Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

J'espère, monsieur l'abbé Lemire, que nous nous rencontrerons lors de la discussion des amendements. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Lemire. Je le souhaite, mon cher collègue.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er du contre-projet de M. Lemire.

Il y a une demande de scrutin signée de MM. Allard, Lassalle, Bénézech, Dejeante, Sembat, Vaillant, Vaux, Boyer, Walter, Vazeille, Baulard, Charles-Gras, Pajot, Renou, Groussier, Berthelot, etc.

[blocks in formation]

Le scrutin est ouvert. (Les votes sont recueillis. crétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants.....

Majorité absolue.....

446 224

Pour l'adoption......
Contre......

35 411

« 3o Le siège de l'association.

que la déclaration. Ils doivent relater l'or-
ganisation, le mode d'action et les res-
sources de l'association.

<< Art. 6. La déclaration et le dépôt des statuts prescrits par l'article 5 sont faits, par un des fondateurs, au parquet du tribunal de l'arrondissement.

<< Il en est délivré récépissé.

« Si les statuts contiennent des clauses contraires aux lois, à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, le procureur de la République se pourvoit devant le tribunal correctionnel par une assignation qui devra être donnée pour la prochaine audience pour faire déclarer la nullité de l'association et en faire prononcer la dissolution.

« Art. 7. — Tout groupe, section ou succursale d'une association déclarée est tenu de remplir les formalités prescrites par les articles 5 et 6 dans l'arrondissement où il doit avoir son siège et indiquer le titre et le siège de l'association à laquelle il se rattache,

«Le surplus des biens de l'association sera restitué aux ayants droit, et, à défaut, vendu d'office aux enchères publiques pour le produit en être affecté à des œuvres de bienfaisance dans les conditions déterminées par un règlement d'administration publique.

« Un liquidateur désigné par le tribunal, à la requête du ministère public, sera chargé de représenter l'association. Il sera statué sur la liquidation par le tribunal, le ministère public entendu.

«<< Art. 14. Toute personne qui, sciemment, a pris part aux actes ou réunions d'une association illicite ou d'une association dissoute, est punie d'une amende de 100 fr. à 500 fr. et d'un emprisonnement de trois mois à un an.

<< Art. 15. L'article 463 du code pénal est applicable aux crimes et délits prévus par la présente loi.

« Art. 16. Les associations reconnues d'utilité publique continueront à jouir ou jouiront des bénéfices particuliers que cette reconnaissance leur confère. »

La parole est à M. Cuneo d'Ornano.

M. Cuneo d'Ornano. Messieurs, je ne sais si mon état de santé, qui m'a empêché de suivre ces intéressants débats pendant les dernières séances, me permettra de développer complètement le contre-projet « Art. 8.—Toute addition ou modification que je vous soumets. Cependant je ne puis aux conditions auxquelles s'est formée une me dispenser de le défendre en quelques La Chambre des députés n'a pas adopté. association déclarée doit être aussi déclarée mots, car il a été déjà – sous forme de dans les mêmes formes que ci-dessus. L'as- proposition de loi portant aussi les signasociation devra déposer la liste de ses adhé- tures de MM. Arnous, Laroche-Joubert, rents nouveaux. Elle doit tenir, pour être Camille Fouquet, Paul de Cassagnac, Lacommuniquée à toute réquisition des auto-sies, Prax-Paris, général Jacquey, Gaston rités judiciaires et administratives, la liste complète de ses membres titulaires, honoraires, correspondants ou à un titre quelconque.

Nous arrivons au contre-projet de MM. Cuneo d'Ornano, Arnous, Laroche-Joubert, Fouquet, Paul de Cassagnac, Lasies, PraxParis, Jacquey, Galpin, Magne et Roy de Loulay. Il est ainsi conçu :

« Art. 1er. — Sont abrogées toutes les lois ou dispositions législatives contraires à l'exercice du droit d'association et à la présente loi, notamment les articles 291 à 294 du code pénal, la loi du 10 avril 1834, la loi du 14 mars 1872 sur l'association internanale des travailleurs.

« Art. 2. Les sociétés secrètes continuent d'être interdites, conformément au décret du 24 juillet 1848.

«<< Art. 3. Sont considérées comme illicites toutes associations ayant pour objet des actes que la loi punit. En outre des peines dont la loi frappe ces crimes, délits ou contraventions, tout membre de l'association illicite sera puni des peines portées à l'article 14.

<<< Sont aussi considérées comme illicites toutes associations entre militaires des armées de terre et de mer, ou entre fonctionnaires ou magistrats en activité de service.

<< Toutes associations peuvent être considérées comme illicites, en temps de guerre, selon les besoins de la défense nationale. « Art. 4. - Toutes les associations peuvent acquérir la personnalité civile en se conformant aux articles suivants.

[ocr errors]

«<< Art. 5. Avant tout fonctionnement d'une association qui veut jouir de la per

« Art. 9.

Toute association déclarée

peut ester en justice et contracter en son
nom. Elle peut acquérir, aliéner ou échan-
ger des immeubles, accepter des biens, meu-
bles et immeubles, ou des rentes données
par acte entre vifs ou de dernière volonté.
«Toutefois, la propriété immobilière de
l'association déclarée est limitée à 1 hec-
tare de superficie par personne associée.

