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blanc elles devraient être d'argent. Sans doute, et si le blason n'avait point ses exigences, il en serait ainsi. On a donné, à cet égard, plusieurs explications, mais qui toutes laissent plus ou moins à désirer. La plus simple, celle à laquelle précisément on a le moins pensé, c'est que l'or étant le premier des métaux, et la plus noble des couleurs du blason, il était de rigueur qu'il devint celui des insignes d'un royaume qui, à l'origine des armoiries, était déjà l'un des plus illustres de la chrétienté ».

Une hypothèse assez vraisemblable et qui vient à l'idée de prime abord, c'est que la fleur de lis fut l'imitation d'une arme de guerre, d'un fer de lance; a-t-il de l'analogie avec la framée, l'angon ou la francisque de nos ancêtres, ou tout simplement avec la hallebarde plus moderne ? C'était l'avis de Voltaire qui a dit (1):

« L'étendar royal de France était un baton doré avec un drapeau de soie blanche, semé de fleurs de lys: ce qui n'avait été longtemps qu'une imagination de peintre, commençait à servir d'armoiries aux rois de France. D'anciennes couronnes des Lombards, dont on voit des estampes fidelles dans Muratori, sont surmontées de cet ornement, qui n'est autre chose que le fer d'une lance lié avec deux autres fers recourbés, une vraie hallebarde ».

M. Rey a réfuté l'assertion relative aux fers de lances, émettant à leur sujet ce qu'il appelle « une proposition conciliatrice»:

« C'est que notre fleur de lis, étant véritablement antérieure aux armes meurtrières dont on la dit imitée, c'est elle qui serait type; les armes ne seraient que copies ».

D'autres idées, plus paradoxales, ont rencontré des adeptes et soulevé, le croirait on, de violentes polémiques :

Dans la seconde partie du XVIe siècle, quelques auteurs ont cru que les fleurs de lis n'étaient que la copie altérée d'une abeille parce qu'on venait de découvrir à Tournai, dans le tombeau d'un personnage, supposé être Childéric ler, un grand nombre de petits bijoux qui, disait on, ressemblaient plus ou moins à des abeilles; nous en publions une photographie page 332; nous donnons à la même place une notice sur les

1) Voltaire, Essai sur les mœurs, Philippe Auguste, bataille de Bouvines.

abeilles considérées comme emblème français. Il parait que Tristan de Saint-Amand s'est acquis à cette époque une certaine célébrité en publiant un livre uniquement destiné, a-t-il dit, à venger la France qu'on outrageait en donnant aux fleurs de lis une mouche pour origine.

Une prétention bien plus injurieuse encore est celle que les fleurs de lis ne furent d'abord que des crapauds que les

Francs auraient portés pour emblème, en commémoration des pays marécageux qu'ils avaient d'abord habités. Quelques documents anciens, mais surtout des XIV et xve siècles, montrent très nettement trois crapauds comme emblème français. (Voir la notice spéciale page 328).

Mais ici nous pensons que malgré leur disposition semblable par trois, ce qui constitue déjà un anachronisme, les fleurs de lis et les crapauds forment bien deux emblèmes distincts. La preuve la plus évidente est dans un bas-relief en bois du temps de Charles VIII qui est conservé à Orléans: il représente une bataille entre des soldats français et allemands; du côté des français on voit deux étendards: l'un aux trois fleurs de lis, l'autre aux trois crapauds. Une gravure de ce curieux bas-relief existe à la Bibliothèque nationale. Notons que des documents. reproduisant les trois crapauds sont en nombre infime comparativement à ceux qui montrent les fleurs de lis.

D'ailleurs, le dessin ornementé que nous avons nommé fleur de lis a existé de toute antiquité; on le retrouve dans l'Extrême Orient, en Égypte, en Grèce, à Rome, etc.

On le voit souvent terminant les sceptres, les lances ou

servant à l'ornement des vases peints ou gravés, à l'architecture, etc. Dans une citation que nous avons faite plus haut de Voltaire, on peut voir qu'il attribue le dessin de la fleur de lis à une fantaisie d'artiste; or, voici ce que le hasard nous a fait découvrir un tapissier ayant à décorer une tenture qu'il voulait semer de fleurs de lis, dessina un modèle de cet emblème et, pour l'obtenir plus facilement régulier, l'étoffe dorée qui devait le reproduire fut pliée en deux, divisant le dessin, dont un côté seulement servit pour le découpage des deux; ce découpage donnait une fleur de lis parfaite, même si le dessin primitif était défectueux. C'est peut-être cette facilité d'obtenir un emblème symétrique qui l'a fait adopter par des artistes. peu raffinés, pour orner les étoffes royales qui, en maintes occasions, se débitèrent en quantité considérable, témoin cette commande pour la guerre projetée par le roi Philippe VI en 1337 (voir page 276).

