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duc de Berry prit terre à Jersey, pour se concerter avec les royalistes de l'ouest; MONSIEUR comte d'Artois, descendu le 2 février à Catwig en Hollande, se montra dès le 20 à Vesoul et successivement à Nancy, pour y soutenir par sa présence les vœux et les efforts des provinces de l'Est et du Nord: mais il ne fut permis à aucun d'eux de déployer aucun caractère public.

Toutefois, la seule présence de ces Princes suffit pour réveiller de toute part l'espoir et l'amour des Royalistes, et pour les porter aux entreprises les plus hardies. C'est à qui aura le premier l'honneur de manifester son dévouement au Roi. En vain Buonaparte s'efforce de comprimer cet élan par des décrets de sang (1), par des arrêts de mort (2); tous ses efforts sont inutiles. La ville de Troyes, l'une des premières où reparaissent les couleurs des Bourbons, scelle du sang de l'un de ses principaux citoyens, sa fidélité pour le le sang Henri IV. Dans l'Ouest, on vit aussi couler le sang du premier qui arbora le drapeau blanc sur le clocher d'un village (3). Ces malheurs

de

(1) Tout le monde connaît le décret du 24 février 1815. (2) M. de Gouault, fusillé dans Troyes pour s'y être décoré de la croix de St. Louis, et pour être allé en députation demander au généreux Alexandre le rappel des Bourbons.

(5) Discours du comte Hubert de Sept-Maisons à la chambre des députés, le 28 octobre 1815.

n'empêchent point que dans la ville de Nancy, dans la Lorraine, la Bourgogne, la FrancheComté, un grand nombre de Français n'arborent aussitôt la cocarde blanche. En même temps, et par une espèce de commotion électrique, le Roi est reconnu à l'autre extrémité du royaume, c'està-dire à Bazas, à Roquefort et ensuite à Bordeaux, avant mème que fussent rompues les conférences de Châtillon pour la paix qu'on ne cessait d'offrir à Buonaparte. Les Bourbons sont proclamés au milieu des transports brûlans qui caractérisent ces climats.

Plus long-temps comprimés, ces sentimens à Lyon n'étaient pas moins vifs. MONSIEUR put s'en convaincre par les rapports que durent lui faire M. de Montciel et les autres serviteurs fidèles qu'il y envoya, pour en pénétrer les dispositions, et pour juger s'il pourrait en cas de besoin s'y établir, comme il inclinait à le faire. Et en effet, quelle cité avait donné plus de gages de son horreur pour les révolutionnaires, de son attachement au sceptre des Bourbons ? non toutefois que régnât dans son sein la même union qui éclata à l'époque du siége de 1793. Il ne faut point se dissimuler que durant le long cours de nos révolutions, trop d'intérêts et de préjugés contraires ont été ou froissés ou créés, pour que de long-temps aucune sorte d'unanimité politique soit possible nulle part. Je ne parle ici que de la

grande majorité des citoyens, et en général des classes les plus utiles ou des conditions les plus relevées de la société. Dans cette immense majorité, rien n'avait pu effacer cet amour inné des Rois, qui pour les Français fut si long-temps une espèce de culte.

Plus d'une considération toutefois était faite pour contenir particulièrement à Lyon la manifestation de son attachement à la cause royale.

On y savoit que les conférences de Châtillon venaient à peine d'être rompues, et que l'ennemi de la paix, en se ravisant, était maître encore de conserver le sceptre prêt à lui échapper.

Le langage des Princes n'était pas plus rassurant. Le Prince de Wurtemberg, l'un des héros de la coalition, avouait vers ce temps là avec franchise au marquis de Widranges, député de Troyes, que « les puissances coalisées avaient

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adopté un principe invariable, celui de ne pren>>dre aucune initiative dans le choix d'un souve>> rain en France (1). »

Le loyal et magnanime Alexandre disait aussi aux députés de Nancy qui lui redemandaient leur Roi, « qu'il voyait leur démarche avec plai

sir, mais qu'il la croyait un peu prématurée ; >> que les chances de la guerre étaient incertai

(1) Campagne de 1814, par M. de Beauchamp, t. I.er, page 249.

» nes; qu'il ne venait pas avec ses alliés pour » donner un roi à la France, mais seulement » pour connaitre ses intentions. C'est à elle à se » prononcer, ajoutait-il, mais hors notre ligne » militaire ( 1 ) ? »

Wellington à son tour, organe de la puissance la plus opposée à Buonaparte, de ce cabinet qui semblait être l'ame de la coalition, le noble lord cédant aux instructions de cette politique incertaine, ne permettait point encore que M. le duc d'Angoulême, arrivé à St-Jean-de-Luz, parût autrement dans son armée que comme simple volontaire (2).

Et la ville de Lyon se trouvait non-seulement dans la ligne militaire, mais encore elle était occupée par l'armée d'un Prince dont les affections et les convenances particulières pouvoient ne se pas trouver en harmonie avec les intérêts généraux de l'Europe.

Elle était placée entre les forces de ce Prince et l'armée de Valence, qui aux moindres chances de succès pouvait rétrograder et exercer des vengeances terribles.

Elle n'était point soutenue comme on l'avait été à Nancy, à Troyes, à Roquefort, à Bordeaux, par la présence des princes français, par la con

(1) Ibid. tome 1.er, page 251.
(2) Ibid. tome II, page 162.

fiance particulière qu'inspiraient la Russie, l'Angleterre et leurs armées.

Elle était en un mot livrée à elle-même, sans aucuns moyens de défense, sans aucun espoir de

secours.

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Ce fut dans ces circonstances néanmoins et dès le 30 mars, que l'administration municipale de Lyon, impatiente comme toute la cité de hâter le signal de la restauration, résolut d'envoyer à Dijon où se trouvait alors l'empereur d'Autriche et tout le corps diplomatique des députés, avec la mission apparente de solliciter des adoucissemens aux réquisitions dont la ville était frappée mais avec des instructions particulières pour soulever, s'il était possible, un coin du voile qui nous dérobait encore les vues ultérieures des puissances et les intentions particulières de l'Autriche. Peu après, et sans attendre les lumières qu'on se promettait de cette démarche, un autre député fut chargé d'aller déposer aux pieds de MONSIEUR, à Nancy, l'hommage de la fidélité et des vœux de la ville pour le Roi et son auguste maison. Cette dernière mission fut confiée au comte de Fargues, la première au comte de Laurencin et à MM. Camille Jordan et Brolemann aîné.

M. de Laurencin alla demander à Vienne des passeports pour tous au prince de Hesse, et les obtint sans difficulté. En cet instant même le

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