«Art. 10. Nul ne peut disposer par tes-
tament en faveur d'une association quel-
conque autrement qu'à titre particulier, ni
consentir à son profit de donation avec ré-
serve d'usufruit ou d'usage.

«<< Art. 11.

Tout membre d'une association peut s'en retirer en tout temps. Toute convention contraire est nulle et de nul effet.

«<< Art. 12. Toute association déclarée qui ne se sera pas conformée aux articles 5, 6, 7, 8 et 9 pourra être frappée de dissolution par le tribunal correctionnel, à la requête du procureur de la République ou de tout intéressé.

<< Art. 13. En cas de dissolution prononcée, les membres de l'association déclarée auront la faculté de reprendre le montant de leurs apports.

|

Galpin, Magne et Roy de Loulay - présenté pendant plusieurs législatures. Ce n'est donc pas une rédaction de circonstance; c'est même sur cette proposition de loi que l'honorable M. Goblet, notre éminent ancien collègue, avait fait un remarquable rapport dans une législature précédente. Vous ne me pardonneriez pas de ne pas m'en expliquer devant vous. (Très bien ! parlez !)

L'idée première, l'idée essentielle de ce contre-projet, n'est ni cléricale ni anticléricale; elle repose sur le principe de liberté, loyalement entendu, fidèlement appliqué.

Pour moi, l'association n'est pas simplement, comme pour M. le président du conseil, un contrat; elle constitue un droit ; c'est une de nos libertés fondamentales.

Telle est la doctrine que jadis, quand j'étais encore sur les bancs de l'école de droit, j'avais apprise de la bouche même des grands orateurs républicains de 1870. J'ai entendu alors Jules Favre, Gambetta, Jules Ferry, tous ces orateurs qui venaient annoncer aux masses, à la jeunesse d'alors, le programme de la République future, de cette République... qui était si belle sous l'Empire! (Très bien! très bien! à droite.)

Eh bien le mot qui demeure gravé dans l'esprit de tous, et peut-être aussi qui se grava dans l'esprit des générations venues

ensuite, dans cet espoir, à la République, | Ici c'est un souvenir plus récent que j'évoque. Į jurer. Savez-vous, messieurs, quelle définic'est le mot de liberté.

Voilà par quel mot unique, magique, si vous voulez, les grands orateurs d'alors qui ont précédé les grands orateurs d'aujour d'hui appelaient à la République les géné

rations successives.

J'entends encore M. Stéphen Pichon, qui aujourd'hui représente en Chine la France, toute la France, s'écrier du haut de cette tribune, le 29 janvier 1887, je ne sais plus à propos de quelle liberté, rappelant les paroles de M. Jules Grévy qui, Et cependant, aujourd'hui, trente ans en 1848 déjà, flétrissait les républicains après cet appel, après ces affirmations so- oublieux de leurs programmes : « Meslennelles, allons-nous assister à la faillite sieurs, ces doctrines que vous avez affirde la liberté ? Voilà toute la question. (Ap-mées dans le pays, au Corps législatif, plaudissements à droite.)

M. Maurice Binder. Nous ne faisons qu'assister à ce spectacle-là !

M. Cuneo d'Ornano. La République, dans vos mains, elle qui avait pris pour article fondamental de son programme le principe de liberté, va-t-elle nous faire assister, vat-elle faire assister les générations qui sont venues si confiantes en elle et vers elle, vat-elle faire assister vos électeurs, messieurs, les électeurs qui vous jugeront et nous jugeront, à la faillite de la liberté ?

C'est ce que le pays se demande au moment où nous discutons ce projet de loi sur la liberté d'association, sur cette liberté trop attendue.

dans vos écrits, dans vos discours, dans
vos professions de foi, dans vos program-
mes, ces doctrines ne vous appartiennent
pas; vous n'en avez pas la libre disposition:
elles sont notre patrimoine. Vous en êtes
comptables au suffrage universel, qui se les
est appropriées, qui les a faites siennes,
qui y a souscrit, alors que vous y souscri-
viez vous-mêmes. Ces idées que vous avez
répandues, popularisées avec votre autorité,
avec votre éloquence, et que vous avez re-
haussées à une certaine date, par l'éclat de
votre adhésion, ces idées ont été recueillies
par une jeunesse avide de vos paroles, pas-
sionnée pour la liberté et pour la justice.
Qu'est-ce qui a rendu le pays républicain,
sinon l'affirmation incessante du droit, la
revendication permanente de la justice,
l'appel de tous les jours à la liberté? Et ce
droit, cette justice, cette liberté, vous re-
noncez à les revendiquer le jour où le pays
est venu, à votre voix, à la République, le
jour où il vous est possible de les faire

Je disais que j'avais entendu Jules Favre.
Oui, je l'ai entendu notamment et admiré
au procès des Treize; j'ai lu aussi ses dis-
cours du Corps législatif, et toujours ce
qu'il demandait comme une revendication
imprescriptible, c'était la liberté. J'ai en-
core présent à la mémoire son bel et mélan-
colique exorde du procès des Treize, lors-passer de la théorie dans la pratique ! »
que, devant les juges de l'empire, de cet
empire qui cependant reposait plutôt sur
l'idée d'autorité, Jules Favre s'écriait, avec
un sentiment de profonde tristesse : « Quand
je mesure du regard la carrière parcourue
par notre pays depuis soixante années, les
sacrifices qu'il a faits, les efforts d'intelli-
gence déployés,... je me demande si la
théorie du progrès n'est pas une amère
dérision. >>

Oui, vous l'entendez, messieurs, à votre tour? Lorsque, toutes ces libertés jurées, vous pourriez les faire passer de la théorie dans la pratique et tenir la parole qui vous engage devant le pays, vous allez faire faillite et ne donnerez rien ! (Applaudissements sur divers bancs.)

