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paiement complet. Mais les choses ont changé ; les effets n'ont pu être négociés qu'à 80, ce qui a fait une différence de 6 millions. Messieurs, 6 millions peuvent être attendus, car il n'y a pas encore de liquidation; et ce n'est qu'à mesure que les liquidations viendront que les fonds pourront être successivement appliqués à leur destination. Cette circonstance, loin d'inspirer quelques craintes, doit fournir une preuve de l'intention où l'on est de satisfaire avec exactitude à tous les paiements. Ainsi, loin de trouver rien d'alarmant dans les circonstances qu'on vous présente, j'y puiserais un motif de sécurité de plus. D'abord, Vous y voyez la preuve de la ponctualité avec laquelle on a l'intention d'accomplir les engagements qui ont été contractés. Secondement, le concours effectif d'Haïti pour satisfaire elle-même à ce premier versement.

Je ne pense pas, Messieurs, qu'après ce qui vient d'être dit, vous ayez le moindre scrupule à adopter l'article 1er de la loi, du moins en se fondant, comme l'ont fait les orateurs auxquels je viens de répondre, sur l'incertitude qu'il pourrait y avoir dans l'exactitude de ces paiements.

M. Casimir Périer. Lorsque j'ai vu M. le ministre monter à la tribune avec tant d'assurance pour réfuter les différents faits que j'avais énoncés, j'ai cru qu'il allait déclarer que j'avais été induit en erreur, et que rien de ce que j'avais avancé ne se trouvait confirmé. M. le ministre des finances n'a réfuté aucuns des faits. (Murmures.) Il résulte de ce que j'ai dit qu'on a fait un prêt de 24 millions à 3 1/2 0/0 à trois ou quatre individus ; que ces individus seront dans le cas de payer dans une année, sauf un avertissement inutile de quelques jours d'avance.

M. le ministre des finances a raisonné ainsi : On nous reproche de ne nous être pas servi des 24 millions versés à la caisse des dépôts et consignations; et cependant, si nous l'avions fait, l'orateur n'aurait pas manqué de venir nous accuser d'avoir confondu la comptabilité du Trésor avec la comptabilité de la caisse des dépôts et consignations qui doit en être indépendante.

Est-ce bien un ministre des finances qui peut répondre ainsi? Comment ce n'est pas là ce que le Trésor a toujours fait ? Est-ce que la caisse des dépôts et consignations n'a pas sans cesse fait des transactions avec le Trésor? Lorsqu'elle a 15 à 20 millions en caisse, ne les prête-t-elle pas au Trésor public? Vous ne vous rappelez donc plus que, l'année dernière, j'ai reproché au Trésor d'avoir remboursé à la caisse des dépôts et consignations 12 millions qui ont été employés par cette caisse à racheter des rentes des individus dont je parlais tout à l'heure? Comment peut-on soutenir que les comptabilités seraient confondues parce que le Trésor aurait un compte courant avec la caisse des dépôts et consignations? Quand le Trésor emprunte 40 millions à la Banque, est-ce qu'il y a pour cela confusion de comptabilité? Non, sans doute : C'était une opération toute simple et qui vous aurait valu une économie considérable, mais ce n'était pas là ce qu'on voulait faire. Je suis sûr que M. le ministre des finances n'attache pas plus d'importance à ce qu'il vient de dire que j'en attache moi-même. Messieurs, il y avait d'autres intérêts à servir. On s'était laissé engager. Les circonstances sont venues. Ceux qui se voyaient écrasés par le système financier ont demandé ce qu'ils allaient faire pour payer. On leur a dit vous ne paierez pas. Car, on ne pouvait pas à la fois payer et envoyer des chariots d'or à

Londres. On leur a dit : Vous ne paierez pas. Nous allons vous prêter 24 millious à 3 1/2 0/0. C'est pour vous une très bonne affaire, puisque vous pourrez prêter à 7 et à 8 0/0. Voilà, Messieurs, où est l'abus. Mais vous ne ferez pas croire que, si Vous avez agi ainsi, c'était pour ne pas confondre la comptabilité du Trésor avec celle de la caisse des dépôts et consignations.

