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capitaux rentrent dans la circulation; les payemens se rétablissent; les sinistres agens de la révolution, dispersés, éperdus, ne se font plus entendre; une charte, le plus beau présent qu'un Roi généreux pût faire à son peuple et à son siècle, réalise en un instant tout ce qui n'avait été pendant nos longues agitations, que le rêve des gens de bien ; une paix que rien ne semblait devoir troubler, ne laissait à l'éclat naguère si menaçant de nos armes, que ce que leur gloire avait d'innocent; les étrangers enfin, non moins rassurés que nous-mêmes, et accourant de tous côtés, comme ces curieux qui, le lendemain d'un incendie, vont contempler les ravages de la veille, sont tout étonnés de ne plus retrouver de ruines.

Ce commencement de félicité si prompt, si inattendu, était peut-être plus vivement senti à Lyon que par-tout ailleurs; non pas seulement parce que cette ville était toujours animée du même esprit qui, en 1793, lui inspira tant de dévouement et de sacrifices pour la cause royale, mais encore parce qu'une population essentiellement laborieuse, toujours disposée par ses habitudes et par ses besoins à l'amour de l'ordre, se trouve naturellement portée à la reconnaissance et au respect pour tout ce qui lui en garantit les bienfaits.

Ces jours de joie et d'espérance, néanmoins, n'étaient pas tout-à-fait sans nuages. La présence des troupes étrangères dans un pays qui ne sup

porte qu'avec répugnance celle même des troupes nationales, et qui, avant la révolution, ne logeait point de gens de guerre; la prolongation du séjour de ces troupes après l'abdication de Buonaparte, après le retour du gouvernement royal; les charges, les réquisitions qui en étaient la suite: toutes ces choses composaient un fardeau très-pénible pour les habitans. Les excès commis par les soldats, et qui rendent quelquefois si horrible ce métier tant vanté de la guerre ; les prétentions exercées par les chefs, soit à titre de réquisitions contre la ville, soit à titre de conquête sur les propriétés nationales, achevaient d'exaspérer les esprits.

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On n'oubliait point que dans les campagnes, le soldat avait mainte fois marqué son passage par pillage, les dégats, les violences. Dans l'intérieur de la ville, l'Hôtel-Dieu, les Broteaux, la place Bellecour, les rues Tupin et Ste-Catherine, et d'autres quartiers avaient été le théâtre de scènes affligeantes. Un chef de la garde urbaine, de service au mont-de-piété, avait été cruellement maltraité, ainsi que plusieurs de ses fusiliers.

La ville avait été particulièrement révoltée des excès qui furent commis dans le domicile de l'un de ses citoyens les plus distingués, M. Henri d'Estournel, chef d'escadron de la garde à cheval. Quelques séditieux, sans aucune provocation, sans motif, sans prétexte, se portèrent chez M. Henri, pillèrent son argenterie, son linge,

brisèrent ses meubles, cassèrent ses glaces, com mirent les plus horribles dégats, et blessèrent dangereusement un citoyen qui voulut les contenir, M. Franchet, secrétaire de M. de Noailles, sans qu'on ait pu jamais s'expliquer une si gratuite férocité.

Les chefs, il faut en convenir, réprimaient ces fureurs autant qu'ils le pouvaient; ils ne se bornaient pas à punir les coupables, ils portaient la condescendance jusqu'à éloigner de la ville les corps à qui elle avait des reproches à faire. On en vit parmi eux qui portèrent la générosité, jusqu'à secourir de leur propre bourse les victimes de la brutalité de leurs soldats.

Un trait qui peint et honore le caractère du peuple de Lyon, et que rappellent les excès commis par les soldats, ou plutôt par ces femmes-vampires que les armées traînent trop souvent à leur suite, mérite de trouver ici sa place. Des pillards osaient étaler et vendre publiquement des meubles et des marchandises qu'ils avaient enlevés dans les lieux qu'avait traversés l'armée. Le peuple avait plus d'une fois manifesté son indignation contre ceux qui favorisaient ce brigandage, en achetant les choses volées. Un jour, les pillards vendaient sur la place Bellecour une grande quantité de toiles. Lorsque le marché fut consommé et les toiles payées, des hommes et des femmes se jetèrent sur toutes ces toiles, les déchirèrent en mille mor

ceaux, et en firent, pour ainsi dire, de la charpie. L'autorité publique avertie de ces ventes scandaleuses, les prohiba.

Pour mettre un terme à tous les désordres, le gouvernement s'occupait de rétablir son autorité et de la retirer des mains des alliés. Des commissaires furent chargés par une ordonnance du 22 avril, de répandre dans chaque division militaire la connaissance des événemens qui avaient rendu la France à ses légitimes souverains, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter l'établissement et l'action du gouvernement. Les préfets furent en même temps remis en fonctions.

M. le comte Alexis de Noailles, aide-de-camp de MONSIEUR Comte d'Artois, fut envoyé à Lyon, où il arriva le 2 mai comme commissaire extraor dinaire. Il y fut suivi le 7 par l'ancien préfet, le comte de Bondy, que le gouvernement s'empressa de rendre aux vœux d'une cité qui devait beaucoup à son zèle.

Les circonstances étaient difficiles et la mission délicate. Les généraux autrichiens n'étaient disposés ni à se dessaisir de l'autorité, ni à reconnaître les pouvoirs du commissaire extraordinaire ou du préfet du Roi, ni à se désister de beaucoup d'autres prétentions. La ville était épuisée, le peuple mécontent et irrité. Il fallait tout concilier. M. de Noailles, dans cette position, eut besoin de ces manières polies et affectueuses qui subju

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guent bien plus que l'autorité, de ce mélange de sagesse et d'énergie qui tient lieu d'un véritable pouvoir, de ce tact qui prévient ou aplanit les difficultés. Les plus heureux succès répondirent à ses efforts. L'autorité du Roi fut reconnue et rétablie dès le 16 mai; les réquisitions auxquelles résistait le corps municipal, furent tempérées; les excès commis par les militaires furent réprimés ; l'effervescence et l'agitation qui régnaient dans les esprits furent contenues.

La tranquillité publique ne fut troublée que par un seul événement, le rétablissement des droits réunis sur les boissons, dont l'abolition avait été annoncée et n'avait pu être maintenue. Mais, il faut le dire, ce fut moins l'impôt qui excita les réclamations, que le mode de perception. Les redevables demandaient qu'un abonnement fût substitué à ces visites domiciliaires, à ces odieuses inquisitions connues sous le nom d'exercices, et dont le code révoltant était devenu digne de faire l'horrible pendant de celui de la conscription. Un ministre qui croyait être ferme et qui ne fut qu'opiniâtre et imprudent, maintenait les exercices, même à l'égard des abonnés. En vain le comte de Noailles, pénétré, ainsi que les autorités locales, de ce qu'il y avait d'impolitique, ou au moins de prématuré, dans l'obstination du ministre, lui fit les plus sages représentations; en vain il lui donna l'exemple de la modération que

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