Je me rappelle aussi Jules Ferry disant crânement, en 1869 : « Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer l'entière liberté de la presse, l'entière liberté d'enseignement, l'entière liberté d'association; non, ce n'est pas assez de décréter toutes ces libertés, il faut les faire vivre. »

tion Jules Simon donnait du césarisme?
« Le césarisme, disait-il, c'est la démo-
cratie sans liberté. » Or, nous avons, sans
que les institutions y aident, un état démo-
cratique en France; nous n'avons pas la
liberté. Si donc nous allons au césarisme,
n'est-ce pas vous, messieurs, qui nous y
menez? (Très bien ! très bien! au centre et à
droite.)

On a surtout beaucoup parlé ici de l'esprit de la Révolution française. Cet esprit de la Révolution, pour ceux qui l'ont étudié d'un œil perspicace et qui ont cherché à le révéler, est une idée d'égalité certainement, mais c'est aussi une idée de liberté, à coup sûr. Sans vouloir mettre en relief certaines dissidences qui se sont déjà manifestées, mon honorable collègue M. de Mun me permettra bien de me séparer de lui sur un point, et je vais dire sous quelle autorité je me réfugie pour que cette rupture momentanée et de principe ne heurte pas en lui le loyal caractère et le grand patriote que j'aime. (Applaudissements à droile.)

L'honorable président du conseil, en effet, a mis personnellement en cause M. de Mun et lui a rappelé certaines paroles par lesquelles M. de Mun s'exprimait, sur le compte de la Révolution française, dans des termes éloquents sans doute, mais dont la tendance politique ne me rallierait certainement pas. Rappelant le mot de M. de Maistre, M. de Mun avait parlé de la « révolution satanique »; l'honorable président du conseil en profitait pour répondre que ce qu'il voulait, lui, chef du Gouvernement actuel, c'était demeurer fidèle à l'es

prit de la Révolution française.

On cherchait par là à établir que ceux d'entre nous qui veulent voter le projet du Révolution, tandis que ceux qui n'accepGouvernement obéiront à l'esprit de la tent pas les idées actuelles de M. le président du conseil obéissent à une idée de

contre-révolution. L'antithèse semblait ainsi

établie.

Or, je n'admets pas, quant à moi, que la question soit posée de cette façon; et mon honorable ami M. de Mun, qui a si éloquemment parlé, lui aussi, de la liberté, me

C'est qu'il avait grandi en pensant que le programme républicain est essentiellement un programme de liberté, et cependant les générations se heurtaient encore devant cet article 291 du code pénal contre les associations, article que l'empire autoritaire lui opposait, et que la République libérale, la Voyons! Allons-nous les proclamer et les République rêvée, aurait certainement, faire vivre, ces libertés entières? Qu'avons permettra d'affirmer qu'on peut être un pour premier devoir d'abroger. (Applaudis-nous réalisé pour elles jusqu'à ce jour ? fervent catholique et ne pas lancer l'anasements à droite.— Interruptions à gauche.) Rien! La République a maintenu, en fait de thème au pur idéal de la Révolution franOui! pour premier devoir, pour premier liberté d'association, les articles si rigou-çaise que je sépare absolument des crimes acte! Or, au contraire, voilà trente ans que reux d'un vieux code pénal, le code pénal politiques auxquels la fatalité des circonsdu premier empire, législation d'un régime tances accula ses promoteurs. Car je fais ces mots « République française » et cette idéale formule «< Liberté-Egalité-Frater- d'autorité s'il en fut, d'un régime d'autorité de la Révolution deux parts: d'un côté, son idéal, qu'elle a superbement proclamé dans le feu des batailles, et, de l'autre, les actes, lamentables souvent, auxquels elle a été condamnée parce que la France était en état de guerre étrangère et de guerre civile et que l'Europe féodale avait rêvé d'écraser en nous ces principes de liberté, d'égalité et de fraternité pour lesquels nos pères sont morts. (Applaudisse. ments sur divers bancs.)

nité » figurent sur les murailles de nos mairies et de nos édifices publics; trente ans! et l'article 291 n'est pas abrogé! (Applaudissements à droite.)

Si Jules Favre était ici, il se demanderait de même encore si la théorie du progrès n'est pas une amère dérision; et il vous en demanderait compte à vous, messieurs, qui vous déclarez une majorité de défense républicaine, il vous en demanderait compte, comme le faisait un autre ancien collègue.

militaire, en quelque sorte. Nous n'avons
réalisé aucun progrès en matière d'associa-
tions, rien !