Je sais que la caisse des dépôts et consignations est obligée de payer un intérêt de 5 0/0 pour les fonds déposés. J'ai cherché vainement l'ordonnance en vretu de laquelle cette caisse peut prêter; et il m'a été impossible de la trouver, ce qui me ferait croire qu'elle n'existerait pas; comment avez-vous pu permettre au directeur de la caisse des dépôts et consignations de prêter 24 millions à 3 1/2 0/0 dans un moment comme celui-là, quand il pouvait en avoir 5 0/0 avec autant de garanties?

Pourquoi donner ce privilége à quelques individus, lorsqu'en appelant la publicité sur cette opération vous auriez eu en outre l'avantage de répartir ces 24 millions sur un plus grand nombre d'individus et de faciliter les escomptes de la Bourse de Paris, tandis que nos fonds ont été reportés sur la place de Londres à notre grand préjudice?

Je n'ai plus qu'un mot à dire. Les 30 millions n'ont pas été payés au 31 décembre, ainsi que le voulait l'ordonnance. Nous ne connaissions pas les motifs de ce non paiement; il aurait fallu, ce me semble, nous donner sur ce point une explication satisfaisante.

M. de Villèle, ministre des finances. Je demande pardon à la Chambre, mais je ne serai pas long. Je demanderai au préopinant si, en ce moment, le Trésor doit quelque chose à la Banque. S'il est obligé de convenir avec nous qu'il ne lui doit rien, il en résultera la preuve que, si le Trésor eût pris, comme il le lui indiquait, les 24 millions de la caisse des dépôts et consignations, il aurait 24 millions dont il paierait inutilement l'intérêt en ce moment. Ce n'est pas ainsi que j'opère.

M. de La Bourdonnaye. Y a-t-il des bons sur la place?

M. de Villèle. Il y a des bons sur la place, et il faut qu'il y en ait; mais il n'y en a pas pour 24 millions. Il y en a pour une somme nécessaire au public, afin qu'il ne perde pas l'habitude de prendre des bons royaux, et que nous puissions user de cette ressource, ainsi que nous l'avons fait à l'époque de la guerre d'Espagne. La caisse des dépôts et consignations est fort heureuse que nous voulions bien lui donner pour 12 à 13 millions de bons royaux en échange des écus qu'elle ne sait comment placer ailleurs. Mais, dans l'intérêt du Trésor, il est impossible de lui fournir pour une plus forte somme de bons royaux.

M. Casimir Périer a prétendu qu'il eût été très difficile aux prêteurs dont il s'agit de verser la somme pour laquelle vous leur avez donné un terme. Je répondrai à cela que l'emprunt a été contracté à 80, qu'une portion quelconque a été vendue 84 dans les 10 et 15 premiers jours, de sorte qu'on n'eût pas été très embarrassé de faire le paiement nécessaire à la caisse des dépôts et consignations. Mais, qu'en serait-i! résulté? Le contraire de ce que le préopinant a indiqué ! Au lieu de rendre par là les 24 millions à la circulation, vous les en auriez retirés. Car si vous aviez exigé le versement des 24 millions à la caisse des

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dépôts et consignations, vous les auriez bien réellement retirés de la circulation, avec l'embarras et l'incertitude de les placer ailleurs.

