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LIVRE II.

nombre suffisant, ce sera devant lui qu'il faudra ¡ débattre les causes de récusation et le fond; si, au contraire, le tribunal n'est pas en nombre suffisant, alors il faudra s'adresser à un tribunal supérieur.

Cette opinion est aussi celle de Carré, qui, dans son Tr. sur la Compét., semble être revenu de l'opinion que nous avons signalée en commençant; il convient que, dans ce cas, par la force des choses, il faudra se pourvoir en indication d'un autre tribunal. Il nous semble qu'il aurait pu ajouter que probablement il faudra faire juger les causes de récusation par un autre tribunal que celui qui est récusé.

Ainsi, la question posée en tête de ce numéro nous paraît devoir être ainsi formulée: Les juges récusés, aux termes de l'art. 378, ou bien ceux à l'occasion desquels on demande le renvoi, aux termes de l'art. 368, peuvent-ils concourir au jugement de ces incidents? Question que nous n'hésitons pas à résoudre par la négative, comme tous les auteurs, sous les n°1358 et 1599 infrà.

En effet, du moment que l'art. 378 permet de récuser les juges pour l'une des causes qu'il mentionne, il n'y a pas de raison pour que cette récusation ne s'étende à tous ceux qui composent un même tribunal; et si l'on décide, comme on ne peut s'en empêcher, que les juges récusés ne doivent point participer au jugement sur la récusation, il s'ensuit nécessairement que s'ils le sont tous ou du moins en assez grand nombre pour que le reste du tribunal ne puisse légalement se constituer, une pareille récusation aura implicitement le même résultat qu'une demande en renvoi, quoique, à proprement parler, elle n'ait point ce caractère, la demande en renvoi dessaisissant le tribunal entier, encore que la distraction des juges suspects ne le réduise pas à un nombre insuffisant, la récusation en masse, au contraire, ne lui enlevant la connaissance de l'affaire, qu'à cause de l'insuffisance de nombre à laquelle elle le réduit.

Mais toujours il faut qu'un autre tribunal soit appelé à juger d'abord l'incident de la récusation ou la demande en renvoi, et, dans le cas où l'un ou l'autre serait accueilli, le fond de l'affaire. Le 22 janv. 1806 (Sirey, t. 7, p. 1167), la cour de cassation a fait justice de la prétention d'un président, qui, se trouvant seul juge par suite de l'absence et de la récusation des autres, crut pouvoir renvoyer de son chef devant un autre tribunal qu'il désigna. C'était là un excès de pouvoir qu'aucun texte de loi ne pouvait justifier.

Quel sera donc le tribunal qui jugera la demande en récusation?

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1807 (Dalloz, t. 23, p. 432; Sirey, t. 7, p. 37), cette cour a décidé qu'il résultait des titres XIX et XX du liv. II, C. proc., que cette attribution lui avait été retirée, au moins lorsqu'il s'agit de tribunaux inférieurs ressortissant de la même cour royale. Par application du même principe, il a été jugé que, depuis la publication du Code de procédure civile, la cour de cassation n'est plus compétente pour prononcer sur le renvoi qui lui est demandé, fondé sur ce que fous les juges d'un tribunal de première instance ont déclaré avoir connu extrajudiciairement de l'affaire et avoir donné leur opinion. Cette décision a été consacrée par la cour de cassation elle-mème, les 6 avril, 18 et 20 mai 1817, et par la cour de Nîmes, le 10 juillet 1812. Les règles de l'art. 363 sont également applicables lorsque les parties sont dans l'impossibilité de recourir à leurs juges naturels (cass., 8 sept. 1807; Dalloz, t. 23, p. 435; Sirey, t. 7, p. 146), ou lorsqu'un tribunal ne peut se composer faute de juges. (Cass., 18 avril et 4 juill. 1828; Sirey, t. 28, p. 382.)