Je ne veux pas insister davantage sur les
déclarations des précédents discours; mais
je veux au moins vous rappeler la défini-
tion que Jules Simon donnait du césarisme,
puisqu'on nous parle sans cesse de césa-
risme, puisqu'on nous menace du césa-
risme comme du plus grand péril que votre
majorité de « défense républicaine » va con-

Oui, des actes lamentables ont été alors

commis; je désire, en fils respectueux, les couvrir d'un voile; mais cela n'empêche que l'idéal superbe...

M. Antoine Gras (Drôme). Nous revendiquons tous les actes de la Révolution, en bloc!

M. Cuneo d'Ornano. Non, je ne fais pas de la Révolution un bloc; je revendique son idéal, l'idéal que nos pères avaient affirmé, mais je n'accepte en rien, cela va sans dire, la responsabilité des actes de la Terreur. Si vous ne voyez notre grande Révolution que dans les actes de la Terreur, vous salissez de sang cet idéal superbe au nom duquel la Révolution française a fait, avec nos drapeaux victorieux, le tour du monde.

Un membre à l'extrême gauche. Et la Terreur blanche?

M. Cuneo d'Ornano. Je n'approuve ni la Terreur blanche ni la Terreur rouge; ce sont des événements sur lesquels nous devrions jeter un voile, je le répète, pour regarder avec espérance l'avenir, plutôt qu'avec tristesse le passé. (Très bien ! très bien! à droite et sur divers bancs au centre.) M. Renou. Le Dix-huit Brumaire et le

[ocr errors]

proclamés en 1789. Et que faisons-nous, en ce moment, que rendre hommage au véritable esprit de la Révolution française en invoquant ses bienfaits, en réclamant la liberté d'enseignement, au nom de toutes les légitimes libertés religieuses? »

Voilà en quels termes Mgr Dupanloup définissait l'esprit de la Révolution, et je crois que mon honorable collègue M. de Mun me pardonnera de me placer sur le terrain où non seulement toutes mes convictions m'ont toujours placé depuis mon début dans la vie publique, mais où je trouve des répondants aussi autorisés auprès des catholiques les plus fidèles.

C'est cependant sur l'esprit de la Révolution que M. le président du conseil prétendait s'appuyer; il a invoqué la suprématie du pouvoir laïque, et très éloquemment aussi M. Viviani invoquait, pour refuser toute liberté notamment aux associations religieuses, la suprématie du pouvoir laïque.

par voie indirecte, cette liberté qui est de droit naturel. Et, si vous en doutiez, je vous citerais les paroles mêmes de l'honorable M. Millerand qui siège aujourd'hui sur les bancs du ministère et qui déclarait encore, le 22 novembre 1898, que le droit d'enseigner est un droit naturel. (Très bien! très bien! à droite.)

Tout à l'heure, sur les bancs de l'extrême gauche, quelqu'un disait : Nous acceptons. non seulement l'idéal de la Révolution, mais nous voulons renouveler ses actes! Bien que cela ait été souvent contesté, la Révolution française, dans ses lois, avait proclamé la liberté de s'associer. Et M. le rapporteur de la commission, parlant de la loi de 1790, écrit lui-même : « Si les vœux solennels étaient ainsi abolis comme civilement obligatoires, les religieux restaient libres de continuer à vivre en commun. »

Tel est l'aveu que l'honorable rapporteur de la commission était obligé de faire. Mais, il ajoute Arrive ensuite la loi du

:

Mais personne ne conteste la suprématie 18 août 1792 qui supprime complètement du pouvoir laïque !

Nous sommes ici en vertu de la supré

Deux-Décembre, voilà ce que vous applau- matie du pouvoir laïque, et tout à l'heure les

dissez! (Bruit.)

honorables ecclésiastiques qui venaient défendre leurs idées et réclamaient aussi la

liberté reconnaissaient par là même la suprématie du pouvoir laïque, puisque c'est de lui qu'ils attendent la protection de la liberté dont ils entendent jouir comme

citoyens français.

Je ne veux pas abuser des citations ni fatiguer la Chambre par des souvenirs rétrospectifs; je prétends que nous devons non pas nous attarder au passé, mais plutôt nous séparer de l'histoire de ce passé, car nous n'y trouverons guère d'exemples ou d'antécédents libéraux. Il faut faire du

M. Cuneo d'Ornano. Si je voulais m'attarder à ces récriminations rétrospectives, je pourrais aisément répondre au collègue qui m'interrompt et par les journées de juin et par la semaine sanglante de mai 1871 et par bien des événements douloureux pour tous les patriotes; et je dois dire douloureux pour vous comme pour nous, car enfin c'étaient des Français qui luttaient les uns contre les autres. Non, je ne veux pas de ces guerres fratricides; je comprends la gloire des batailles contre l'étranger, la gloire des Français qui meurent dans les plis du drapeau tricolore, pour la patrie, neuf; nous sommes dans un siècle noumais je souffre toujours lorsque des Franveau n'allons pas chercher ce qui s'est çais se déchirent entre eux et que la patrie passé au temps de l'Inquisition ou de la est en proie aux guerres civiles. (Très bien! Terreur; nous blàmons les excès de part et très bien! à droite el au centre.) d'autre. Aujourd'hui nous édifions pour Permettez-moi, messieurs, de revenir à l'avenir, nous voulons donner une législace que j'entends par l'esprit de la Révolution, non pas aux Français du dixième tion. Je veux lire à M. de Mun lui-même, qui ne récusera pas cette autorité, ce qu'en disait un de nos éminents prédécesseurs dans ces Assemblées, Mgr Dupanloup.

