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Un an plus tard, mettant à profit l'alliance franco-russe, nous continuàmes la campagne dans notre revue et dans quelques autres journaux qui voulurent bien nous aider de leur publicité à toute occasion propice.

Voici un des articles que nous publiâmes à ce moment :

Vive la Russie! Vive la France! et les foules, et les débordements d'enthousiasme d'un peuple bon enfant, et la Fête nationale avec son orgie de drapeaux français et russes et aussi d'écussons....

Des écussons, c'est là précisément où nous voulions en venir. L'écusson russe, avec son aigle noire sur fond jaune ou or, toute la France le connait à présent — mais l'écusson français?

Avions-nous raison de dire l'année passée qu'il était absolument nécessaire d'en reconnaitre un officiellement.

L'imagination des décorateurs en a créé une vingtaine pour la circonstance et lorsque, pour les réceptions, les fêtes, les galas il a fallu des armoiries faisant pendant à celles de nos amis, on a arboré les écussons des villes de Paris, de Toulon, de Lyon et de Marseille. Pour symboliser la France on n'a trouvé que le pauvre RF sur fond d'azur et, encore, a-t-on dit aux marins que cela signifiait Russie et France, comme on disait autrefois que c'était aussi bien Royauté Française que République Française.

D'ailleurs on n'a pas abusé de ces armoiries, préférant celles des villes qui sont bien plus décoratives.

Et personne n'a pensé au coq gaulois! Notre campagne de l'année passée avait pourtant joliment réussi : plus de cent journaux, grands et petits, avaient reproduit nos articles, presque tous nous donnant leur approbation, puis on a pensé à autre chose et le coq est resté aux archives.

Il nous semble qu'il faut secouer l'indifférence de nos concitoyens et pour cela voici ce que nous avons comploté :

Nous avons réuni toute une collection de documents, depuis des citations de Jules César jusqu'aux chansons de Béranger, et des images, gravures et photographies prouvant que Louis XIV, Louis XVI et Napoléon Ier ont considéré le coq comme l'emblème de la France. Il en est de même de plusieurs artistes modernes, y compris les sculpteurs du monument de Gambetta et de celui inauguré dernierement en l'honneur de Théophraste Renaudot, dont un superbe coq orne le piédestal.

Nous avons des plaques de coiffures militaires, des poignées de sabres, des médailles, des assignats et d'admirables gravures de la Révolution où le coq se retrouve constamment.

Et encore des caricatures que nous décoche l'étranger, l'Italie principalement, où toujours la France est représentée par un coq ou une femme travestie en coq.

Tout cela est destiné à une brochure que nous ferons paraitre, mais quand!

En attendant, notre musée va être installé dans une valise (1). Il nous servira comme pièces de démonstration pour une conférence d'un quart d'heure que nous irons faire à domicile, afin de solliciter en faveur du coq gaulois le plus grand nombre possible d'adhésions parmi le monde politique, militaire, artistique, littéraire, savant, etc.

Et lorsque nous aurons réuni un nombre suffisant de signatures, nous adresserons une pétition à la Chambre des Députés et, si nous échouons là, nous aurons recours à un moyen magique qui ne peut pas manquer son effet.

Nous répondons que la France aura son écusson national... pour l'Exposition Universelle de 1900.

Vive l'aigle russe!

Vive le coq gaulois!

En 1899, nous pùmes continuer avantageusement notre campagne grâce à l'apparition de la nouvelle pièce de 20 francs, gravée par Chaplain et qui porte un grand coq gaulois. Cet événement, nous pouvons dire que nous l'avons provoqué. Au sein d'une Commission qui tint plusieurs séances à l'occasion du concours pour la création d'un nouveau type de timbre poste, nous eûmes l'honneur d'avoir pour collègues MM. Chaplain et Roty et nous en profitàmes pour les entretenir directement de nos projets de restauration du coq gaulois et leur adresser ce que nous avions déjà publié à ce sujet. Ces conversations laissèrent, sans doute, une impression favorable dans l'esprit des éminents graveurs, puisque diverses médailles de M. Roty parurent depuis avec le coq gaulois, et que M. Chaplain obtint de l'Etat de le faire figurer sur les nouvelles pièces d'or.