C'est donc à la cour royale de laquelle ressortit le tribunal récusé qu'il faut toujours s'adresser pour juger la récusation, et, en cas qu'elle l'accueille, pour que le fond soit renvoyé devant un autre tribunal (Agen, 28 août 1809; Dalloz, t. 23, p. 347; Sirey, t. 10, p. 303; Limoges, 26 janv. 1824; Colmar, 13 avril 1837; Florence, 6 mai 1809 et 31 déc. 1810; Dalloz, t. 25, p. 435; Douai, 14 oct. 1816; Dalloz, t. 23, p. 435; Sirey, t. 17, p. 255; cass., 28 déc. 1807 et 8 janv. 1829); mais ce serait évidemment à la cour de cassation qu'il appartiendrait de décider sur une récusation en masse dirigée contre une cour royale; c'est ce qui résulte d'un arrêt émané d'elle, le 4 mai 1831 (Sirey, t. 31, p. 303). Cette jurisprudence est approuvée par Merlin, Rép., vo Récusation, no 2, et Quest., eod., § 5.

Néanmoins, un arrêt de la cour de Rennes du 27 nov. 1807, que Carré citait, avec appro bation, sous l'art. 390, a cherché à introduire sur ce point une jurisprudence qu'on nous permettra d'appeler singulière. Se fondant sur ce que l'on doit conserver à l'incident de récusation ou de renvoi les deux degrés de juridiction, et sentant bien néanmoins que les juges récusés ne peuvent concourir au jugement de renvoi, cette cour prétend que, si le tribunal n'est pas en nombre, il faut s'adresser à la cour d'appel, mais non pas pour prononcer sur la récusation et pour ordonner le renvoi du fond. Pourquoi done? Pour désigner un autre tribunal qui juge en premier ressort cette récusation, sauf à porter l'appel de son jugement devant la même cour qui l'avait désigné, et, quand tous les de

L'art. 60 de la loi du 27 vent, an vin chargeait la section des requêtes de la cour de cas-grés de juridiction auront été épuisés sur cet sation de statuer définitivement sur les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de parenté ou alliance; mais, le 24 mars

incident, alors seulement il faudra songer à désigner un tribunal pour juger le fond. Nous ne croyons pas qu'aucun jurisconsulte puisse

trouver régulière une procédure si longue, si | nombre d'avoués suffisant pour représenter compliquée, si coûteuse, lorsqu'il est si facile de trancher toutes les difficultés préparatoires par un seul arrêt; au surplus, on vient de voir qu'une jurisprudence universelle la con

damne.

Il est nécessaire de faire observer qu'ici les règles en matière civile ne s'appliquent point à la procédure criminelle, quoique celles qui concernent la récusation leur soient communes. En effet, l'art. 542, C. crim., contient des attributions spéciales pour les demandes en renvoi; il en résulte que la cour de cassation est seule compétente, à l'exclusion des cours royales, pour prononcer sur ces demandes. Elle l'a ainsi jugé elle-même, soit que la demande en renvoi fût nécessitée par une abstention volontaire, soit qu'elle le fût par la récusation de tous ou de la majorité des membres d'un tribunal correctionnel (11 nov. 1807; Sirey, t. 1, p. 24; 9 nov. 1808, 2 août 1809, 8 fév. 1811, 23 juin 1814; Sirey, t. 15, p. 5; 4 juillet 1828; Sirey, 28, p. 382; 30 mai 1828; Sirey, t. 28, p.588). Tel est aussi l'avis de Merlin, Rép., vo Récusation, no 2, et Quest., eod., § 4.

des parties ayant des intérêts distincts, il y a lieu à les renvoyer se pourvoir en juridiction, à moins, toutefois, qu'elles ne consentent à proroger la juridiction d'un autre tribunal. (Rennes, 30 sept. et 9 déc. 1808, et 20 déc. 1824, Sirey, t. 25, p. 340.)

Un tribunal entier ne peut être récusé par celui au préjudice de qui il a été rendu un jugement par trois de ses membres sur la même question, mais dans une autre instance, lorsque surtout les autres juges sont encore en nombre compétent. (Brux., 10 janv. 1822; J. de B., t. 1 de 1822, p. 126.)

