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dénaturés, on méconnait tellement l'esprit public, qu'on ose dire, à vous-mêmes, à la face du peuple qui nous entend, qu'il est des préjugés antiques qu'il faut respecter comme si votre gloire et la sienne n'étaient pas de les avoir anéantis, ces préjugés que l'on réclame! qu'il est indigne de l'Assemblée Nationale de tenir à de telles bagatelles, comme si la langue des signes n'était pas partout le mobile le plus puissant pour les hommes, le premier ressort des patriotes et des conspirateurs pour le succès de leurs fédérations ou de leurs complots!

On ose, en un mot, vous tenir froidement un langage qui, bien analysé, dit précisément :

Nous nous croyons assez forts pour arborer la couleur blanche, c'est-à-dire la couleur de la contre-révolution (la droite jette de grands cris, les applaudissements de la gauche sont unanimes), à la place des odieuses couleurs de la liberté. Cette observation est curieuse sans doute, mais son résultat n'est pas effrayant. Certes, ils ont trop présumé. Croyez-moi (l'orateur parle à la partie droite), ne vous endormez pas dans une périlleuse sécurité, car le réveil serait prompt et terrible. (Au milieu des applaudissements et des murmures, on entend ces mots : C'est le langage d'un factieux).

Mirabeau continue son discours qui est couvert d'applaudissements. L'abbé Maury monte à la tribune, il est en fureur et ne parvient pas à se faire entendre. Un long tumulte et des altercations violentes ont lieu; cependant la proposition de M. de Menou est adoptée et voici le décret officiel qui fut lu dans la séance du 24 octobre :

L'Assemblée

DÉCRET DU 24 OCTOBRE

SUR LE PAVILLON FRANÇOIS

nationale ayant statué, par son décret du 22 octobre, que le pavillon françois portera les couleurs nationales, et voulant, en conséquence, fixer les dispositions de ces couleurs dans les différents genres des pavillons, ou autres marques distinetives usitées sur les vaisseaux et sur les bâtiments de commerce : DÉCRÈTE :

ARTICLE 1er.

Le pavillon de beaupré sera composé de trois bandes égales et posées verticalement; celle de ces bandes, to la plus près du bâton de pavillon, sera rouge, celle du milieu blanche, la troisième bleue.

ART. 2. Le pavillon de poupe portera dans son quartier supérieur le pavillon de beaupré ci-dessus décrit, cette partie du pavillon sera exactement le quart de la totalité, et environnée d'une bande étroite, dont une moitié de la longueur sera rouge, et l'autre

bleue; le reste du pavillon sera de couleur blanche : ce pavillon sera également celui des vaisseaux de guerre et des bâtiments de commerce (1)......

ART. 5. Les pavillons et la flamme aux couleurs de la nation seront arborés le plus tôt possible sur les vaisseaux de guerre, d'après les ordres donnés par le Roi.

ART. 6. Le Roi sera supplié de sanctionner le présent décret, comme aussi de faire prendre soit dans les ports de France, soit auprès des puissances étrangères, les mesures nécessaires pour sa prompte et sure exécution, et d'indiquer l'époque où les bâtiments de commerce pourront sans inconvénient arborer le nouveau pavillon.

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Quatre ans plus tard, en pleine Terreur, la Convention fut amenée à s'occuper encore du pavillon de la marine qui était toujours blanc avec une sorte de yacht tricolore. Elle avait chargé le citoyen Jean Bon Saint André d'établir un rapport sur cette question. Ce rapport fut lu et adopté dans la séance du 27 pluviôse, an II (15 février 1794).

Nous trouvons ce discours dans le Moniteur universel du 29 pluviose, an II (17 février 1794).

« M. JEAN BON-SAINT-ANDRÉ : Un pavillon qui n'est pas celui de la République flotte encore sur nos vaisseaux; les marins s'en indignent, ils appellent à grands cris une réforme que vos principes, que l'honneur de la liberté réclament avec eux. J'ai été le dépositaire de leur voru à cet égard; je l'ai fait connaitre au Comité de Salut public, et le Comité vous le transmet par mon

organe.