Voici l'article paru à cette occasion dans Le Collectionneur du 31 mars 1899 :

Pour se distinguer les unes des autres, sur leurs vignettes postales comme sur leurs monnaies, les nations choisissent des images synthétiques qui sont généralement, pour les monarchies, l'effigie du souverain, laquelle, à peu d'exceptions près, reste immuable quelle que soit la longueur du règne. Plusieurs républiques, comme celle des États-Unis, présentent aussi les effigies des anciens pré

(1) Aujourd'hui, notre musée a pris de l'extension; il se compose de plus de 1,000 pièces et occupe un vaste local.

sidents et des citoyens illustres; mais, la règle, qui n'a été transgressée que par quelques ambitieux, veut, dans les républiques, que cet honneur soit posthume.

Au lieu de l'effigie, ou concurremment avec elle, on voit encore les armoiries de la plupart des nations quelle que soit leur forme de gouvernement.

Enfin plusieurs pays, et la France est du nombre, ont choisi l'allégorie qui a le défaut d'être banale, c'est-à-dire de pouvoir, par un simple changement d'inscription, servir aux uns ou aux autres. C'est pourquoi, cherchant les dessins qui pourraient le mieux convenir à nos timbres-poste, j'ai constaté que la République française, seule de toutes les nations, n'a pas d'armoiries et j'ai cherché, dans la mesure de mes moyens, à combler cette singulière lacune, résultat des changements nombreux de régimes qui se sont succédé dans notre pays depuis un siècle. Et dans ce journal, j'ai proposé de reprendre l'antique emblème de la France: le coq, et de le mettre officiellement dans l'écusson bleu au lieu de l'insuffisant monogramme R. F. qui a remplacé les fleurs de lis et l'aigle.

Cette idée a été discutée dans les grands journaux, la plupart l'ont acceptée, d'autres l'ont combattue et il s'est de la sorte créé un mouvement qui eut pour résultat de décider plusieurs artistes à se servir du coq gaulois pour personnifier la France.

De ce nombre furent, très heureusement, d'abord M. Daniel Dupuis, qui sur les nouvelles monnaies de cuivre mit un coq au casque de la France et aujourd'hui M. Chaplain, dont la pièce de 20 francs porte au revers un grand coq qui soulève de nouveau la polémique.

Une note parue dans le Figaro et reproduite par divers journaux, critique en ces termes le choix du coq gaulois :

« Ce n'est pas la faute de M. Chaplain, si au revers de cette pièce figure un grand coq qui n'a nullement le caractère héraldique et qui consacre une erreur historique trop souvent renouvelée. Depuis un siècle, tous les savants et tous les numismates ont protesté contre l'idée de faire du coq l'emblème de l'ancienne Gaule devenue la France ».

Or, il importe de ne pas laisser passer sans réplique de telles affirmations qui sont elles-mêmes autant d'erreurs.

Ce qu'on voudrait, à n'en pas douter, c'est restaurer les fleurs de lis dans l'écusson national, en attendant mieux. On prétend nous faire croire qu'elles sont devenues notre emblème, par leur long usage et parce qu'on les a quelquefois appelées les armes de France. Le sens populaire ne s'y trompe pas; qu'il y ait une ou plusieurs fleurs de lis, c'est pour lui, avec le drapeau blanc, le symbole de nos rois dechus. Tous les Bourbons, qu'ils soient de Naples, d'Espagne ou d'ailleurs, n'ont-ils pas dans leurs blasons les trois fleurs de lis d'or sur champ d'azur?

Il semble vraiment qu'en affirmant que le coq gaulois est l'emblème de la France, on proclame une des vérités de M. de la Palisse et pourtant cette affirmation est à toute occasion combattue par quelques personnalités dont l'avis trouve de l'écho et empêche de résoudre la question intéressante d'un écusson national officiel. Il est certain que le coq gaulois a subi, dans notre siècle, des vicissitudes qui eussent pu l'anéantir complètement; mais sa tradition est solidement enracinée, aussi bien en France qu'à l'étranger, et ce sont les artistes toujours qui nous y ont ramenés.