Mgr Dupanloup, dans son livre sur la Pacification religieuse, réédité en 1861, disait de la Révolution française:

« Qu'entend-on par l'esprit de la Révolution française ? Entend-on les institutions libres, la liberté de conscience, la liberté politique, la liberté civile, la liberté individuelle, la liberté de l'éducation, la liberté des opinions, l'égalité devant la loi, l'égale répartition des impôts et des charges publiques? Tout cela, nous l'acceptons franchement, nous l'invoquons au grand jour des discussions. Ces libertés, si chères à ceux qui nous accusent de ne pas les aimer, nous les proclamons, nous les invoquons pour nous comme pour les autres. Nous acceptons, nous invoquons les principes

siècle, mais à ceux du vingtième. Que de

vons-nous leur donner? Nous devons leur donner la liberté. (Très bien! très bien

sur divers bancs.)

En ce qui concerne la liberté de l'enseignement, voulez-vous que je rappelle que les cahiers de 1789, tous, sans exception, réclamaient l'enseignement religieux? Je ne dis pas que vous soyez obligés de l'édicter; je ne veux pas discuter la question de l'enseignement laïque. Mais, puisque nous parlons de l'esprit de la Révolution, je dois rappeler que tous les auteurs qui ont analysé les cahiers de 1789 sont unanimes constater c'est un fait matériel qui s'impose à tout le monde que ces cahiers réclamaient l'enseignement religieux. Est-ce là l'esprit de la Révolution, oui ou non ?

à

Je ne parle de la liberté de l'enseignement qu'incidemment et parce que le projet de M. Waldeck-Rousseau atteint,

cette liberté pour les congrégations. Je crois bien! Retenez ce point, monsieur Trouil

lot! Nous sommes entre l'insurrection du 10 août et les massacres de septembre; c'est entre ces deux dates sanglantes que vous allez chercher les idées et les prin

cipes de la Révolution! (Applaudissements

à droite et sur divers bancs.)

Je le répète, il faut toujours distinguer entre les idées de la Révolution et les actes auxquels la Révolution fut acculée par l'état de guerre étrangère et civile qui gênait son épanouissement pacifique.

A ce propos et de ce temps, l'honorable M. Viviani nous a dit que la liberté s'était établie pendant la première révolution, j'entends la liberté des associations laïques. Hélas! il se trompe encore. La liberté de 1798! Oui, sous le Directoire on jouissait théoriquement de beaucoup de libertés, mais de libertés entrecoupées de coups d'Etat où, de temps en temps, on arrêtait des fournées de journalistes pour les envoyer à Sinnamary, on supprimait les journaux. Et les prêtres avaient le même sort on les

enfermait à l'île de Ré, où ils méditaient sur les principes de liberté dont on leur parlait et qu'on leur appliquait de cette façon!

Non, la Révolution française n'a pas pu pratiquer la liberté d'association, pas plus pour les associations laïques que pour les associations religieuses, mais elle a proclamé le principe dont, aujourd'hui, vous qui n'êtes en proie ni à la guerre étrangère ni à la guerre civile, vous devez enfin vous inspirer.

Que propose cependant le Gouvernement? Il propose un recul non pas sur l'article 291 du code pénal, mais sur la situation actuelle, car l'article 291 n'existait plus; il n'était plus appliqué. Qui nous le dit? C'est M. Waldeck-Rousseau lui-même dans l'exposé des motifs de son projet de loi en 1882. Je n'ai pas vérifié si cet aveu se retrouve dans l'exposé des motifs de son dernier

[blocks in formation]

Tel est donc l'état actuel: c'est la liberté, liberté de fait, liberté tolérée. Eh bien ! le projet du Gouvernement nous fait reculer sur l'état de choses qui avait été conquis peu à peu en fait, sinon en droit.

Dans son rapport sur la proposition que j'avais déposée à la législature précédente, l'honorable M. Goblet disait à son tour:

« La troisième République n'a pas seulement créé la liberté d'association pour les syndicats professionnels, elle a laissé peu à peu s'établir un régime de tolérance qui a supprimé, ou à peu près, en fait, l'application des articles du code pénal. »

Mon honorable et spirituel collègue M. Henry Maret, qui me fait l'honneur de m'écouter, voulant protéger cette liberté de fait dont nous jouissions avant le projet de M. Waldeck-Rousseau, auquel cependant nos collègues de gauche semblent se rallier avec tant d'enthousiasme, l'honorable M. Henry Maret, dis-je, s'exprimait, à propos de l'article 7, d'une manière plutôt dure; il montrait la posture ridicule dans laquelle se trouvait le Gouvernement après la campagne contre les jésuites qui aujour d'hui, disait-il « font la nique au pouvoir »>, et il se demandait ce que le Gouvernement

allait faire alors.