On nous a reproche de laisser sortir de la France des lingots d'or. La Chambre se rappellera que, l'année dernière, on nous faisait un reproche inverse. Ces lingots cosmopolites, nous disait-on, viennent sur la place de Paris pour faire de bonnes affaires à notre détriment. On a donc oublié, Messieurs, que ces lingots une fois engagés, ne peuvent partir qu'en échange d'autres sommes. Si nous recherchons ce qui a pu leur permettre de se dégager, nous en trouverons les véritables causes dans la situation commerciale de la France, dans sa situation financière, et dans la situation commerciale d'autres pays. Ces lingots représentaient des rentes qui ont été vendues par ceux qui les possédaient et qui se sont fait, par la vente de ces rentes, les moyens de dégager des fonds qui leur devenaient nécessaires ailleurs. Sous ce rapport, je ne vois pas quel dommage la France éprouverait en ce moment. Car les lingots étant venus à une époque où le cours de nos rentes était plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui, il a fallu pour les dégager vendre les rentes à un prix inférieur. C'est ce qui explique comment votre crédit a pu se trouver momentanément affecté, sans que pour cela les intérêts du pays aient été sacrifiés. Il était d'ailleurs tout simple que ceux qui pouvaient disposer de ces lingots les transportassent là où ils pouvaient les utiliser davantage que chez vous. Et pourquoi ? c'est que là plus que chez vous on a souffert de la crise qui s'est fait sentir partout.

M. Casimir Périer. Mais à quel taux était votre 3 0/0?

M. de Villèle. Vous me demandez à quel taux était le 3 0/0. Il était à 7 et 8 0/0 plus élevé, comparativement au 3 0/0 anglais."

M. Casimir Périer. Nous ne sommes pas Anglais.

M. le Président met aux voix l'article 1r du projet de loi. Il est adopté à la presque unanimité. Cinq ou six membres seulement se lèvent à la contre-épreuve.

La discussion s'établira demain sur l'article deux.

La séance est levée.

L'Assemblée se sépare à cinq heures et demie.

CHAMBRE DES PAIRS.
Séance du mardi 14 mars 1826,
PRÉSIDÉE PAR M. LE CHANCELIER.

A une heure, la Chambre se réunit en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance d'hier.

Lecture faite de ce procès-verbal, sa rédaction est adoptée.

L'ordre du jour appelle la suite de la délibération ouverte sur le projet de loi relatif aux contraventions, délits et crimes commis par des Français, dans les Echelles du Levant et de Barbarie.

M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et le conseiller d'Etat, commissaire du roi pour la défense de ce projet, sont présents.

M. le Président observe qu'au moment où la délibération a été interrompue, la Chambre venait d'adopter un amendement à l'article 1er du projet. Il restait à voter sur cet article même, modifié par l'amendement dont il s'agit. Voici les termes de l'article amendé.

Article 1er. Les consuls et vice-consuls des Echelles du Levant et de Barbarie continueront, dans les cas prévus par les traités et les capitulations, ou autorisés par les usages, d'informer sur plaintes, sur dénonciations et d'office, des contraventions, délits et crimes commis par des Francais dans l'étendue des dites Echelles; ils se conformeront à ce qui est prescrit à cet égard par l'édit du mois de juin 1778, sauf les modifications déterminées par la présente loi. »

Est réputée contravention, délit et crime, selon la gravité des cas, et conformément à la loi du 15 avril 1818, toute part quelconque qui serait prise par des sujets et des navires français, en quelque lieu, sous quelque condition et prétexte que ce soit, et par des individus étrangers, dans les pays soumis à la domination française, au trafic des esclaves, dans les Echelles du Levant et de Barbarie. »

Lecture faite de cet article, M. le président en met aux voix l'adoption provisoire; elle est votée par la Chambre.

L'article 2 est adopté sans discussion dans les termes du projet, qui sont les suivants:

« Art. 2. En cas d'absence du consul ou vice consul, le chancelier du consulat fera tous actes d'information, jusqu'à l'arrivée du consul ou de celui qui devra en remplir les fonctions. >>

La délibération est appelée sur l'article 3, ainsi

conçu :

Art. 3. Les agents consulaires dans les Echelles du Levant et de Barbarie donneront immédiatement avis au consul, ou à celui qui en remplit les fonctions, des contraventions, délits et crimes qui y seraient commis; ils recevront aussi les plaintes et dénonciations, et les transmettront à cet officier.

