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tion une responsabilité que la loi impose. Tous proclament en termes catégoriques et formels le principe de la responsabilité du propriétaire pour les faits de toute nature émanant du capitaine. C'est à peine reconnaissent la légitimité de la faculté d'abandon. Ces tendances apparaissent notamment dans les ouvrages de Locré (1) et de Pardessus (2).

s'ils

En 1841, la question de la validité de la clause de nonresponsabilité se pose pour la première fois devant la Cour de Rouen qui, par un arrêt du 19 janvier de la même année, se prononça dans le sens de la nullité. Un pourvoi fut formé contre cet arrêt; la Cour suprême n'eut pas cependant l'occasion de se livrer à une discussion complète. Un arrêt de la Chambre des requêtes du 11 janvier 1842 rejeta le pourvoi, confirmant implicitement l'arrêt de la Cour de Rouen avant qu'il ait été soumis à l'appréciation de la Chambre civile. En 1864, la Cour de cassation, par arrêt du 23 février (3), cassa un arrêt de la Cour d'Aix qui avait refusé de reconnaître la validité de la clause de non-garantie.

ainsi

C'est en 1869 que la question se présenta véritable in ent pour la première fois devant la Cour de cassation. M. de Raynal, premier avocat général, soutint, dans conclusions remarquables, le système de la validité des

clauses d'exonération.

des

La Cour hésitait tellement à prendre un parti sur le problème juridique dont elle était saisie, qu'elle fit en sorte de juger le procès porté devant elle sans se pro

(1) Esprit du Code de commerce, t. III,
P. 69.
(2) Cours de Droit commercial, t. III, p. 403.
(3) D. P. 64.1.166.

noncer sur la validité de la clause d'exonération. L'arrêt qu'elle rendit le 20 janvier 1869 (1) est basé sur des considérations étrangères à la question qui nous occupe. Ces incertitudes et ces hésitations de la jurisprudence prouvent combien est délicat le point de droit soulevé par la convention d'exonération.

Depuis 1869, les tribunaux et les cours d'appel saisis de la question se sont rangés du côté de ceux qui défendent le système de la validité. La Cour de cassation, à son tour appelée à statuer sur divers pourvois, proclama que l'armateur pouvait licitement convenir qu'il ne répondrait pas des faits du capitaine (2).

L'arrêt de la Cour de cassation invoque surtout le grand principe de la liberté des conventions. Le contrat est la loi des parties: celles-ci sont libres d'y insérer telles clauses qu'elles jugent convenables, pourvu que ces clauses n'aient rien de contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs.

La Cour d'appel de Bordeaux, s'emparant de ce dernier considérant de l'arrêt de la Cour suprême, déclara qu'il était contraire à l'ordre public de s'exonérer de la responsabilité des faits d'une personne que l'on a sous son autorité. Un premier arrêt rendu le 5 février 1889 posait en principe que la clause de non-responsabilité ne saurait avoir pour effet de dégager l'armateur des fautes du capitaine. « Attendu, disait la Cour, que la » responsabilité récursoire de l'armateur, qui a son >> origine dans l'article 1384 3 du Code civil, est

(1) D. P. 69.1.94.

(2) Cass., 14 mars 1877. S. 79.1.423.

» d'ordre public comme celle du capitaine par identité » de raison juridique et d'intérêt général... (1). » Cet arrêt fut suivi de plusieurs autres dans lesquels la Cour de Bordeaux affirmait et maintenait sa jurisprudence. Inutile de dire que ces arrêts furent successive in ent cassés par la Cour de cassation qui se prononçait de plus en plus catégoriquement en faveur de la validité de la clause de non-responsabilité.