La fleur de lis, obtenue régulière par le découpage d'un seul de ses côtés, expliquerait la grande quantité de variétés

Piques de drapeaux avec fleur de lis

(Collection A. Maury)

qu'offrent, parfois à une même date, ses types, tantôt ramassés, arrondis, tantôt longs et fuselés.

Les fleurs de lis furent elles, en France, armouries royales ou nationales?

Cette question est très intéressante ici. Il est certain qu'un

blason qui dura près de dix siècles et qui se vit en tête de tous les documents officiels a pu être pris pour l'emblème de la nation. On a dit souvent des fleurs de lis : « l'écu de France », « les armes de France », mais on disait aussi : « Les enfants de France » pour désigner les enfants du roi. Exemple :

Le dit argentier n'a rien délivré aus dits jeunes enfans de France, excepté pour Messeigneurs Jean et Philippe de France et Loys de Bourbon, les quiex (lesquels) furent vestus de livrée avec Monsieur le dauphin le jour de Noël. (Du Cange).

Quantité d'exemples prouvent à l'évidence que ces armoiries étaient celles du roi. Nous avons donné dans le cours de notre étude sur les drapeaux un certain nombre de citations qu'il suffit de relire pour s'en convaincre.

Nous rappellerons seulement les suivantes : Guillaume Guiart, dans ses royaur lignages dit en parlant de PhilippeAuguste au siège de Château-Gaillard en 1205 :

Du roy de France la bannière
A fleurs de lys d'or bien apertes

Plus loin, à propos du pennon royal :

(1372). Les bons bourgeois et citoyens de Poitiers qui étaient bons et vrais français, quand ils virent les bannières des fleurs de lys, les armes de leur souverain seigneur le Roi de France... prirent à crier : Montjoie.

Marc de Wulson, dans un ouvrage que nous avons déjà cité donne une description détaillée du cortège royal; nous y trouvons le passage suivant :

« ... Montjoie viendra ensuite revêtu de... et sur les manches les trois fleurs de Lys d'or des armes de nos rois avec leur couronne de fleurs de Lys...

Nous détachons du préambule au réglement du roi Louis XIV sur les pavillons (du 12 juillet 1670) les lignes suivantes :

« Pour les marchands, le pavillon à la poupe dressé sur une lance doit être blanc avec les armes de la province dans le milieu ou à l'angle qui joint le haut du bâton; le bleu fleurdelisé ou les croix fleurdelisées sont difficiles à être bien mises en œuvre, en outre que les fleurs de lis, qui sont les armes du Prince, ne doivent s'appliquer qu'en des lieux de grand respect... »

Les fleurs de lis placées sur les drapeaux, bannières ou cornettes et encore sur les costumes, les cottes de mailles, les tentures, ont toujours été marques royales; nous n'y avons trouvé que de très rares exceptions. Elles ont servi aussi pour les princes du sang et parfois les personnages ou gardes attachés au service du roi ou des princes.

Le dessin ci-dessous, fait d'après une miniature du manuscrit de Froissart intitulée : « Charles-le-Bel recevant la reine

d'Angleterre », montre le roi de France avec un chapeau fleurdelisé. Le caparaçon de son cheval et jusqu'au manteau de son petit chien ont des fleurs de lis alors qu'on n'en voit pas ailleurs dans la suite nombreuse qui, sur la miniature, accompagne le roi.

Les fleurs de lis sur champ d'azur sont si bien considérées comme les armoiries spéciales des rois et de leur famille que, sur les tableaux généalogiques anciens, tous les Bourbons, qu'ils soient d'Espagne, de Sicile ou d'ailleurs, les ont conservées avec ou sans brisure.

On peut, à ce propos, rappeler le singulier procès qui fut intenté à Paris en 1897 au duc d'Orléans par le duc d'Anjou (?) général espagnol qui complète son nom ainsi : Henri François de Bourbon y Castelvy. Il revendiquait le droit de porter seul « les armoiries pleines d'azur à trois fleurs de lis d'or et le titre de roi de France, faisant défense au duc d'Orléans d'usurper

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