«Ils dresseront, dans tous les cas, les procèsverbaux nécessaires, ils saisiront les pièces de conviction, et recueilleront, à titre de renseignement, les dires des témoins, mais ils ne pourront faire des visites et perquisitions aux domiciles el établissements des inculpés, qu'après avoir reçu à cet effet une délégation spéciale du consul ou vice-consul. »

Sur cet article, la commission a proprosé de remplacer, à la fin du premier paragraphe, ces mots, et les transmettront à cet officier, par ceuxci: et les transmettront au consul. M. le président consulte d'abord l'Assemblée sur cette proposition,

Elle est combattue par M. le garde-des-sceaux, qui observe qu'un terme général est ici nécessaire, puisqu'il ne s'agit pas exclusivement du consul, mais du consul ou de celui qui en remplit les fonctions. La qualification d'officier paralt offirir à cet égard la généralité désirable, et le ministre en réclame le maintien.

Le commissaire du roi ajoute que l'édit de 1778, dont les rédacteurs du projet se sont fait un devoir de conserver les expressións autant que possible, emploie souvent celle d'officier, notamment dans l'article 7, qui commence par ces mots: Pourra néanmoins le consul, ou l'officier qui en remplira les fonctions, etc.

M. le marquis d'Orvilliers, rapporteur de la commission, déclare que, d'après les observations qui viennent d'être faites, la commission retire son amendement.

L'article 3 est en conséquence mis aux voix, et provisoirement adopté dans les termes du projet. Aucune réclamation ne s'élevant contre les articles 4, 5 et 6, ils sont pareillement adoptés pour la teneur suivante :

« Art. 4. Toute partie civile qui ne demeurera pas dans le lieu de la résidence du consul ou viceconsul saisi de la poursuite, sera tenue d'y élire domicile, par déclaration faite à la chancellerie du consulat; faute de quoi elle ne pourra se prévaloir du défaut de signification d'aucun des actes de l'instruction.

«Art. 5. Lorsqu'il s'agira d'un délit, l'inculpé ne pourra être mis en détention qu'autant qu'il ne sera pas immatriculé, et que le délit emporterait peine d'emprisonnement.

« Néanmoins, la mise en liberté provisoire sera accordée, en tout état de cause, si l'inculpé offre caution de se représenter, et élit domicile au lieu ou siège le tribunal consulaire.

α « Le cautionnement, dans ce cas, ne pourra être au-dessous de 500 francs, ni au-dessus de trois mille francs; s'il y a partie civile, ce cautionnement devra être augmenté de toute la valeur du dommage présumé, telle qu'elle sera provisoirement arbítrée par le consul.

Les vagabonds et les repris de justice ne pourront, en aucun cas, être mis en liberté provisoire.

Art. 6. Les reproches contre les témoins pourront être proposés, en tout état de cause, tant après qu'avant la connaissance des charges: l'inculpé aura aussi, en tout état de cause, le droit de proposer les faits justificatifs; et la preuve de ces faits pourra être admise, bien qu'ils n'aient été articulés ni dans les interrogatoires, ni dans les autres actes de la procédure.

La délibération s'établit sur l'article 7, conçu en ces termes :

« Art. 7. Les procès-verbaux d'information. seront cotés et parapbés à chaque page par le consul, et seront clos par une ordonnance qu'il rendra, soit pour renvoyer à l'audience, dans le cas où il s'agirait seulement d'une peine correctionnelle ou de simple police, soit aux fins de procéder au récolement et à la confrontation, lorsqu'il pourra échoir peine afflictive ou infamante.

Lecture faite de cet article, M. le marquis de Lally-Tolendal demande et obtient la parole.

