire un legs d'une charge qui absorbera la plus grande partie ou la totalité de l'émolument. Un legs, pour être petit, n'en est pas moins un legs. Où serait, d'ailleurs, la limite entre un legs et une charge; qui pourrait dire qu'il est le chiffre à la base duquel nous poserions une ligne de démarcation? L'arbitraire seul pourrait le dire et le fixer, mais l'arbitraire est l'ennemi du droit, car il est le caprice, et celui-ci est le voisin de l'injustice elle-même.

$4.

Le legs avec charge et la fraude.

Les adversaires du legs avec charge ne se tiennent pas pour battus; avec Laurent ils vont agiter devant les partisans de ce mode fertile d'encouragement aux sciences et à la charité l'épouvantail de la fraude, et ils vont soutenir qu'en voulant gratifier des personnes futures et incertaines on va se heurter à une incapacité de droit la plus absolue.

Pour ce qui regarde la fraude, nous répondrons d'un

mot. Si le testateur a voulu gratifier des incapables de droit, les moyens ne manqueront pas pour la faire éviter et pour obtenir la révocation de la libéralité.

La jurisprudence, surtout en matière de legs avec charge secrète, admet qu'on peut faire révoquer la libéralité s'il y a des preuves précises et concordantes. Que veut-on de plus ? Peut-on donner une plus grande latitude aux adversaires de la fraude? N'ont-ils pas d'ailleurs à leur disposition les moyens ordinaires, tels que l'aveu et le serment?

Enfin, s'il y a fraude, est-il bien certain que le ministère public, qui assiste à tous les procès et qui est toujours appelé à présenter ses observations, restera silencieux? Nous croyons au contraire que si la fraude est visible, il ne manquera pas de présenter des conclusions et de se prononcer ouvertement pour la caducité de l'objet du legs.

S'il y a une incapacité absolue, l'on aura autant de garanties que l'infration à la loi sera grossière. Nous ne pouvons mieux l'exprimer qu'en citant quelques décisions de la jurisprudence en ces matières.

Il a été jugé par exemple que la nullité qui frappe la disposition adressée à un établissement non reconnu est une nullité d'ordre public qui ne peut être couverte par aucun fait d'exécution. (Civ. Cass. 3 janvier 1866, aff. Biget. D. P. 66. 1. 77.) La Cour suprême en a tiré cette conséquence que les intérêts d'une créance payés à une congrégation religieuse non autorisée, en vertu

d'un testament qui lui avait légué cette créance, peuvent être répétés par le débiteur après que le legs en question aura été annulé. (Civ. Cass. 13 juin 1870. D. P. 70. I. 349.) La jurisprudence belge a de même décidé que les détenteurs des biens donnés en fraude à la loi à une congrégation non autorisée, s'ils sont condamnés à les restituer, doivent restituer également les fruits perçus, pourvu qu'ils soient auteurs ou complices de la fraude (1).

Il nous semble que l'ordre public a toutes les garanties possibles, et pour notre part nous ne pouvons que nous incliner devant de telles décisions. Nous aussi nous croyons que la charge ne peut servir à tourner les règles de la loi. Avec Laurent nous décidons qu'un établissement non autorisé, civil ou religieux, quel que soit le mobile qui ait inspiré la libéralité, ne saurait la recueillir et que le système du legs avec charge ne saurait légitimer ce qu'il est défendu de faire par un legs proprement dit.

Mais peut-on dire à priori, parce que la fraude a pu quelquefois se glisser dans le mécanisme du legs avec charge, qu'il sert toujours à couvrir une incapacité de droit? Ce n'est pas par quelques exceptions qu'il faut juger l'ensemble, et parce que Laurent et ses disciples seront tombés sur un lambeau phylloxéré d'une vigne

(1) Voy. Répertoire de jurisprudence de Dalloz : Dispositions entre vifs et testamentaires (100).

saine, ce n'est pas une raison pour vouer l'ensemble à la destruction.

Et d'ailleurs nos adversaires ne pèchent-ils pas contre une règle de droit fondamentale. N'est-il pas une règle dans notre droit passée à l'état d'axiome, et qui soutient que la fraude ne se présume pas? Oui, la théorie de Laurent et de son école traite vraiment avec trop de sévérité les libéralités en faveur des œuvres de bienfaisance, alors qu'il y a tant de facilités pour les frapper de caducité si elles prennent le contre-pied de la loi.

A quelles conséquences ne nous mènerait pas d'ailleurs un tel principe. Le testateur ne manquerait pas de s'abstenir. Il s'abstiendrait pour le plus grand mal des œuvres de bienfaisance, et en définitive pour le plus grand mal de la société.

Mais il restera toujours une ressource au testateur, dira-t-on, c'est de léguer à une personne morale reconnue. Fort bien, et nous ne pouvons que louer un pareil legs, qui rentre du reste dans l'objet de notre étude; mais nous avons exposé les inconvénients d'un pareil système, et ils sont nombreux. Le testateur hésitera avant de suivre un pareil moyen; il sera tenté de reculer devant les difficultés, et l'on tarira dans sa source un des moyens les plus féconds du progrès social.

Laurent le comprend si bien que si nous consultons le tome XI de son ouvrage, page 265, nous voyons

qu'il fait exception pour le legs à personne physique avec charge de fondation. Il est vrai qu'il essaye d'établir une différence entre ce mode de fonder et les autres, que nous aurons l'occasion d'étudier. Voyons comment il justifie cette exception: « Dans l'ancien droit, lisons-nous dans son ouvrage, Furgole enseignait que les libéralités faites en faveur de corps non autorisés étaient nulles et comme non écrites, à cause de l'incapacité actuelle du légataire; mais, dit-il, si je fais un don pour servir à la fondation d'un établissement, la libéralité sera valable..... Ainsi la libéralité était valable comme préliminaire requis pour la personnification. On ne pouvait pas objecter que l'on donnait à un incapable, car sous l'ancien régime, les divers établissements dépendaient du chef de l'ordre; une fois reconnus les ordres étaient capables de recevoir, le don ne s'adressait pas au néant. Dans notre droit moderne il n'en serait plus de même pour les congrégations hospitalières; il n'y a plus d'ordres religieux, ils sont et restent supprimés; il n'y a plus que des établissements particuliers auxquels le gouvernement peut accorder la personnification; jusqu'à ce qu'il l'ait donnée, l'établissement n'existe pas,..... dès lors il y a incapacité absolue de recevoir.

» Le cas prévu par Furgole s'est présenté pour les fondations d'hospices. Dira-t-on que le don est nul parce qu'il s'adresse à un non-être ? La libéralité se fait en réalité pour une certaine catégorie de pauvres,

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