«La première bêtise, ajoutait-il, a été l'article 7. On dit que M. Ferry l'avait trouvée tout seul. Il en est bien capable. Quand il y a une bêtise à faire, M. Ferry n'a jamais besoin d'appui. »>

A cette époque M. Henry Maret, toujours spirituel, ne se croyait pas obligé d'approuver les actes qu'il blàmait en lui-même dans son esprit libéral et tolérant, et il convenait que l'article 7 n'était pas conforme à l'idée qu'il s'était faite, lui, vieux républicain, de la République démocratique. M. Henry Maret. Je suis encore de cet avis.

M. Cuneo d'Ornano. Je crois que M. Maret nous donnera le plaisir de l'entendre, et si, comme je n'en doute pas, il obéit à son esprit libéral, il sera obligé de reconnaître que le projet de M. Waldeck-Rousseau ne nous fait pas aller vers la liberté, que c'est un recul, non seulement sur l'article 291 devenu caduc, mais sur la liberté de fait dont les associations jouissent.

C'est dans ces conditions que j'avais présenté, il y a plusieurs législatures, la proposition de loi que j'ai reprise à titre de contre-projet, qui figure à l'ordre du jour et sur laquelle l'honorable M. Trouillot est censé avoir fait un rapport. Or, dans le

rapport de M. Trouillot, il n'en est pas dit un | le sens commun, bien qu'on l'attribue à mot! Louis Veuillot.

Je dois dire très brièvement en quoi consiste cette proposition. Elle se résume en trois phrases qui se trouvent dans l'exposé des motifs.

<< On s'écrie que nous laisserions donc pleine liberté aux catholiques comme aux francs-maçons? Oui. Pour l'enseignement ou la charité, comme on l'a pour le lucre ou le jeu? Oui. Sans nous préoccuper de la nationalité des gens? Oui. Sans les priver même de la personnalité civile? Oui. Nous donnerions la liberté à tout le monde, la liberté sans conditions. Nous ferions cet essai loyal, sauf aux Assemblées futures à aviser, s'il surgissait de cette liberté plénière quelque péril pour la patrie. »>

Et dans ce même exposé des motifs sur lequel l'honorable rapporteur ne s'est pas expliqué du tout, j'ajoutais:

<< Cependant, puisqu'il faut sacrifier au goût du jour et mettre quelques entraves à la liberté, nous complétons par quelques restrictions le texte de pure abrogation que nous avions présenté dans les précédentes législatures.

«< Ainsi nous limitons la mainmorte à un hectare de terre par associé. Pourquoi cette limitation arbitraire, dans notre France dont le territoire continental est d'une superficie de 63 millions d'hectares? Pour contenter les trembleurs. Quant au reste, c'est la loi fiscale que cela regarde, comme

on l'a fait dans les lois de finances du 20 février 1849 et du 30 mars 1892, et non la loi organique des associations. >>

sonnalité civile, que l'honorable président Enfin, sur la question juridique de la perdu conseil se refuse à admettre ou autour de laquelle il crée tout au moins des difficultés innombrables, les auteurs de la proposition et moi nous disions :

« Quant à la personnalité civile, nous la considérons, avec M. Emile Acollas, comme « une conséquence tout aussi légitime de la liberté des individus que le droit de s'associer ». Et nous estimons que M. Ernest Hendlé, aujourd'hui préfet de la République, avait raison d'écrire en 1869 ceci : « Les citoyens qui s'associent entre eux dans un but déterminé usent de leur liberté individuelle, c'est-à-dire d'un droit naturel et primordial; et nous ne saurions admettre, avec M. Laurent (l'Eglise et l'Etat), que les associations politiques, religieuses, commerciales, civiles, ne puissent acquérir de personnification que par une concession de la loi. »

Vous le voyez, messieurs, les auteurs que j'invoque, je les prends de votre côté. Puisqu'il s'agit d'une question de liberté, permettez-moi de répondre à l'honorable M. Chauvière, qui nous oppose quelquefois la phrase de Louis Veuillot : « Nous vous demandons la liberté, parce que c'est votre principe, et nous vous la refusons, parce que c'est le nôtre. » J'entends cette phrase depuis bien des années, mais elle n'a pas

Mon raisonnement est tout différent. Je prétends que chaque régime a ses doctrines, ses principes. Quand le pays veut un régime analogue à l'ancien régime, je suppose, ou, quand il veut un roi, il choisit la réaction c'est le mot que vous em

et

ployez, je le prends sans intention de froisser mes collègues royalistes; je reconnais que la monarchie se transformerait peut-être, mais je n'en veux pas, n'ai pas à m'expliquer à cet égard. En tout cas, la monarchie a ses principes et ses doctrines. Pourquoi la repoussons-nous? C'est parce que vraisemblablement elle appliquerait ses principes et ses doctrines. Mais, si la monarchie devait appliquer les vôtres, que vous n'appliquez pas, il vous recourir à elle pour appliquer les prinparaîtrait avantageux à vous-mêmes de cipes républicains que la République aurait oubliés et méconnus. (Très bien! très bien! sur plusieurs bancs à droite.)