M. le marquis de Lally-Tolendal (1). Messieurs, je reconnais la nécessité de la loi qui vous est proposée. Ainsi qu'un noble comte (2) accoutumé à fixer l'attention et à éclairer les décisions de la Chambre, surtout en pareille matière, je rends l'hommage le plus explicite et le plus sincère à la sagesse de cette loi, au travail dont elle a été le fruit, à l'esprit de justice et de modération qui la caractérise. J'ai joui de voir un de ses articles principaux encore amélioré par les justes égards qu'ont eus les ministres de S.M. pour les observations d'un noble duc (3) et d'un noble comte (4) dont les noms seuls étaient un puissant argument en faveur de leurs réclamations. J'ai spécialement applaudi à l'ar

(1) Le discours de M. le marquis de Lally-Tolendal est incomplet au Moniteur.

(2) M. le comte de Pontécoulant. (3) M. le duc de Rivière.

(4) M. le comte de Saint-Priest.

ticle 6 que nous venons d'adopter, qui restitue à l'accusé le droit de proposer des reproches contre les témoins dans toutes les phases du procès. La pratique contraire était un des plus grands vices de l'ordonnance criminelle de 1670, très louable sous plusieurs rapports mais non pas certainement dans ce qu'elle conservait de cette ordonnance Guillelmine qui avait réglé avant elle la condition, c'est-à-dire l'oppression des accusés, et que l'indigne chancelier Guillaume Poyet avait industrieusement combinée pour faire condamner l'innocent et illustre ami de François Ier, l'amiral Chabat.

Je voudrais, nobles pairs, que l'article 7, sur lequel nous délibérons actuellement, présentât le méme degré de perfection que celui qui le précède. J'ai à vous soumettre sur ce point quelques observations importantes et à solliciter de Vos Seigneuries un amendement que je pourrais n'appeler qu'un développement tant il va entrer dans l'esprit de la loi. Mais ce développement est nécessaire.

Plus on est obligé de retrancher de garanties à l'accusé dans la forme de procédure criminelle que nous allons établir, plus il est juste et indispensable de renforcer les garanties qui lui reste

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Nous allons rentrer dans celle qui se pratiquait avant 1789, où le témoin isolé déposait entre un commissaire qui, la plupart du temps, l'interrogeait, et un greffier qui écrivait la déposition sous la dictée du commissaire qui la résumait.

Or, je sais, et je ne sais que trop, ce que peuvent devenir des témoignages ainsi rédigés, Je sais comment une déposition pleine de balourdises, dans la bouche d'un témoin mal appris, devenait tout à coup un morceau d'éloquence probante dans le résumé du commissaire qui dictait et sous la plume du greffier qui écrivait. Je sais que, dans de certains procès, les choses ont été poussées à ce point que des témoins de cette trempe, confrontés à l'accusé et interpellés par lui sur ce qu'ils étaient censés avoir déposé, ne savaient pas ce dont on leur parlait, et réduisait le commissaire de la confrontation, qui n'était pas le même que celui de l'information sur quoi, interpellé de répondre, le témoin a dit qu'il n'avait rien à dire.

Et ce qui ajoutera encore à la surprise, c'est qu'au sortir d'une telle confrontation le personnage si évidemment suborné restait encore témoin au procès, et que sa déposition comptait dans un rapport qui concluait à la mort de l'accusé!

Les cas de cette espèce n'étaient pas sans doute fréquents; mais ils n'étaient pas non plus aussi rares qu'on pourrait le penser, surtout dans les procès politiques, foyer de toutes les passions, de toutes les préventions, de toutes les corruptions.

Je n'accuse pas indistinctement; je n'incrimine pas les intentions de tous ces commissaires informateurs. Sans doute, beaucoup croyaient servir ainsi la vérité, mais tous la trahissaient; quelques-uns hélas en le voulant; les autres sans le vouloir et sans le savoir.

