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s'y opposer, et d'autant moins que tout acte de juridiction émané de lui dans l'intérieur d'une ville non occupée, serait en opposition avec les usages et les droits de la guerre.

De retour à Lyon, le comte de Chabrol fit demander au maréchal Suchet de convoquer à son quartier général, le préfet et le maire de l'interrègne, quelques chefs de la garde nationale, et plusieurs personnages influens des deux partis.

Cette réunion se forma, le 16 juillet, au quartier-général de Grange-Blanche. Fort des bons sentimens que le maréchal ne cessait de montrer, le comte de Chabrol combattit avec franchise, et dissipa les inquiétudes qu'on avait voulu donner à ce général sur les dangers d'une guerre civile ; il notifia en même temps aux divers fonctionnaires qu'il y trouva assemblés, sa rentrée dans l'exercice de son autorité, et la cessation de leurs fonctions (1) qu'ils ne pouvaient continuer sans se rendre coupables de forfaiture. Des objections furent faites; le maréchal lui-même se réunit au préfet pour les combattre et les écarter. Plusieurs de ces fonctionnaires, et particulièrement M. Pons, préfet, M. Jars, maire, M. Gaucel, adjoint, qui, plusieurs fois pendant le cours d'une administration orageuse, s'étaient montrés dignes par leur conduite de servir une meilleure cause, s'empressèrent de

(1) C'était une conséquence de l'ordonnance du 7 juillet.

donner l'exemple de la soumission, et remirent sur-le-champ au comte de Chabrol leurs démissions par écrit. La garde nationale fut provisoire ment maintenue dans sa composition actuelle.

Le lendemain 17, les chefs de bataillon et les capitaines de cette garde, convoqués à l'hôtel-deville, n'eurent point de peine à comprendre combien il importait à la cité d'entrer royaliste sous l'autorité passagère des alliés. Ils promirent le concours de leur autorité et de leurs bras pour protéger toutes les mesures à prendre, et ils tinrent parole.

En effet, des proclamations de la préfecture et de la mairie, imprimées dans la nuit précédente, furent affichées au milieu du calme le plus parfait (1); le drapeau blanc arboré sur tous les édifices publics, devint pour une multitude de citoyens comprimés jusqu'alors, le signal d'arborer à leur tour la cocarde blanche. La municipalité du Roi, convoquée aussi dans la nuit, s'était trouvée à son poste dès le point du jour, sous la présidence du préfet; la garde nationale, sous les armes, faisait le service le plus actif; les plus vives acclamations éclataient de toute part. A midi, tous les signes de la rebellion avaient disparu.

Un seul sujet d'inquiétude restait c'était la présence d'environ 1500 canonniers ou tirailleurs

(1) Voyez celle du préfet, pièces justificatives, n.o 10.

de la garde impériale qui occupaient la place Bellecour, avec un parc immense de l'artillerie évacuée des postes avancés, et dont l'esprit était excessivement séditieux. Ces soldats se livrèrent à des provocations lorsqu'ils aperçurent des cocardes blanches. On les isola, en établissant une espèce de cordon autour d'eux, et en faisant garder toutes les avenues de la place. La retraite de ces troupes fut bientôt ordonnée. Le maréchal avait eu la généreuse attention de ne point accorder de passage dans Lyon à la plupart des autres corps, lorsque les débris de son armée se dirigèrent du côté de la Loire. Les Autrichiens enfin firent leur entrée le même jour à six heures du soir.

Au milieu de tant de sujets de douleur, c'est une consolation de dire que cette dernière révolution s'opéra sans tumulte, sans vociférations, sans réactions, sans vîtres cassées, sans provocations, sans effusion d'une seule goutte sang. C'est ainsi que la bonne cause se distingua encore une fois, et qu'elle doit se distinguer toujours de celle des factieux.

A compter du moment de sa reddition, la ville de Lyon crut respirer un autre air, être rendue à une nouvelle vie. Quelque douloureux qu'il fût pour ses habitans de se trouver pour la seconde fois à la discrétion d'une armée étrangère, ils s'abandonnaient aux promesses solennelles des puissances, rassurés qu'ils étaient par

le souvenir du généreux usage qu'elles avaient fait de la victoire l'année précédente, et par les liens sacrés qui les unissaient à l'auguste allié qu'elles avaient replacé sur le trône; tandis qu'ils n'avaient connu que par des tortures sans mesure et sans terme, le règne cruel qu'avait prétendu recommencer Buonaparte. Trop heureux de retrouver sous l'antique et tutélaire bannière des lis, la paix, le repos et l'ordre bannis si long-temps de leurs murs, ils se résignaient sans peine aux sacrifices qui pouvaient les attendre.

Ces commencemens de bonheur, pourtant, ne furent pas sans mélange: si d'une part les troupes alliées se firent respecter et admirer par la plus rare discipline dans les soldats, par les plus nobles procédés dans la plupart des chefs; de l'autre, il faut avouer que leurs intendans ou gouverneurs civils manifestèrent des prétentions toutes différentes, et auxquelles la ville n'était préparée ni par la capitulation du 12 juillet, ni par la proclamation antérieure du général Frimont.

On usa à discrétion du droit de conquête, et l'on disposa de diverses propriétés du gouvernement qu'on avait promis de respecter.

On fit pour 12 ou 15 millions de réquisitions sous toutes sortes de prétextes, et on en poursuivit la levée par les moyens les plus violens, c'est-àdire, par des bataillons entiers envoyés en exécutions militaires, soit à l'hôtel-de-ville, soit chez les principaux habitans. Grâces à la résistance de

la mairie, à celle sur-tout du préfet, et à la géné→ reuse intervention du baron de Frimont, elles furent réduites à environ 1,800,000 fr., et il n'y eut plus d'exécutions miilitaires.

Les mesures que prit à son tour l'administration municipale pour couvrir ces réquisitions, et pour adoucir le poids des logemens militaires, en casernant les troupes, et en traitant avec des fournisseurs, à la décharge des particuliers, pour des rations dont le nombre était difficile à contrôler, eurent un effet tout opposé à celui qu'on s'en était promis, et aggravèrent les souffrances de la ville. La dépense portée à plus de sept millions, excéda presque du double la dépense proportionnelle de l'année précédente, soldée ou non soldée, et de plus du triple toutes les contributions directes de la cité; tandis qu'un grand nombre d'habitans ne cessa jamais de loger et nourrir des militaires, sur-tout des officiers. Pour faire face à de si grands besoins, il fallut recourir à des taxes directes, mal assises et mal réparties, comme il arrive trop souvent, encore plus pénibles à acquitter après tant d'autres sacrifices; et pour les percevoir, le maire se crut obligé d'imiter les étrangers, en se livrant aussi à des exécutions militaires (1).

(1) Ce n'est point dans de vaines et tristes pensées de censure que je rappelle ces souvenirs, mais uniquement pour compléter le tableau de nos malheurs.

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