Quand le pays veut un régime d'autorité ayant sa base dans la démocratie, il acclame l'Empire, comme en 1848 il acclamait un Napoléon, même sous la République. Il était alors fatigué de la liberté; il se disait que s'il élisait le général Cavaignac celui-ci continuerait ce régime trop les Journées de Juin, — était-ce à tort ou à libéral dont le pays ne voulait pas après raison? ce n'est pas la question; — mais il faut qu'un régime exprime ce que le pays en attend. On n'a pas élu Cavaignac, qui aurait continué le régime de 1848, et le peuple a élu le prince Louis-Napoléon, qui même encore présent à la mémoire le beau représentait le principe d'autorité. J'ai rapport de M. Waldeck-Rousseau père, qui félicitait le pays d'avoir ainsi trouvé dans un nom glorieux la réalisation des idées d'autorité auxquelles il estimait, après les journées de juin 1848 et les désordres de la rue, qu'il fallait se rallier et revenir.

Le pays voulait l'autorité, il a fondé l'Empire. Si l'on préfère la liberté, c'est à la République qu'il faut aller, semblet-il; mais si elle ne la donne pas, à qui le pays ira-t-il la demander ? Vous la lui avez promise. On est venu à vous parce que vous deviez donner la liberté; vous la devez à ces générations nouvelles envers lesquelles vous avez contracté une dette. Si vous faites faillite, que voulez-vous que le pays pense? C'est à d'autres qu'il demandera la réalisation des idées qui lui sont chères, ou de leur programme.

Donc mon contre-projet donne la liberté plénière; il ne s'occupe pas des congrégations, si ce n'est au point de vue de la mainmorte, que je limite, car la mainmorte constitue un danger qui met en péril l'avenir économique du pays. Je le reconnais, je le proclame.

Mais, en dehors de la mainmorte, les congrégations ne constituent aucun autre péril, bien que vous le prétendiez. La main.

est-ce un crime de leur part? Donc, de cette personnalité est retranché, par le fait des événements, ce qui fait qu'on possède. En quoi cela est-il spécial aux congrégations?

morte est le seul côté par où l'Etat ait le droit | fait le vœu de pauvreté un peu par force; | de s'immiscer dans les affaires des congrégations. Lorsque celles-ci ne s'en tiennent pas exclusivement à des vœux qui ne vous regardent nullement et dont vous n'avez pas à vous occuper, lorsqu'elles étalent des biens immobiliers considérables comme les congrégations de l'ancien régime, cela crée un état social inadmissible pour notre régime issu de la Révolution.

C'est pourquoi mon contre-projet limite la possession immobilière de la mainmorte à 1 hectare par tête de congréganiste, ce qui représente à peu près ce qui reviendrait à chaque citoyen français si l'on appliquait les idées de partage des biens chères à quelques-uns de nos collègues de l'extrême gauche, c'est-à-dire si l'on partageait le territoire français également entre tous les citoyens. Ce n'est pas excessif, et dans ces conditions le péril de la mainmorte immobilière, la seule que nous puissions atteindre, se trouve efficacement conjuré.

J'arrive maintenant aux exceptions antilibérales que le projet ministériel vous propose de créer.

[blocks in formation]

Mais, continuons : « Ce qui fait qu'on raisonne... ». Mais n'y a-t-il pas beaucoup de gens qui déraisonnent? (On rit.) | Je ne les juge pas pour cela dépourvus de personnalité.

Enfin, si l'on retranche ce qui fait qu'on se survit... » Mon Dieu, il y a beaucoup de gens qui ne se survivent pas, notamment les célibataires. Ils ne se survivent pas, ceux-là, ils ne fondent pas de famille. Sontils congréganistes pour cela? Est-ce que leur personnalité est moindre? Vous voyez apparaître ici, messieurs, la puissance des phrases qui ne définissent rien, l'artifice des mots sonores, mais vides.

Et quand, devant cette Chambre, avec son merveilleux talent de diction, M. WaldeckRousseau a répété cette formule, vous l'avez applaudie parce que cela, sans avoir aucun sens, sonne bien, cela a l'air rythmique. (Applaudissements à droite.)

Que voulez-vous? Il y a tant d'harmonie dans la phrase! Et alors comme nous sommes français et gaulois, nous applaudissons parce que c'est bien dit. Mais quand vous allez au fond de cette formule pour rechercher ce qu'elle signifie au point de vue juridique, vous vous apercevez qu'elle ne signifie rien.

La preuve, c'est que M. Viviani, qui est aussi éloquent, mais plus jeune, plus rapproché - puisqu'on dit la jeunesse d'aujourd'hui très pratique plus rapproché

Je lisais dernièrement un article de M. Barthou où il admire dans le discours de M. Waldeck-Rousseau certaine définition par laquelle il veut établir une différence entre les congrégations et les associations ordinaires, car on en est toujours à chercher quelque élément de différence. M. Louis Barthou. On en trouve facile- des réalités pratiques des générations noument plusieurs. velles, ayant essayé à son tour de s'expliquer sur la question des vœux, a abandonné la formule cependant si harmonieuse de M. Waldeck-Rousseau. Il a dit << Parmi ces vœux il y en a deux que j'admets: les vœux de pauvreté et de chasteté. Je n'en dirai rien, sinon qu'ils ne me paraissent pas illicites. » Mais ne paraissent-ils pas illicites à M. le président du conseil? M. Viviani, lui, ne retient que le vœu d'obéissance qui le choque et le heurte.