Maintenant, nobles pairs, qu'il me soit permis

de vous adresser une question. Ces abus dont les plus hauts degrés de notre civilisation n'ont pas pu se préserver, croyez-vous que les Echelles de Barbarie soient inaccessibles pour eux ? Dans cet archipel dont une peinture aussi vraie qu'effrayante nous a été tracée hier, par mes deux nobles collègues de Gand (1) et de Bordeaux (2) et que j'appellerai désormais les Las-Casas des législateurs; dans cette contrée où l'air seul qu'on y respire est mortel pour la justice et l'humanité, croyez-vous impossible qu'un seul consul, qu'un seul notable consulaire se trouve, par une cause ou par une autre, atteint de quelque partialité, pour ne rien dire de plus, en faveur d'un esclave ou si l'on veut d'un sujet, d'un agent accrédité de celui qu'on appelle notre vieil et grand ami, auquel j'avoue que j'en préfèrerais un plus nouveau et moins grand ou du moins n'abusant pas de sa grandeur pour torturer et déshonorer l'espèce humaine (3)?

Je ne m'étendrai pas ici davantage. J'en ai dit assez, nobles pairs, pour justifier la proposition que je soumets à Vos Seigneuries d'ajouter au commencement de l'article 7 une phrase très courte, qui s'y rattacherait tout naturellement avec lui et en serait le complément.

Cette phrase à laquelle la justice éclairée, la justice humaine de M. le garde des sceaux (qui la connaît mieux que moi) ne trouvera certainement pas d'objection, la voici :

Les dépositions seront recueillies de la bouche des témoins et textuellement écrites par le greffier telles que le témoin les prononcera en style direct, etc.

En style direct, c'est-à-dire : j'ai vu... j'ai été... l'accusé m'a dit... j'ai répondu... etc.

Qu'on ne dise pas que la diversité des langues qui pourront être parlées dans ces procès est un obstacle à la précision que je demande. Lorsqu'un témoin aura dit dans une langue : j'ai vu, l'interprète, qui doit être son écho fidèle et littéral, dira dans une autre langue: j'ai vu, et la loi sera satisfaite.

Divers membres appuient l'amendement proposé.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, déclare qu'il n'a aucune objection à faire contre le principe; quant à la rédaction, il désirerait qu'on en retranchât les exemples, et même les mots : le style direct, qui lui paraissent superflus, puisque le témoin dépose toujours en style direct et qu'on oblige le greffier à écrire la déposition textuellement et telle que le témoin l'aura prononcée. Avec cette correction, le ministre est prêt à adopter l'amendement.

M. le marquis de Marbois demande si, dans la circonstance dont il s'agit, le consul ou celui

(1) M. le vicomte de Châteaubriand. 2) M. le vicomte Laîné.

(3) Croyez-vous (aurais-je pu ajouter) que, dans un procés qui s'élèverait entre un des défenseurs heroiques de Missolonghi et un de ces chrétiens renégats enrôlés sous les drapeaux de Mahomet, tous les témoignages qui s'élèveraient en faveur du premier et à la charge du second, seraient bien fidèlement consignés dans le procès-verbal d'instruction, si le juge instructeur y résumait à son gré les dépositions; s'il était maître, tantôt de les attenuer, tantôt de les aggraver, cédant un jour à la peur qu'il aurait du vieil ami, et un autre au désir secret et intéressé de lui plaire?

qui le remplace est réellement assisté d'un greffier, et si cette qualification est ici suffisamment motivée.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, observe qu'en pareil cas le consul, ou celui qui le représente, est assisté d'un drogman faisant fonction de greffier, ainsi que l'exprime l'article 75 de l'édit de 1778. L'article 72 du même édit le qualifie greffier en fonction. Cette qualification a doncici un motif suffisant, et tout à l'heure on va la trouver employée dans l'article 8 du projet, où il est dit que lecture sera faite séparément et en particulier à chaque témoin de la déposition par le greffier en fonction. On jugera peut être à propos d'employer la même expression dans l'amendement.

M. le marquis de Lally-Tolendal, adoptant les observations du ministre, présente la rédaction suivante de l'amendement qu'il propose : « Les dépositions seront recueillies de la bouche des témoins, et textuellement écrites par le greffier en fonction, telles que le témoin les aura prononcées. »

Cette rédaction, mise aux voix par M. le président, est adoptée par la Chambre, et formera un premier paragraphe en tête de l'article 7.