Les couleurs nationales sont désormais les seules qui puissent plaire à des François ; il faut qu'on les voie partout, et si je l'osais dire, plus encore dans le pavillon de nos vaisseaux que sur les drapeaux de nos intrépides bataillons. Le pavillon est pour le marin, non-seulement le signal du ralliement, le guide matériel qui le conduit à la victoire : il est encore sa grammaire, son langage, le moyen par lequel il communique et reçoit, à de grandes distances, des idées très compliquées. Sera-ce avec un vocabulaire monarchique que les généraux des armées navales donneront des ordres républicains? Non, vous ne souffrirez pas plus longtemps ce scandale politique. Tout change autour de

(1) Voir planche en couleur, page 306, fig. 15.

nous, nos lois, nos mœurs, nos usages; que les signes changent aussi. Répondez, législateurs, à l'indignation des équipages de la flotte; répondez à l'impatience qu'ils éprouvent d'en voir disparaitre l'objet. L'Assemblée constituante apporta quelque changement ou plutôt une légère modification au pavillon ci-devant royal. Le peuple, fatigué de la tyrannie, demandait que tout ce qui en retraçait le souvenir füt absorbé par les couleurs chéries de la liberté des disputes sérieuses s'élevèrent dans le sein de cette Assemblée sur la forme du pavillon national. On sentit bien qu'il fallait se soumettre à l'opinion publique trop fortement prononcée pour oser la contrarier ouvertement, mais on tàcha de l'éluder, même en paraissant la respecter. On conserva pour le fond la livrée du tyran, et les trois couleurs républicaines, reléguées dans un coin du pavillon, n'attestèrent, par la mesquinerie ridicule avec laquelle on les y avait placées, que le regret de ceux à qui la puissance du peuple avait arraché ce faible sacrifice. C'est ainsi que dans cette fédération toute monarchique, on vit les départemens recevoir, au nom de la liberté, les bannières de la servitude. Ce pavillon déplut presque également aux partisans du despotisme et aux amis de la liberté. Les uns ne virent dans cet alliage bizarre qu'une tache à ce pavillon, flétri par les Conflans et les Grasse; les autres, avec plus de raison, n'y virent qu'une dérision, une caricature outrageante pour le peuple, que l'on comptait presque pour rien au moment où l'on proclamait sa souveraineté.

L'imitation servile de la forme anglaise acheva d'indisposer les esprits, et ce fut avec beaucoup de peine qu'on parvint à le faire adopter.

Il est temps de réparer cette erreur, cette méprise sans doute volontaire.

Quand vous allez combattre les esclaves de Georges, les stipendiaires de Pitt, il faut commander la victoire au nom de la patrie; un mélange de royalisme formerait un contraste trop révoltant avec la cause sublime que vous défendez. Qu'il disparaisse et qu'il disparaisse à jamais.

Votre Comité vous propose un pavillon formé tout entier des trois couleurs nationales, simple comme il convient aux mœurs, aux idées, aux principes républicains, qu'on ne puisse confondre avec celui d'aucune autre nation, et qui, dans quelque sens qu'il soit placé, présente toujours ces couleurs dans le même rapport entre elles.

Braves marins, vous le défendrez, cloué à la poupe de vos vaisseaux, vous ne souffrirez jamais qu'il soit renversé, et vous punirez de mort le lâche qui oserait en concevoir le dessein. Vous le recevrez des mains de la patrie, vous serez responsables envers

elle du dépôt sacré qu'elle vous confie. Allez sur cet élément terrible que vous êtes accoutumés à braver; allez y braver aussi la foudre des tyrans. Les esclaves que vous avez à combattre pourront-ils soutenir les efforts des hommes libres? Allez, ce signe vous assure la victoire, il est le présage de votre gloire et du triomphe de la République.

Voici le projet du décret que je suis chargé de vous présenter: La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité de Salut public, décrète :

« Art. Ier.

Le pavillon décrété par l'Assemblée nationale constituante est supprimé.

