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Le préfet, à son tour, et le sous-préfet (i), refusant de se ranger sous les étendards du rebelle, n'hésitèrent point de faire au Roi et à l'honneur, le sacrifice de leurs places, de leur fortune, de leur repos, et se retirèrent. Le préfet fut remplacé par celui de l'Isère, le comte Fourier, le même qui, deux jours auparavant, avait été suspendu de ses fonctions.

Le nouveau maire, persuadé peut-être que sa magistrature lui imposait d'autres devoirs et l'attachait plus particulièrement aux destins de la cité, resta à son poste.

Pendant tous ces événemens, la place Bellecour fut occupée par les troupes qui y avaient été appelées pour la revue du matin. Soit qu'elles n'eussent point reçu d'ordre pour se retirer, soit qu'elles eussent refusé d'obéir, comme on le publia dans le temps, elles demeurèrent immobiles et en silence toute la journée, observant d'ailleurs à l'égard des habitans, une parfaite discipline.

Au moment où les hussards du 4. firent leur pointe au travers des barricades, et pénétrèrent dans la ville, on distribua aux troupes de la garnison qui occupaient la place Bellecour, un grand nombre d'exemplaires des proclamations datées du golfe Juan. Les soldats lisaient tranquillement et

(1) M. de Varenne de Fénille, aujourd'hui membre de la chambre des députés

N

se les passaient de main en main, toujours sans dire mot.

A cinq heures, les hussards et les corps qui s'étaient joints à eux, reprirent le chemin de la Guillotière, pour se porter au devant de leur Empereur.

Peu après, ils rencontrèrent les premiers corps venus de Grenoble, qui défilèrent devant eux et vinrent se loger dans la ville.

Enfin, sur les sept heures, Buonaparte se présenta à cheval, entouré de quelques soldats d'élite. Il trouva sur le pont de la Guillotière, le maire qui était allé, dit-on, lui présenter les clefs de la ville.

Son entrée fut remarquable. La plus hideuse populace, mêlée d'officiers en retraite et de quelques curieux, lui servit d'escorte durant toute sa marche, depuis l'entrée du faubourg de la Guillotière jusqu'au palais de l'archevêché où il descendit. Des cris de vive l'Empereur! ne cessaient de se faire entendre; mais ce n'étaient plus ces paisibles et touchantes acclamations qui n'avaient cessé d'accompagner MADAME et MONSIEUR, lorsque l'année précédente ils daignèrent visiter Lyon; c'étaient les hurlemens de cette multitude effrénée, aveugle en ses hommages comme en ses fureurs, qu'on appelle mal-à-propos le peuple, et qui n'en est que la lie et le rebut; c'étaient des cris de forcenés: vive l'Empereur! vive la mort! à l'échafaud les Bourbons! à bas la calotte! à bas le ciel ! vive

la liberté! vive l'enfer! à mort les royalistes! C'est à ces accens horribles et bizarres, la première et peut-être la plus cruelle satyre du nouveau règne qu'ils annonçaient, que Buonaparte est reconnu. Bientôt la ville n'offre plus que l'aspect d'une place prise d'assaut de toute part on ne voit que des soldats ivres, des gens sans aveu, des inconnus, des sans-culottes, tout le bourbier enfin de la révolution, se répandre comme un sale torrent dans les rues, sur les places, sur les quais, enfoncer ou frapper les portes au nom de Napoléon, ordonner d'illuminer, casser les vitres des maisons où l'on n'obéit pas assez promptement, briser des meubles, insulter les citoyens, répandre au loin la terreur, saccager les cafés réputés royalistes. Tout fut brisé au café Bergié, en haine sans doute du nom qu'il porte de café Bourbon. Au désordre de cette nuit épouvantable, on eût cru que toutes les prisons de la France, que les bagnes de Toulon et de Brest s'étaient ouverts sur Lyon : des officiers de la suite de Buonaparte ne purent s'empêcher le lendemain d'en faire la remarque ; et lui-même, honteux, surpris d'une si étrange cour, disait il y a bien : peu de luxe à Lyon. C'est, lui répondit un courtisan, que les Bourbons ont en dix mois ruiné la France. Et voilà ce qu'un écrivain digne du sujet, célébrait le lendemain dans le journal de Lyon, en s'écriant: HONNEUR, GLOIRE, PATRIE !..... Disons plutôt ô honteuse dégradation de l'esprit et du cœur humain ! & délire! N 2

Cet épouvantable cortége ne quitta point Buonaparte pendant tout son séjour. Il fut au contraire grossi par une foule d'habitans des campagnes venus du Dauphiné, de la Bresse, du Bugey, du Lyonnais; les uns peut-être en simples curieux, pour contempler l'ami du peuple, le défenseur de l'égalité, le grand libérateur des droits féodeaux et des dimes, mais la plupart avec des sacs, des bêtes de somme, des voitures, pour prendre part au pillage que leur avaient promis les amis de Buonaparte.

Que firent les magistrats dans ces tristes conjonctures? Méritèrent-ils le reproche d'infidélité qui leur a été fait dans divers ouvrages publiés sur la révolution du 20 mars? Donnèrent-ils lieu aux éloges bien plus offensans encore dont les souillèrent Buonaparte et ses amis pendant le règne des quinze semaines ? C'est aux faits de répondre.

Aucun corps, aucune autorité ne se porta au devant de Buonaparte pour lui faire les honneurs prescrits par les lois sur le cérémonial.

Aucun corps, aucune autorité, aucun des citoyens qui, l'année précédente, s'étaient rendus au palais avec tant de pompe et d'empressement pour y recevoir les princes français, ne s'y présentèrent pour accueillir l'étranger.

Il descendit dans un désert, si toutefois ce put être un désert pour lui, que ce palais dont les murs devaient lui retracer incessamment l'image impor

tune des Bourbons qui venaient de le quitter, et où l'air semblait vibrer encore des acclamations qui n'avaient cessé de les accompagner.

Le lendemain audience et revue deux spectacles que Buonaparte a toujours beaucoup affectionnés.

La revue précéda l'audience: près de dix mille soldats l'attendaient au milieu de la place Bellecour pour prêter entre ses mains le serment qu'ils venaient de violer envers le Roi. C'était là le premier et le principal appui de sa puissance, l'exemple et le signal de toutes les défections que ses émissaires avaient préparées ailleurs. Il se montra dans tous les rangs avec un visage radieux, se fit présenter ou nommer la plupart des officiers, causa familièrement avec beaucoup de soldats, et s'abandonna sans réserve à toute la joie que lui inspiraient leurs coupables transports.

Toute cette troupe prit à l'instant même la route de Paris; une foule d'officiers en retraite furent remis en activité et dirigés sur divers points. Le général Brayer, qui commandait la division, le général Mouton-Duvernet, qui avait fait son entrée à Lyon sous les aigles de Buonaparte, d'autres généraux encore qui étaient arrivés des départemens voisins, ne tardèrent pas de se précipiter à leur tour sur la capitale ; M. Viviand, chef de l'étatmajor de la subdivision de Clermont, et M. de Livet, adjoint à l'état-major de Lyon, furent les

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