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populace toujours avide de spectacles, mais plus étonnée qn'empressée.

A sa vue, les irrésolutions de l'armée cessent : elle le reçoit aux cris de vive l'Empereur, et se range successivement sous ses drapeaux.

Il était à cheval. Parvenu à l'extrêmité de la rue de Bonne, proche la place Grenette, il entend battre au loin le tambour: qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est, s'écrie-t-il avec vivacité ? A l'instant il met pied à terre. Ce tambour qui l'avait alarmé, était celui du corps de garde de la place Grenette, qui, averti par les cris de vive l'Empereur, s'était rangé en bataille, et faisait battre aux champs, pour lui rendre les honneurs militaires.

En ce moment, le général Marchand navré de douleur, sortit de la ville par la porte St-Laurent, suivi de quelques soldats qui paraissaient demeurer fidèles, mais qui bientôt séduits par l'exemple, revinrent sur leurs pas, et se réunirent aux autres rebelles. Plusieurs officiers de tout grade suivirent leur chef ou se retirèrent.

C'est ici le premier exemple de ce long et inconcevable entraînement d'une armée, qui presque entière et en peu de jours fait défection à son souverain ; qui égarée par la perfidie de quelques chefs, prétend imposer au peuple un maître de sa façon; qui pour l'ambition d'un seul homme,

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appelle sur la patrie qu'elle devait défendre, des désastres et des calamités faciles à prévoir.

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On a dit (1) que le maire et quelques nota

bles proposèrent à Buonaparte de le conduire à » l'hôtel de la préfecture; qu'il le refusa en disant qu'il irait loger chez un brave homme de sa connaissance, nommé Labarre, qui tenait l'hôtel » des trois Dauphins. » La vérité est que le maire se trouvait en ce moment chez lui, qu'il ne parla point à Buonaparte, qu'il ne le vit point, et qu'il n'y eut ni convocation ni réunion de notables.

Buonaparte au reste descendit dans l'hôtel désigné par lai, et c'est cela même qui prouve qu'il n'avait point eu d'intelligences avec les autorités.

Aucune administration, aucun corps ne se présenta dans la soirée, pour le visiter ou pour prendre ses ordres.

La ville, sur-tout les édifices publics ne furent point illuminés; quelques chandelles approchées des fenêtres, çà et là, par des mains timides, dans les rues et au moment où des troupes passaient, ne sont pas des illuminations.

Le lendemain 8, Buonaparte étonné de la solitude où on le laissait, manda le préfet, le maire, annonça une revue, fit avertir les corps de l'heure où il comptait les recevoir.

Son audience fut froide quoique très-familière.

(1) Histoire de la révolution du 20 mars

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Il affecta particulièrement d'y parler de législation, de procédures, d'expropriations. Il causa beaucoup. Le préfet étant absent fut suspendu de ses fonctions.

Il ne lui fut fait aucune adresse ni par la ville, ni par aucun corps. Les principaux habitans à qui l'on fait mal à propos ce reproche (1), montrèrent la même réserve. On vit seulement quelques citoyens, au nombre de 78, les uns très-peu connus, les autres beaucoup trop (2), débiter à Buonaparte une harangue qu'il avait au moins revue et corrigée, s'il n'en était pas le principal auteur.

Maître de Grenoble, d'un parc de 200 pièces d'artillerie, de 60,000 fusils, d'une immense quantité de munitions, et voyant sa petite troupe accrue de 6000 hommes, Buonaparte qui y était arrivé en aventurier, et dont il était désormais difficile d'arrêter la marche, commença à faire l'empereur. Il y publia des proclamations datées du golfe Juan, et y fabriqua une multitude de décrets pour l'organisation des provinces qu'il venait de parcourir.

Sa nouvelle politique s'annonça dès ce moment: c'était celle d'un nouveau Spartacus plaçant toute sa confiance et sa force dans les prolétaires et dans des soldats mutinés. On vit tout-à-coup le des

(1) Histoire de la révolution du 20 mars, page 68. (2) Quotidienne du 11 octobre 1815.

pote le plus altier, le plus absolu qui fut jamais, feignant de s'humilier devant le peuple et l'armée, dire à tous deux : « Mon existence ne se compose » que de la vôtre; mes droits ne sont que les vô» tres; mon intérêt, mon honneur, ma gloire ne » sont autres que votre intérêt, votre honneur et >> votre gloire (1). » On vit une chose plus extraordinaire encore, une poignée de soldats parjures, étrangers, inconnus, la plupart sans patrie, prétendant donner des lois aux Français, publiant sous ses yeux des proclamations où l'insolence de cette soldatesque osait dire : tout ce qui a été fait sans le consentement du peuple ET LE NÔTRE est illégitime (2). Trompait-il les jacobins et l'armée ? ou n'en était-il lui-même qui l'instrument? C'est un secret qui a péri dans les champs de Waterloo.

Buonaparte ne séjourna à Grenoble que le temps dont il avait besoin pour recueillir les troupes disséminées autour de cette ville, et pour les envoyer devant lui sur la route de Lyon. Il mit d'ailleurs ce temps à profit pour faire accréditer par ses émissaires, la supposition d'un secret concert existant entre lui et l'Autriche. Le journal de l'Isère (n. 30) annonça hautement un courrier de l'Empereur,

(1) Proclamation à l'armée, datée du golfe Juan, le 1.er mars 1815.

(2) Proclamation des généraux, officiers et soldats de la suite de Buonaparte, datée aussi du golfe Juan le 1er mars.

parti de Grenoble, chargé de dépêches pour S. M. l'Empereur d'Autriche.

Enfin le 9 mars à 4 heures du soir, Buonaparte sortit de Grenoble et alla coucher à Bourgoin.

En quittant cette ville, il eut soin de faire aux habitans, comme il l'avait déjà fait à ceux des Hautes-Alpes, une proclamation insidieuse, où il paraissait se vanter, s'applaudir beaucoup de l'accueil qu'il y avait reçu : « Dauphinois, disait»il, le patriotisme et l'attachement de cette bonne » ville de Grenoble à ma personne, me sont par» ticulièrement connus. Vous avez rempli mon » attente.» Toutefois il savait mieux que personne à quoi s'en tenir; mais il importait à sa politique que l'on crût à l'empressement des premiers peuples qui s'étaient trouvés sur son passage, et que la supposition d'un tel exemple lui fit *ailleurs des prosélytes.

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