« II. Le pavillon national sera formé des trois couleurs nationales, disposées en trois bandes posées verticalement, de manière que le bleu soit attaché à la gaule du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs (1).

« III. Les pavillons de beaupré et le pavillon ordinaire de poupe seront disposés de la même manière en observant les proportions de grandeur établies par l'usage.

« IV. La flamme sera pareillement formée de trois couleurs, dont un cinquième bleu, un cinquième blanc et les trois cinquièmes rouges.

« V.

Le pavillon national sera arboré sur tous les vaisseaux de la République le 1er jour de prairial. Le ministre de la marine donnera les ordres nécessaires ».

Ce décret est adopté.

Cravates tricolores. Les drapeaux de l'armée de terre ne furent pas oubliés par l'Assemblée Nationale mais ils n'obtinencore qu'une modification peu importante; c'était cependant un acheminement vers l'uniformité des drapeaux et des pavillons.

Voici les paroles prononcées à ce propos par M. Praslin :

Vous avez décrété hier que le pavillon aux trois couleurs serait arboré sur les vaisseaux; je demande que vous décrétiez aussi qu'il sera donné ordre aux colonels de tous les régiments d'attacher à leurs drapeaux des cravates aux couleurs nationales. Je propose de renvoyer au comité militaire les moyens d'exécution du décret. Ces deux dispositions sont décrétées (22 octobre 1790).

Les drapeaux de l'armée eurent dès lors des cravates bleu,

1) Voir planche en couleur, page 306, fig. 16.

blanc, rouge, tantôt faites d'un seul ruban tissé des trois couleurs, tantôt de trois rubans ayant chacun une couleur.

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Drapeaux tricolores pour l'Armée. - Dans sa séance du 30 juin 1791, l'Assemblée Nationale écouta le rapport suivant, présenté au nom du comité militaire et relatif aux drapeaux de l'armée :

M. DE MENOU : Dans toutes les parties de l'empire français, les couleurs nationales sont devenues un signe de ralliement pour les patriotes, pour les défenseurs de la Constitution. Partout les ennemis de la liberté ont cherché à les détruire et c'est peut-être un des motifs pour les multiplier. Le panache blanc d'un de nos rois menait jadis les Français à la victoire; les couleurs nationales feront plus, elles rappelleront aux militaires qu'ils ont une patrie et qu'ils portent les armes pour la destruction du despotisme et la défense de la liberté. Ainsi que les aigles romaines, elles deviendront la terreur de ceux qui nous attaqueront, mais ne les déployant jamais pour envahir le domaine des nations étrangères, elles attesteront en même temps qu'elles prouveront votre courage et votre énergie, elles attesteront votre justice et votre générosité. Que l'étendard national confié entre les mains des soldats soit un gage de leur soumission aux lois! Que nos braves militaires se convainquent que, plus une nation est libre, plus ses soldats sont soumis aux lois et à la discipline! Et vous, officiers français, si quelques préjugés vous retiennent, songez que les distinctions honorifiques se sont dissipées comme une vaine fumée, que la véritable noblesse est le souvenir des bonnes actions et que le souvenir est indépendant de toutes les lois.

Voulez-vous partager la gloire de vos ancêtres? Ayez leurs vertus; faites pour votre patrie ce qu'ils ont fait pour elle; mais n'allez pas chercher dans des antiques parchemins une suprématie qui n'est due qu'à la vertu. Jetez les yeux sur votre patrie; elle vous tend encore les bras. Voyez ce concert d'opinions et de volontés, pouvez-vous croire encore que la Constitution ne soit pas le résultat de la volonté générale, qu'elle ne doive pas faire le bonheur du peuple français ? Réunissez-vous aux défenseurs de la liberté et vous acquerrez des droits imprescriptibles à la reconnaissance de la patrie..... Votre Comité militaire pense que les drapeaux aux trois couleurs nationales doivent devenir dans tous les régiments le signe de ralliement des bons Français.

Le décret demandé par M. de Menou au nom du comité militaire fut voté par l'Assemblée Nationale. Le voici :

ARTICLE 1er. Le premier drapeau de chaque régiment d'infan

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