Ce dernier arrêt confirme pleinement le système que nous avons exposé, puisqu'il juge qu'en admettant même le bien fondé des causes de récusation articulées contre trois juges, cette circonstance n'eût pas été suffisante pour obtenir un renvoi, les juges non récusés pouvant se constituer en tribunal. Il suit de cette décision, 1o que le renvoi proprement dit, celui qui repose sur des causes de suspicion particulières à un petit nombre de juges, ne peut être demandé que dans les cas de parenté Dans tous les cas, pour que la demande en ou d'alliance, et que les autres motifs de récurenvoi, portée devant un tribunal supérieur sation ne peuvent par eux-mêmes opérer cet soit recevable, il est nécessaire que l'insuffi- effet (voy. la Quest. 1356); 2oque néanmoins on sance des juges soit constatée par une délibé- aboutit indirectement au même résultat lorsration du tribunal entier; un simple certificat que ces motifs de récusation frappent à la fois du président ne pourrait autoriser la cour à sur un assez grand nombre de juges pour metprononcer, ainsi que l'a décidé celle de Limo-tre ceux qui restent dans l'impossibilité de forges, par son arrêt déjà cité du 26 janv. 1824 (Sirey, t. 26, p. 190).

Au reste, le principe d'attribution qui donne aux cours royales le pouvoir de prononcer ces sortes de renvois, fait aussi que, lorsqu'un tribunal ayant été récusé en entier, la cour a renvoyé plusieurs procès devant un autre tribunal, elle peut, si les causes de la récusation ont cessé, rendre la connaissance de ces procès au tribunal récusé, à l'exception des affaires dont le tribunal indiqué par cette cour se trouve déjà saisi. (Colmar, 25 avril 1813.)

Nous terminerons par la citation de quelques arrêts qui contiennent l'appréciation de causes alléguées pour récuser en masse une cour ou un tribunal.

Une cour ne doit pas admettre la récusation dirigée contre elle sans motifs déterminés, surtout lorsque cette récusation a pour objet loutes les causes dans lesquelles le récusant peut être intéressé. (Paris, 4 déc. 1813; Dalloz, i. 25, p. 346.)

Une demande en renvoi devant un autre tribunal que celui qui doit naturellement juger la cause est prématurée et sans objet, lorsqu'elle se fonde sur l'impossibilité de se constituer où serait la cour devant laquelle l'appel devrait être porté. (Cass., 14 janv. 1829, Sirey, t. 29, p. 69.)

Lorsqu'un tribunal compétent n'a pas un

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mer un tribunal légal.

Nous décidons donc que le renvoi à un autre tribunal peut avoir lieu pour deux causes: 1o la parenté ou l'alliance des juges au degré et dans les conditions prévues par l'art. 368; 2o l'insuffisance de juges au tribunal compétent par suite d'abstention ou de récusation quelconque.

Au reste, la même doctrine nous paraît être professée, quoique 'moins explicitement, par Pigeau, Comm., t. 1, p. 659 et 664, Berriat, h. t., note 6, Favard, t. 4, p. 769, no 8, et 868, no 7, Dalloz, t. 23, p. 346, 434 et 437, no 1, et Thomine, no 420 et 423.

Quant à ce qui concerne les demandes en renvoi pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique, c'est une matière de compétence étrangère à notre plan. Nous nous bornons donc à indiquer le Tr. de la Compét. de Carré, liv. II, tit. VI.

1338. Peut-on demander,
dans un
tribunal
de commerce, le renvoi pour cause de
parenté ou d'alliance?

Oui, par les motifs donnés sur la 1521° Quest. (Voy. d'ailleurs les Questions de Lepage, p. 249.)

[C'est aussi l'opinion de Dalloz, t. 23, p. 430, n° 4, de Thomine, no 421, et la nôtre.]

