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sur le point indiqué, sans les attendre, et établit son quartier-général à Grange-Blanche, plaçant la ville entre lui et l'ennemi.

Nécessaire ou non, ce mouvement parut au moins prématuré et excita un grand mécontentement dans les esprits. Ils achevèrent de s'exaspérer à la vue d'un ennemi audacieux qui, s'établissant dans les faubourgs de la Croix-Rousse et de St-Clair avec moins de 4000 hommes, montrait la prétention de se rendre maître, avec si peu de forces, d'une ville de plus de 100,000 ames.

De toute part, on criait aux armes; le préfet, la municipalité faisaient des représentations au général sur sa marche retrograde, lorsqu'un nouvel incident porta l'agitation à son comble: ce fut l'apparition d'un officier autrichien, précédé d'un trompette, qui se présenta en parlementaire (1) à la barrière St-Clair, demandant d'être conduit à l'hôtel-de-ville. Un piquet du poste le reçoit, l'accompagne, sans lui demander ses pouvoirs, l'introduit auprès du maire qui, n'ayant point de mandat pour écouter aucunes communications sur des choses dépendantes de l'autorité militaire, le dirige à pied vers le quartier-général, sous l'escorte de deux chefs de la garde nationale. L'officier s'avance à travers les flots d'un peuple innombrable qu'attire la nou

(1) Le 17 janvier.

l'étonne,

il

veauté du spectacle, et qui le presse, l'intimide. Parvenu au pont St-Vincent, dont plusieurs gendarmes lui disputent le passage, paraît se raviser, et déclare qu'au fait il n'a rien à dire au général, qu'il n'a que des dépêches à remettre. On commence alors à soupçonner, et depuis on ne tarda pas de reconnaître que le prétendu parlementaire n'était qu'un jeune audacieux, qui s'était présenté sans mission et à l'insçu de ses chefs. On le ramène au milieu des huées de la populace, excitées par des plumes de coq attachées à son casque; bientôt on entend le cri homicide, à bas, à l'eau, en Saône; il rentre enfin à l'hôtelde-ville, et il en était temps. Alors il remet des dépêches adressées au général, qui ne contenaient que des papiers insignifians; puis il demanda si la ville n'a rien à communiquer à ses chefs. On sait ce qu'autorisent les lois de la guerre en pareil cas; mais on eut pitié de sa jeunesse, et l'on se borna à lui répondre, par la bouche de l'un des adjoints, qu'au général seul il appartenait de communiquer avec les ennemis, et on le renvoya.

Le tableau que put faire cet officier au comte de Bubna, de sa réception et de tout ce qu'il avait vu, dut engager le général à la prudence.

Ce petit événement fut considéré par les habitans comme une espèce de provocation, et produisit une grande exaltation dans les esprits. Les

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malveillans s'en emparèrent, pour chercher à exciter du trouble, pour pousser les administrations à d'imprudentes mesures.

En effet, on vit deux jours après (1) un attroupement composé en partie de citoyens recom→ mandables qui ne respiraient que l'amour de leur pays, mais en partie d'agitateurs qu'animaient de tout autres sentimens : il se porta à l'hôtel-deville, demandant à grands cris que la ville fût mise en état de défense, que des armes fussent distribuées à tous les citoyens, et que la population toute entière se portât aux avant-postes. Tout ce qu'il y avait d'officiers municipaux à l'hôtel-deville se présenta au-devant de cette réunion tụmultueuse; elle fut reçue dans les bureaux de la police. M. de Laurencin, M. de Sainneville la haranguèrent successivement, et n'eurent point de peine à lui faire sentir l'inconvenance de sa démarche. L'attroupement se dissipa.

Toutefois de certaines rumeurs continuèrent de se faire entendre, et grossissaient de jour en jour, Une faction obscure, qui voulait à tout prix compromettre la ville dans les événemens de la guerre, ne cessait d'agiter le peuple, de dénigrer les magistrats, de semer la défiance et la discorde; l'esprit public commençait à se corrompre, l'opinion s'égarait, les plus grands maux étaient à

(1) Le mercredi 19 janvier.

craindre, une mesure extraordinaire devenait in

dispensable pour éclairer et ramener les esprits. Le maire convoqua, dans l'une des grandes salles de l'hôtel-de-ville, les officiers et sousofficiers de la garde nationale, et tous les citoyens à qui l'on supposait le plus d'influence sur les opiuions du peuple.

Mais, retenu par des affaires graves au commencement de cette réunion, il se fit suppléer par M. de Sainneville, qui, dans un discours improvisé, rendit à ses concitoyens assemblés le compte le plus exact de la situation de la ville, signala avec véhémence, d'un côté, les fautes du gouvernement qui avait jeté l'état dans une position si critique; de l'autre, les vues perfides des séditieux qui cherchaient à perdre la ville, en la trompant sur ses ressources et ses dangers, pour profiter des désordres qu'ils provoquaient. Puis, abordant d'une manière plus directe la demande indiscrète de s'armer, de se lever en masse, il fit sentir que, dans une cité populeuse où affluaient tant d'étrangers, les armes, si on en avait à distribuer, ne pouvaient l'être qu'avec un certain choix; mais qu'il était connu de tout le monde que la ville n'avait ni armes, ni munitions, ni soldats; que la défense de Lyon était à Paris, ou dans la grande armée; qu'après tout des registres étaient ouverts et à la mairie, et au quartier-général, pour y recevoir les enrôlemens; mais que toute démonstra

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tion hostile dans la cité, quand on n'avait aucun moyen de la soutenir, et quand toutes sortes de motifs conseillaient d'attendre l'issue politique de la grande lutte qui se trouvait engagée, ne pouvait servir qu'à provoquer les plus grands malheurs, sans qu'un tel dévouement pût en aucun cas em→ pêcher ni retarder la catastrophe quelconque qui se préparait ailleurs. Nous ne compromettrons, ajoutait-il, ni votre honneur ni votre sureté; prenez seulement garde de ne vous pas laisser tromper par les insinuations des méchans.

Ces paroles et la juste confiance qu'inspiraient personnellement les magistrats, touchèrent tout ce qu'il y avait d'hommes honnêtes dans cette assemblée; les autres, peu nombreux, craignant de dévoiler leurs secrètes pensées, gardèrent le silence, et chacun se retira paisiblement. A compter de cet instant, la confiance la plus parfaite fut rétablie entre les citoyens et les magistrats, et rien ne put plus l'altérer.

Cependant le maire n'avait point attendu une pareille levée de boucliers pour prendre les précautions qu'exigeaient les circonstances, et se prémunir contre un coup de main. Il avait fait un appel à une partie de la garde nationale de la ville, des faubourgs et des communes voisines, et cet appel n'avait pas été sans fruit (1).

(1) 18 janvier.

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