et en

La Cour de Bordeaux, comprenant enfin qu'une résistance prolongée de sa part n'aboutirait à d'autre résultat que celui d'imposer aux plaideurs des frais inutiles. conforma sa jurisprudence à celle de la Cour suprêine; c'est ce qu'elle fit par un arrêt du 21 juillet 1897 (2). Encore la Cour ne se soumettait-elle qu'à regret faisant les plus expresses réserves. « Attendu, disai t-elle, » que la validité de ces clauses, si exorbitantes en » droit et si nuisibles qu'elles soient au commerce. doit » être désormais admise, puisque la Cour de cassati on l'a » affirmé fréquemment dans sa récente jurisprudence ». L'uniformité de jurisprudence était ainsi réalisée par l'adhésion de la Cour de Bordeaux à la doctrine posée par les arrêts de la Cour de cassation. Celle-ci d'ailleurs n'a pas varié: deux arrêts (3), l'un du 25 juillet 1898, la l'autre du 25 octobre 1893, permettent de croire q ue jurisprudence est aujourd'hui définitivement fixée en faveur de la clause de non-responsabilité de l'arin ateur

pour les faits du capitaine.

Si nous considérons au contraire la doctrine,

(1) Revue internationale de Droit maritime, 1889-90, p. 192.

nous

(2) Recueil des arrêts de la Cour de Bordeau.r, année 1897, 1re partie, p. 402.

(3) D. P. 98.4.423: 99.1.567.

constaterons que, dans l'ensemble, elle est plutôt défavorable à la clause qui nous occupe. On ne trouve guère que MM. Lyon-Caen et Renault qui se prononcent catégoriquement en faveur de sa validité avec toutes les conséquences qui en découlent (1). La plupart des auteurs soutiennent au contraire que la clause de nonresponsabilité est entachée de nullité. M. Desjardins (2) notamment affirme énergiquement la nullité d'une clause qu'il considère comme contraire aux principes juridiques les plus élémentaires et préjudiciable aux intérêts généraux du commerce maritime.

En résumé, la validité de la clause de non-responsabilité parait irrévocablement admise en jurisprudence. Signalons cependant une tentative de réaction de la part des tribunaux inférieurs, sur laquelle nous aurons à revenir plus loin. Les théoriciens lui sont par contre en majorité hostiles. Nous verrons qu'on a essayé d'atténuer la portée de la clause de non-responsabilité, en ne l'appliquant pas indistinctement à toute espèce de fautes; les tribunaux de commerce. celui du Havre notamment, ont voulu restreindre le champ d'application de notre clause au seul cas de fautes commises par le capitaine dans la direction du navire. La Cour suprême n'a pas accepté cette interprétation, et elle a toujours. appliqué la clause de non-responsabilité en lui donnant la plus large extension.

(1) LYON-CAEN et RENAULT, Traité de Droit commercial, 2e éd., t. V, p. 305 et suiv.

(2) Droit commercial maritime, t. II, p. 62. Voir aussi de ValrogER, Cours de Droit maritime, t. 1, no 246 et 340: Latais, Précis de Droit maritime, t. I. p. 646.

CHAPITRE IV

APPLICATION DE LA CLAUSE DE NON-RESPONSABILITÉ.

être

Une clause aussi favorable aux intérêts des armateurs ne pouvait manquer d'être insérée dans tous les con 17 aissements. La validité en étant reconnue en France «t en Angleterre, elle ne pouvait pour ainsi dire pas éludée par les chargeurs. Ceux-ci ne se sont pas soumis de bonne grâce: ils ont fait de nombreux procès. A près avoir discuté la légalité de la clause prise en elle-m & ine, ils ont essayé d'en restreindre le champ d'application. Il nous faut voir maintenant la portée exacte, la véritable étendue de la clause de non-responsabilité; 11ous étudierons ensuite les critiques qui lui ont été adressées et les réformes proposées pour parer aux inconvénients que l'on n'a pas manqué de signaler.

SECTION I

Etendue et portée de la clause de non-responsabilité

de l'armateur.

La clause de non-responsabilité de l'armateur pour les fautes du capitaine est d'ordinaire conçue en termes très généraux. Il ne suffit donc pas d'en admettre la

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