1339. Ne s'agit-il dans l'art. 568, que de la parenté et de l'alliance naturelles et civiles tout à la fois?

La loi n'entend parler en général que de la parenté et de l'alliance naturelles et civiles tout à la fois, et non de la parenté et de l'al- | liance que l'on supposerait dériver de la nature seulement ou de l'adoption. De tels liens n'existent point, en effet, suivant la loi civile, à l'égard d'un enfant naturel avec les parents de ses père ou mère, et d'un enfant adopté avec ceux de l'adoptant; nous exceptons néanmoins, par suite de ce que nous avons établi sur les 1056 et 1057 Quest., la parenté naturelle en ligne directe, c'est-à-dire du père au fils légalement reconnu, et entre des frères naturels

aussi légalement reconnus. [Nous approuvons cette solution, avec Pigeau, Comm., t. 1, p. 640, et Favard, t. 4, p. 868, no 5.]

1340. L'alliance qui peut servir de fondement au renvoi, s'efface-t-elle par la dissolution du mariage qui l'a formée, s'il

n'en reste point d'enfants?

L'affirmative de cette question résulte de ce que nous avons établi sur les 341 et 342° Quest. (Voy. aussi la 1104° Quest.)

[Et de l'analogie du § 2 de l'art. 378, comme le fait observer Favard, t. 4, p. 868, no 5.] 1341. Les suppléants de première instance sont-ils à compter au nombre des juges, pour donner lieu à la demande en renvoi ? Il faut remarquer que la loi suppose, pour qu'il y ait lieu à une demande en renvoi dans un tribunal de première instance, qu'il y a, dans ce tribunal, deux juges qui se trouvent parents ou alliés de l'une des parties, ou qu'elle-même sera membre du tribunal.

De cette différence d'expressions juges et membre du tribunal, Demiau, p. 273, conclut que, dans la première hypothèse, les suppléants ne doivent pas entrer en considération pour donner lieu à la demande en renvoi, attendu qu'ils ne sont juges qu'accidentellement, et que conséquemment on ne peut pas dire qu'ils soient compris sous la dénomination générique de juges, la loi ne les qualifiant, d'ailleurs, que par le titre de juges suppléants, ou simplement de suppléants. (V. en effet les articles 55 et 41 de la loi du 20 avril 1810, et l'article 118, C. proc.)

Le même auteur croit, au contraire, que, dans la seconde hypothèse, c'est-à-dire lorsqu'un suppléant est partie, il y a lieu à la demande en renvoi, parce que l'art. 568 emploie la qualification générique de membre du tribunal. Or, les suppléants sont bien certainement membres des tribunaux de première instance: la loi organisatrice de ces tribunaux

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porte qu'ils sont composés de juges et de suppléants. (V. la loi du 27 vent. an VIII, articles 8 et suiv.)

Les auteurs du Praticien, t. 2, p. 565, estiment qu'en aucun cas les suppléants ne doivent compter pour autoriser la demande en renvoi, du moins tant qu'ils n'exercent pas leurs fonctions; mais nous ferons observer que cette restriction est pour ainsi dire nulle, car les suppléants n'exercent des fonctions habituelles que dans les cas très-rares de vacances de places de juges.

Nous convenons que les raisons données par Demiau sont de nature à faire impression. Mais aussi ne peut-on pas répondre qu'encore bien que les suppléants n'exercent pas, à proprement parler, des fonctions habituelles, ils n'en ont pas moins le caractère de juges? que, sous ce rapport, ces mêmes fonctions ne sont pas absolument accidentelles, puisque l'art. 41 de la loi du 20 avril 1810 leur donne

la faculté d'assister à toutes les audiences, avec voix consultative, et qu'en cas de partage, le plus ancien dans l'ordre de réception aurait voix délibérative? què, si la loi les a qualifiés de juges suppléants, de suppléants, c'est qu'il a fallu les distinguer des juges en titre? que, si l'art. 568 se sert, pour un cas, du mot juge, ce n'est pas nécessairement une raison suffisante pour ne pas y comprendre les suppléants, qui sont véritablement des juges? et, que si le même article parle ensuite des membres du tribunal, il ne le fait qu'afin d'éviter une répétition d'expressions, sans y attacher autrement d'importance, sans entendre exprimer que ce sera dans le cas seulement où il se sert de ce mot que les suppléants seront compris?