La Chambre adopte provisoirement cet article ainsi modifié.

L'article 8 est adopté sans discussion dans les termes du projet, et pour la teneur suivante :

«Art. 8. Le procès-verbal de récolement des témoins sera coté et paraphé sur toutes les pages par le consul. Lecture sera faite séparément et en particulier à chaque témoin de sa déposition par le greffier en fonction, et le témoin déclarera's'il n'y veut rien augmenter ou diminuer, et s'il y persiste. Pourra le consul, lors du récolement, faire de nouvelles questions aux témoins pour éclaircir ou expliquer les réponses qu'ils auront faites dans leurs dépositions. Les témoins signeront leur récolement, ou déclareront qu'ils ne savent ou ne peuvent signer, et sera aussi chaque récolement signé du consul et du greffier en fonction. »

M. de Peyronnet, garde des sceaux, lecture faite de l'article 9, croit devoir appeler spécialement l'attention de la Chambre sur la disposition toute nouvelle que présente cet article, et dans laquelle on voit une nouvelle preuve du soin qu'ont mis les rédacteurs du projet à procurer à l'inculpé toutes les garanties désirables. Jusqu'à ce jour, il n'avait pas la faculté de se faire assister d'un conseil lors de la confrontation. Cette faculté importante lui est accordée par l'article 9, et pour lui en faciliter l'usage, il doit être averti au moins trois jours d'avance. Une pareille disposition ne peut manquer d'obtenir les suffrages de la Chambre, et méritait peut-être d'être signalée à son humanité.

Aucun amendement n'étant proposé sur l'article 9, cet article est provisoirement adopté ainsi qu'il suit :

Art. 9. Trois jours au moins avant la confrontation, il sera notifié à l'inculpé copie de l'information, avec indication du jour fixé pour ladite confrontation, et avec avertissement de la faculté qu'il aura de s'y faire assister par un conseil.

« Ce conseil pourra conférer librement avec l'inculpé. Il aura, lors de la confrontation, le droit de faire aux témoins, par l'organe du consul, toutes interpellations qui seront jugées nécessaires pour l'éclaircissement des faits ou pour l'expli

cation de la disposition; mais il ne pourra parler au nom de l'inculpé, ni lui suggérer aucuns dires ou réponses, ni interrompre le cours de sa déposition.

« Avant de procéder à la confrontation, le consul recevra séparément le serment de chaque témoin, en présence de l'inculpé. »

M. le Président met en délibération l'article 10, ainsi exprimé :

«Art. 10. Lorsqu'un témoin ne pourra se représenter à la confrontation, il y sera suppléé par la lecture de sa déposition. Cette lecture sera faite en présence de l'inculpé et de son conseil, dont les observations seront consignées dans le procèsverbal. ›

Sur cet article, la commission, dans son rapport, a proposé un amendement de rédaction, qui consisterait à substituer à ces mots : Lorsqu'un témoin ne pourra se représenter, ces autres mots : Lorsqu'un témoin sera dans l'impossibilité de se représenter.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, déclare qu'il ne peut apercevoir aucune différence pour le sens entre la phrase du projet et celle qu'on propose de lui substituer. Le changement serait donc sans motif, et, par cette raison, il croit devoir insister sur le maintien du projet.

L'amendement est mis aux voix et rejeté.

La Chambre adopte l'article 10 dans les termes du projet.

Sa délibération est ensuite appelée sur l'article 11, dont voici les termes :

Art. 11. L'instruction terminée, le tribunal consulaire, composé du consul ou de celui qui en remplira les fonctions, et de deux sujets du roi, choisis parmi les plus notables qui se trouveront dans le ressort du consulat, statuera ainsi qu'il suit:

«Si le fait ne présente ni contravention, ni délit, ni crime, ou s'il n'existe aucune charge, il sera déclaré n'y avoir lieu à suivre, et l'inculpé, s'il est détenu, sera mis en liberté.