M. Cuneo d'Ornano. L'honorable M. Barthou, dans cet article intitulé « Unité de doctrine» qui a paru dans la Petite Gironde du 17 janvier, félicitait M. Waldeck-Rousseau « d'avoir trouvé une saisissante for

mule » pour expliquer la différence que le législateur doit apercevoir entre les congrégations et les associations.

Examinons la formule que M. WaldeckRousseau estime excellente et saisissante, lui aussi, puisqu'il l'a reproduite à plusieurs reprises dans son discours. Vous allez voir, messieurs, combien est grande la puissance des mots enveloppés par l'éloquence, comme M. Barthou et M. Waldeck-Rousseau savent le faire!

Voici la formule de M. Waldeck-Rousseau : « Quand de la personnalité humaine Vous avez retranché ce qui fait qu'on possède, ce qui fait qu'on raisonne et ce qui fait qu'on se survit, je demande ce qui reste de cette personnalité? »>

M. Waldeck-Rousseau se juge heureux d'avoir trouvé cette définition. Mais, analysons, si vous le voulez bien!

«< Si l'on retranche de la personnalité ce qui fait qu'on possède...», c'est-à-dire la propriété. Or, ceux qui ne possèdent rien sont cependant citoyens français; ils ont

Vous voyez que, sur cette question des vœux qui a été discutée pendant plusieurs séances en de magnifiques périodes, M. Waldeck-Rousseau n'a pas voulu abandonner son idée et ses antithèses de 1882, tandis que M. Viviani a déclaré qu'en somme, sur ces trois vœux, deux pouvaient être tolérés.

Quant à M. Floquet, que nous avons connu à la présidence de cette Chambre et qui ne passait pas pour un clérical, il était beaucoup plus franc ou, en tout cas, beaucoup plus libéral; il disait :

« Si nos lois ne reconnaissent pas les vœux monastiques et leur refusent toute sanction, elles ne les prohibent pas non plus... Il est permis à tout le monde de ne pas se marier ou de rester pauvre ou d'accepter la direction de son semblable. A

cet égard, la loi, sans pénétrer dans le for intérieur, se contente d'assurer la liberté de chacun. »

Et je ne puis être suspect lorsque j'invoque son autorité, encore toute fraîche dans vos souvenirs devant vous qui lui avez voué votre reconnaissance. C'était un homme aussi aimable qu'éloquent et fidèle à ses doctrines.

-

Les trois vœux que M. Waldeck-Rousseau considère comme illicites, opinion qui est affichée dans toute la France, M. Floquet les reconnaît comme licites. On aurait pu ajouter, au bas du discours de M. WaldeckRousseau, cette petite note: « M. Floquet les trouvait absolument naturels et légitimes. » C'était le commentaire naturel du discours de M. Waldeck-Rousseau que je suis obligé de rectifier encore sur bien d'autres points.

Sur le même sujet, M. Viviani a voulu, lui aussi, faire une antithèse, car les orateurs ne peuvent échapper au besoin des antithèses. Il a dit, et vous l'applaudissiez aussi : « L'association repose sur un statut, c'est-à-dire sur un contrat. La congrégation repose sur des vœux, c'est-à-dire sur une théorie négative du contrat. »>

Il me semble, si vous me permettez à mon tour une antithèse, que l'on pourrait dire: Le contrat, c'est un vœu laïque; le vœu, c'est un contrat religieux. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Voilà la différence, si c'en est une ; mais les deux sont des contrats.

M. Massabuau. A Rome, tous les contrats étaient religieux et solennels.

M. Cuneo d'Ornano. Je ne m'interdis pas de remonter jusqu'au droit romain, qui est le père de notre droit français; mais vous comprenez qu'il ne s'agit point de la Rome des papes; il ne s'agit que du vieux droit romain dont notre droit français découle dans un grand nombre de ses principes.

Messieurs, je le répète, il est utile de rectifier l'idée que les phrases sonores et les antithèses fausses ont pu faire pénétrer dans vos esprits quand on a prétendu qu'il y avait dans les vœux religieux

un acte contraire à la liberté moderne. Le vœu est simplement un acte spontané de la volonté.

M. Piou a parfaitement expliqué qu'il ne faut pas confondre, en ces matières, le droit civil et le droit pénal; le droit pénal ne sanctionne plus ces vœux, depuis la Révolution qui a fait disparaître la sanction qu'y attachait autrefois le pouvoir civil. Les vœux religieux ne sont rien aux yeux du législateur, il les ignore. Un prêtre qui a fait vœu de célibat peut se marier. M. Gauthier (de Clagny) a soutenu cette thèse du mariage des prêtres, mariage parfaitement licite. La loi ne prohibe pas les vœux, elle ne les connaît pas.

J'arrive enfin à une contradiction colossale. M. le président du conseil, après avoir déclaré illégitimes ces trois vœux et les considérant tous trois comme également illicites, propose cependant de laisser sub

« PreviousContinue »