Telles sont les raisons pour lesquelles nous croyons ne devoir pas distinguer entre les juges en titre et les juges suppléants. Au reste, il est à désirer que la cour suprême ait à prononcer sur cette question, qui est véritablement sérieuse et sujette à controverse. (Voy. la question suiv.) (1).

[La décision de la cour suprême que Carré désirait ne s'est pas fait attendre. Le 22 août 1822 (Dalloz, t. 8, p. 189; Sirey, t. 25, p. 66), cette cour a décidé, contrairement à son avis, que l'art. 568 ne s'applique pas au cas où une partie est à la fois parente d'un juge et d'un suppléant près le tribunal saisi de la contestation.

Pigeau, Comm., t. 1, p. 642, qui embrasse aussi cette solution, en donne pour motif que, le suppléant n'ayant pas avec les juges des relations aussi fréquentes et aussi intimes que

(1) Nous ajouterons que notre estimable confrère Métivier, professeur de la faculté de Poitiers, a énoncé la même opinion dans ses cahiers de dictée.

son

celles que les juges ont entre eux, influence est moins à redouter pour la partie contre laquelle il serait prévenu. A son égard | donc, la voie de la récusation, dans le cas où il serait appelé à prendre part au jugement,

serait censée suffisante.

C'est aussi l'avis de Favard, t. 4, p. 868, no 5, et de Thomine, no 421. Nous croyons devoir adopter l'opinion généralement suivie et à l'appui de laquelle on peut même invoquer ce que Carré dit dans sa Compét. sur les incompatibilités (2e partie, liv. I, chap, 3, art. 21, Question 64).]

1342. De ce que l'art. 568 ne parle que des juges, doit-on conclure que l'on ne puisse demander le renvoi du chef du ministère public?

Non, disent les auteurs du Prat., t. 2, p. 365, parce que le procureur du roi exerce la même influence sur l'esprit des juges qu'un juge lui-même: ubi eadem ratio, idem jus. Même opinion de la part de Pigeau, t. 1 p. 306, no 433. Il s'appuie sur l'art. 381, qui applique au ministère public les causes de récusation qui sont relatives aux juges. Or, dit-il, la loi reconnaît, par cette disposition, que la partialité du ministère public, en faveur de l'une des parties, est aussi funeste à son adversaire que celle d'un juge. C'est donc lui obéir que de compter le ministère public pour un juge en matière de renvoi.

A ces raisons, on pourrait ajouter la disposition de l'ordonn. du mois d'août 1737, concernant les évocations et les règlements de juges. Elle était ainsi conçue : « N'entendons comprendre dans les articles précédents, sous le nom d'officiers du corps de nos cours ou autres compagnies, que ceux qui y auront séance et voix délibérative, ensemble nos avocats et procureurs généraux. »

Mais aussi on peut invoquer, pour l'opinion contraire, le silence de l'art. 368, à l'égard des agents du ministère public, et celui des orateurs du gouvernement et du tribunat, sur l'intention du législateur de les comprendre parmi les parents ou alliés, membres d'une cour ou d'un tribunal, qui peuvent donner lieu au renvoi. On ne saurait supposer que, lors de la discussion, le conseil d'État n'ait pas eu sous les yeux l'ordonn. de 1669 et celle de 1737. La cour d'Agen avait, d'ailleurs, provoqué une explication à ce sujet, en disant, dans ses observations sur le projet, qu'il était vraisemblable que sous le nom de juges on avait compris le procureur du roi.

L'on pourrait conclure de là que c'est avec connaissance de cause que les rédacteurs de la loi n'ont point fait entrer dans le Code la disposition de l'art. 11 de l'ordonn. de 1737; qu'ils ne l'ont pas voulu, parce qu'ils n'ont pas considéré l'influence du ministère public à l'égal de celle d'un juge.