« Si le fait ne constitue qu'une contravention ou un délit, et s'il y a charges suffisantes, le prévenu sera renvoyé à l'audience.

« Si le fait emporte peine afflictive ou infamante, et si la prévention est suffisamment établie, une ordonnance de prise de corps sera rendue contre le prévenu.»

Un amendement proposé par la commission sur cet article, avait pour objet, en premier lieu, de statuer d'une manière explicite que les notables, qui devraient avec le consul composer le tribunal consulaire, seraient choisis par le consul; et, en second lieu, d'ajouter à l'article une disposition en vertu de laquelle, dans les lieux où il ne se trouverait pas de notables, le consul serait autorisé à procéder seul.

M. de Peyronnet, garde des sceaux, observe que si l'on n'a pas cru devoir insérer dans l'article l'énonciation expresse que les notables seraient choisis par le consul, c'est que cela résultait suffisamment des termes mêmes de l'article; puisque évidemment le droit de désigner les membres du tribunal consulaire ne peut appartenir à un autre qu'à celui qui le convoque et le préside, et qui d'ailleurs est le seul fonctionnaire sur les lieux à qui ce droit puisse être conféré. L'amendement est donc inutile, quant à cette première partie.

M. le comte de Tournon, membre de la com

mission, croit devoir rappeler le motif qui l'avait porté à désirer une disposition plus explicite. Les Français qui habitent les Echelles sont autorisés, par les anciens édits à se réunir en corps de nation, et à nommer des députés pour les représenter dans les affaires qui présentent un intérêt général. Peut-être quelqu'un aurait pu penser que c'était par ces députés que devaient être choisis les notables, et c'était pour éviter toute équivoque, que l'on avait cru devoir exprimer formellement que c'était au consul que le choix appartenait, ainsi que cela s'observait sous l'édit de 1778.

M. Jacquinot-Pampelune, conseiller d'Etat, commissaire du roi, estime que si, sous le régime de l'édit, aucune dificulté ne s'est jamais élevée à cet égard, il n'est pas à craindre qu'il s'en élève d'avantage, en supposant le maintien de l'article 11, tel qu'il existe au projet, puisque cet article est littéralement copié en ce point sur l'article 6 de l'édit, qui n'énonçait pas non plus par qui le choix devait être fait. Quant à la seconde partie de l'amendement, elle a pour objet d'autoriser le consul à procéder seul dans le cas où il ne se trouverait pas de notables. A cet égard, l'édit de 1778 contenait une disposition qui, n'étant pas abrogée par la loi nouvelle, pourrait paraître suffire; mais comme l'article 7 où elle se trouve est relatif aux matières civiles, il peut être avantageux d'en faire l'objet d'une disposition dans la loi qui règle la procédure criminelle. Le commissaire du roi appuierait donc en ce point l'amendement de la commission; mais il pense qu'il serait bon d'en faire un paragraphe additionnel à l'article. Il proposerait de rédiger ainsi ce paragraphe :

Dans le cas où il y aurait impossibilité de réunir des notables, le consul ou celui qui en remplira les fonctions, procédera seul, suivant les formes prescrites par le présent article, à la charge de faire mention de cette impossibilité dans son ordonnance. »

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Elle adopte ensuite le paragraphe additionnel proposé par le commissaire du roi, et auquel le rapporteur de la commission a déclaré se réunir.

Un autre amendement avait été proposé à cet article par M. le comte de Saint-Priest, entendu le premier dans la discussion générale. Cet amendement avait pour but d'ajouter à l'article un paragraphe additionnel ainsi conçu :

A Constantinople, le tribunal consulaire sera composé de l'officier faisant fonction de chancelier de cette Echelle, et de deux sujets du roi, choisis par l'ambassadeur parmi les notables qui se trouveront dans le ressort du consulat de ladite Echelle. »

M. de Peyronnet, garde des sceaux, observe que si une disposition spéciale pour la résidence de Constantinople était nécessaire dans le système

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