Et, c'est en collectionnant les documents gravés, peints ou sculptés où le coq national est représenté, que j'ai établi ma propre conviction. Ma collection, qui compte déjà un nombre considérable de pièces, en dit plus que toutes les dissertations. Voici des exemples puisés en grande partie dans mes propres documents...

Ces exemples font le sujet de la seconde partie de cette étude et nous y renvoyons le lecteur; disons, qu'en 1899, grâce aux nombreuses gravures qui les accompagnaient, ils impressionnèrent vivement le public et qu'une fois de plus il en fut question dans la presse.

L'opinion publique était définitivement saisie, et peu à peu notre campagne en faveur du coq gaulois devait porter ses fruits, ainsi que nous l'indiquions dans un article sur l'Exposition publié dans Le Collectionneur d'octobre 1900:

« Je ne voudrais pas, disais-je alors, laisser se clore l'Exposition Universelle sans lui consacrer l'article philatélique de rigueur. On me permettra de constater d'abord que le Collectionneur de Timbres-poste a, sans en avoir l'air, remporté un des plus jolis succès de l'Exposition. Je ne plaisante nullement et je demande à mes anciens et fidèles abonnés de se reporter aux années du journal que je vais indiquer, je demande aux nouveaux de vouloir bien suivre un instant ma démonstration.

Suit un résumé de notre campagne dont le lecteur connait l'origine. Nous ne reproduisons par conséquent de cet article que les faits nouveaux, en premier lieu, le résumé de nos conversations avec des hommes politiques:

Je pus alors conférer directement, et à plusieurs occasions, avec des personnalités marquantes de la politique: M. Clémenceau, qui était le grand leader de l'opposition; M. Siegfried, ministre du commerce; M. Fallières, garde des sceaux; M. Mesureur,

député, etc.; mais je m'aperçus bientôt que de ce côté je n'obtiendrais rien que des paroles aimables, nul ne se souciant de soutenir un emblème accusé d'orléanisme. Cependant M. Mesureur m'écrivit une lettre dont je détache le passage suivant :

« J'ai lu avec le plus grand intérêt votre article sur : Ce qu'il fau drait faire, et je partage votre sentiment sur les avantages que présenterait un type unique, pour la représentation officielle de la République Française, sur sa monnaie, sur ses timbres et papiers timbrés de toutes les sortes, ainsi que sur les écussons décoratifs.

Je ne puis que souhaiter qu'un artiste rencontre un jour l'inspiration heureuse qui nous donnera ce type idéal, et surtout que nos gouvernants se rendent compte de l'importance de cette manifestation matérielle de notre régime politique aux yeux de l'étranger et aussi de nos concitoyens. »

Alors je tournai mes batteries du côté des artistes, des décorateurs et des architectes de qui dépendait vraiment le succès de la campagne. On connait le joli coq que me dessina M. Vollon.

Survint bientôt la frappe des médailles de Roty et la nouvelle monnaie de Chaplain.

De ce jour la partie était gagnée, malgré la polémique que recommencérent les journaux hostiles. Un article illustré que je publiai en 1899 dans L'Éclair et aussi dans Le Collectionneur démontra, avec une quantité de documents tirés de ma propre collection, que les détracteurs intéressés de l'emblème national étaient dans l'erreur; ils ne répondirent d'ailleurs plus, l'affaire étant jugée (1.

Je me gardai bien de chanter victoire. Je sais, par expérience, que pour faire triompher une idée, il faut, après l'avoir lancée, la laisser, autant que possible, faire son chemin toute seule. On doit seulement profiter des moments opportuns pour la pousser dans le bon chemin. Ainsi, cette idée se répand, est assimilée, et beaucoup arrivent à croire qu'elle est leur, à ce point qu'ils vous sauraient mauvais gré de leur rappeler qu'elle a pu leur être suggérée.

Il est si vrai qu'un emblème national était indispensable, que cette année, les architectes, les sculpteurs et les peintres, ne craignant plus de se tromper ont, à l'Exposition Universelle, mis des coqs partout.

A la précédente Exposition, je n'avais pu en signaler qu'un seul, qui faisait partie de la décoration des fontaines lumineuses.

(1) Je le croyais tout au moins, mais la polemique a recommence depuis (voir page 33.

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