Ne pourrait-on pas en outre argumenter, contre l'opinion des auteurs que nous venons de citer, de l'art. 381 lui-même, sur lequel ils se fondent? En effet, le législateur s'étant expliqué, en matière de récusation, sur le ministère public, et ne l'ayant pas fait dans le clure que la parenté ou l'alliance d'un procucas de l'art. 568, ne faut-il pas plutôt en conreur du roi avec une partie, ne doit pas être prise en considération pour motiver le renvoi autorisé par ce dernier article?

Il faut, d'ailleurs, remarquer qu'il n'y a pas d'analogie entre le renvoi fondé sur l'art. 368 et la récusation. La récusation tend à écarter un juge ou le ministère public par des motifs de suspicion qui lui sont personnels; elle a pour fondement une foule d'autres causes que la parenté ou l'alliance avec l'une des parties. Le renvoi, au contraire, n'est fondé que sur ces deux causes, et sur la crainte que des parents ou alliés de cette partie n'exerçassent en sa faveur auprès de leurs collègues, et quoiqu'ils ne restassent pas juges du procès, une influence préjudiciable à la partie adverse; influence que l'identité de fonctions, les rapports plus intimes de confraternité qu'établissent les délibérations communes, etc., rendent plus à craindre de la part des juges que de la part du ministère public.

Au reste, il s'agit ici d'une espèce d'incapacité, et, en cette matière, il est de principe qu'il ne faut se gouverner ni par analogie, ni par induction. L'évocation ou le renvoi porte atteinte aux droits d'un tribunal entier sur ses justiciables; il enlève toujours nécessairement et contre son gré une partie à ses juges naturels : il faut donc, sur ce point, restreindre plutôt qu'étendre, et se renfermer rigoureusement dans les termes de la loi.

Voilà notre opinion, et c'est aussi celle de Berriat, h. t., notes 4 et 5. Outre que l'art. 568 ne parle que des juges, et que le magistrat qui exerce le ministère public n'est pas juge, Locré, t. 2, p. 37, nous apprend que la rédaction primitive de l'article a été changée sur la demande du tribunat, afin qu'on ne pût en induire que le procureur du roi dût compter pour les renvois (1).

[Le 27 août 1818 (Dalloz, t. 23, p. 431;

(1) On remarquera sans doute que si, dans l'espèce présente, nous nous tenons rigoureusement au texte de la loi, nous ne sommes point en opposition avec la solution donnée sur la précédente question, relativement

aux juges suppléants, puisque nous nous sommes fondé, à leur sujet, sur ce qu'ils étaient compris sous la dénomination générique de juges.

Sirey, t. 19, p. 149), la cour de Riom a consacré l'opinion de Carré, que nous adoptons avec Favard, t. 4, p. 867, no 5, et Dalloz, t. 25, p. 429, no 1. La cour de Riom s'est fondée précisément sur l'absence, dans le titre des Renvois, d'une disposition analogue à celle de l'art. 381. Néanmoins Thomine, no 421, hésite beaucoup à se ranger à cet avis. ]

1343. L'art. 368 est-il applicable, dans le cas même où le juge, parent ou allié, se trouverait appartenir à une autre chambre que celle qui serait saisie du différend? Les auteurs du Prat., t. 2, p. 366, estiment qu'en ce cas il n'y a lieu qu'au renvoi d'une chambre à une autre.

contraire à celui de Pigeau. Il dit qu'en accor dant la faculté de récuser, le législateur a prévu les inimitiés qui n'existent que trop souvent dans les familles; mais la récusation s'adresse au juge qui va juger, au lieu que le renvoi n'est accordé que pour éviter l'influence du juge, mème ne siégeant pas, sur les autres juges. Dans ce cas, l'inimitié du juge n'est pas à craindre pour ses parents; il faudrait qu'il sollicitât dans le sens contraire à celui de sa parenté; il n'oserait le faire, ses démarches seraient d'ailleurs suspectes aux autres juges.

La cour de cassation a au reste décidé, le 15 oct. 1807 (Dalloz, t. 25, p. 441; Sirey, t. 7, p. 1181), qu'il suffit qu'un juge saisi de l'affaire y ait intérêt, sans être partie, pour motiver une demande en renvoi. Il est superflu de faire observer que si la demande en renvoi est autorisée par la parenté de l'une des parties avec les membres du tribunal, à plus forte raison doit-elle être admise lorsque ces membres sont eux-mêmes parties au procès: si la décision que nous venons de rapporter est juste, celleci l'est également par une conséquence à fortiori du même principe. ]

Berriat, h. t., notes 4 et 5, no 2, répond que ces termes de l'art. 368, parmi les juges d'un tribunal, embrassent évidemment les juges de toutes les chambres. Telle est aussi l'opinion de Lepage, Quest., p. 212, et l'on pensera sans doute qu'elle doit être adoptée, non-seulement parce que la loi ne distingue point, mais encore parce que les liens de la confraternité existent entre tous les membres d'un tribunal, indépendamment de la circonstance qu'ils ap-[1344 bis. La demande en renvoi pourraitpartiennenent à telle ou telle chambre, à laquelle d'ailleurs ils ne sont attachés que momentanément.

[Cette solution, qui, à notre avis, ne peut ètre contestée, est reproduite par Dalloz, t. 23, p. 429, no 3. ]

1344. La partie qui a des parents ou alliés dans le tribunal ne peut-elle demander le renvoi? Une partie qui aurait avec elle des intérêts communs pourrait-elle du moins le demander du chef de celle-ci?

La rédaction de l'art. 368 ne laisse, relativement à la partie parente ou alliée, aucun doute sur la négative de la première partie de cette question, d'après ces mots : lorsqu'une partic aura deux parents..., L'AUTRE PARTIE pourra demander le renvoi; et, par une conséquence résultant des motifs qui ont dicté cette disposition, il a été décidé, par jugement du tribunal civil de Sarlat, dont les motifs ont été adoptés par arrêt de la cour de Bordeaux du 8 juin 1809 (Sirey, t. 9, p. 297), que celui qui aurait des intérêts communs avec un autre, du chef duquel procéderait la parenté ou l'alliance, ne saurait former la demande en renvoi pour cette cause, parce qu'on ne peut le considérer comme partie adverse.

[Pigeau, Comm., t. 11, p. 462, pense que, la partie qui a des parents juges pouvant les récuser, il y a même motif pour l'autoriser à demander le renvoi. Outre la raison que Carré oppose à cette opinion, qu'adoptent Dalloz, t. 23, p. 430, n° 7, et Thomine, no 421, Lepage donne de plus des motifs qui nous paraissent fondés pour faire adopter un avis

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elle étre formée pour cause de parenté ou alliance des juges avec l'un des membres ou administrateurs d'un établissement, direction ou union, partie dans la cause? On doit décider la négative, par analogie de l'art. 379, à moins que ces administrateurs n'aient un intérêt distinct ou personnel. (Voy. la Quest. 1386, infrà.)

conclure que dans les instances d'ordre, de Mais Pigeau, Comm., t. 1, p. 641, a tort de saisie, etc., où il y a une masse de créanciers, la parenté des juges avec l'un d'entre eux ne pourrait fonder la demande en renvoi, à cause du peu d'importance de l'intérêt personnel de chacun d'eux.

Il nous semble qu'il suffit que cet intérêt personnel existe, quelque minime qu'il soit, pour que les art. 368 et 378 soient applicables; et que l'exception de l'art. 579 n'a trait qu'aux administrateurs qui seraient uniquement les agents de la masse ou de l'union, mais qui ne seraient pas au nombre des associés. C'est bien alors, en effet, qu'on peut les assimiler au tuteur qui n'est dans la cause que comme administrateur des biens de son pupille, et nullement pour lui-même. ]

1345. Un garant et un intervenant peuventils demander le renvoi pour cause de parenté ou d'alliance?

Oui, disent, en termes généraux, les auteurs du Praticien, t. 2, p. 367; mais, répond Berriat, h. t., not. 5 et 6, outre que, par le mot partie, la loi ne désigne pas suffisamment les garants et intervenants, l'ordonnance du mois

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