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jusqu'à ce jour pour ramener le bon marché. Jusqu'à présent les produits forestiers, il faut le reconnaître, étaient restés en dehors du mouvement, et leur valeur ne ferait aujourd'hui que se mettre en équilibre avec celle des autres produits.

On nous assure qu'un traité de commerce analogue à celui qui a été conclu récemment avec l'Angleterre est sur le point d'être négocié avec la Belgique, dont le gouvernement aurait déjà même désigné les personnages chargés de représenter et de discuter ses intérêts dans le cours des négociations. En ce qui concerne l'industrie métallurgique et houillère, les Belges ne sont pas placés dans des conditions aussi avantageuses que les Anglais pour produire à bon marché, et à ce point de vue, leur concurrence est moins à redouter que celle de nos voisins d'outre-Manche; mais il ne faut pas perdre de vue que leurs chemins de fer, leurs canaux, et en général presque toutes leurs voies de communication, viennent se souder aux nôtres, et en sont en quelque sorte le prolongement; qu'ils parlent la même langue que nous, que leur monnaie, leurs poids et mesures sont les mêmes que les nôtres ; toutes choses qui leur donnent une supériorité marquée sur les Anglais pour l'envahissement de notre marché national. Aussi n'avons-nous pas été surpris en entendant plusieurs métallurgistes exprimer l'opinion que le traité de commerce que l'on se propose de passer avec la Belgique serait probablement, du moins à certains égards, plus à redouter pour eux que le traité anglo-français.

Ne pouvant plus nous résister par les armes, les Arabes nous paraissent vouloir continuer la lutte, en cherchant par tous les moyens possibles à entraver le développement de notre agriculture et de notre industrie. Voici, en effet, ce que nous lisons dans les journaux de notre colonie africaine :

Les incendies se multiplient dans la province de Constantine. Toutes les correspondances de l'est s'accordent à dire que jamais et en aussi peu de temps on n'avait vu le fléau destructeur causer de tels ravages. Bone, Philippeville, Constantine, Jemmapes, Guelma ont eu tour à tour à souffrir des désastres causés par le terrible élément, et, ce qu'il y a de plus pénible à dire, ces malheurs sont dus, pour la plupart, dit l'Akhbar, à une malveillance coupable.

Le petit village de Stora a failli, lui aussi, devenir la proie des flammes. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, un incendie s'est déclaré dans la forêt de chênes-liéges qui domine le village, et en un instant toutes les collines environnantes n'ont présenté qu'un immense brasier qu'altisait encore un vent violent du sud. Aux premiers cris d'alarme, la gendarmerie de Philippeville, les troupes et Que partie de la population, ayant son maire en tête, se sont portées sur le lieu du sinistre, et, grâce aux efforts persévérants des personnes accourues, on a pu se rendre complétement maître du feu, qui n'était plus qu'à 25 mètres des maisons.

Déjà tous les habitants avaient abandonné leurs demeures, traînant à leur suite tout ce qu'ils avaient pu emporter de leur mobilier, et s'étaient réfugiés dans les embarcations du port.

Malgré le danger qu'il y avait à affronter ces flammes roulant du haut de la montagne comme une lave impétueuse, aucun accident grave n'a été signalé. Quelques militaires seulement ont été contusionnés par la chute des pierres se détachant à la suite de l'incendie, d'autres ont été suffoqués par la chaleur. Mille hectares de bois environ sont devenus la proie des flammes.

Le même jour, plusieurs autres incendies survenus dans l'arrondissement de Bone, et attribués en grande partie à la malveillance, ont successivement dévoré environ 50,000 hectares de bois de chênes-liéges ou d'oliviers appartenant, soit à l'Etat, soit à des particuliers.

«La justice informe. Déjà elle a mis la main sur plusieurs coupables, qui sont tous des indigènes. »

Nos lecteurs se rappelleront peut-être les réflexions que nous avait suggérées une circulaire de M. le comte de Chasseloup-Laubat relative aux rapports qui doivent exister entre les agents forestiers et la population arabe. Nous ne pensions pas que les faits viendraient si vite confirmer nos prévisions.

Nous sommes heureux d'apprendre à nos lecteurs que, par arrêté ministériel du 31 octobre, M. Nanquette, inspecteur des forêts et professeur d'économie forestière à l'Ecole impériale forestière, a été nommé sous-directeur de cette école.

REPEUPLEMENTS ARTIFICIELS.

Au moment où l'on s'occupe en France de rechercher les moyens les plus sûrs pour arriver au reboisement des montagnes, il ne me paraît pas hors de propos de faire connaître, par la voie des Annales forestières, tout ce qui peut faciliter l'accomplissement d'une mission aussi difficile.

En apportant, selon l'expression de mon cher collègue et ancien ami M. Lanier, ma modeste pierre au monument qui va s'élever, je raconterai simplement le peu que j'ai vu, en fait de reboisements, dans une de mes excursions en Allemagne, où la connaissance de la langue allemande m'a été d'un grand secours.

En revenant du Congrès forestier qui a eu lieu, en 1858, à Francfortsur-le-Mein, je résolus de descendre le Rhin jusqu'à Cologne et de rentrer en France par la Belgique. Cet itinéraire avait pour moi l'avantage de me permettre de faire une visite à deux forestiers éminents, M. de Steffens grand maître des forêts à Aix-la-Chapelle, et M. Biermans, inspecteur des forêts du district de Hoeven, et de parcourir, en leur compagnie, les montagnes de l'Eiffel, où M. Biermans avait opéré des reboisements du plus haut intérêt et sur la plus vaste échelle.

A mon arrivée à Aix-la-Chapelle, le 23 juin 1858, je trouvai à la gare du chemin de fer MM. de Steffens et Biermans qui me firent l'accueil le plus aimable et le plus empressé, et qui m'offrirent de me conduire, dès le lendemain matin, dans les plus belles forêts de leur arrondissement.

Je les remerciai de mon mieux et les priai en grâce de me montrer, non pas de belles forêts, car nous en avons assez en France, mais au contraire tout ce qu'ils avaient de plus laid, de plus ingrat, de plus difficile à traiter au point de vue de la sylviculture, les terrains les plus rebelles aux repeuplements par semis et plantations, et où, par conséquent, le forestier avait eu le plus de mérite à créer quelque chose.

Pour répondre à ce désir, ces messieurs me conduisirent sur un plateau connu sous le nom de Fensch, formant prolongement de la chaîne de l'Eiffel, et qui offre l'aspect d'un véritable désert. Sur une étendue immense on ne rencontre çà et là que quelques broussailles qui contrastent singulièrement avec les plantations que M. Biermans a su faire venir sur ce sol infertile. Les roches dont se compose cette partie de montagne sont en schiste argileux. Le fond du terrain qui sert à la végétation a peu de profondeur. Les vents du sud-ouest y soufflent avec violence et sont trèsNOVEMBRE 1860.— 4o SÉRIE.·

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contraires à la reprise des jeunes plants. Le climat est, en général, fort rude et très-froid. Enfin la superficie du sol, dénudée depuis des siècles, est dans les conditions les plus défavorables pour la réussite d'une plan

tation.

Le lieu était donc bien choisi pour exciter tout l'intérêt du forestier et fixer son attention sur les moyens employés pour triompher de tant de difficultés. Or, ce problème a été admirablement résolu par mon savant collègue de Hoeven.

Je n'entreprendrai pas de faire l'exposé de sa méthode, cela me conduirait beaucoup trop loin, et cette description, d'ailleurs, a déjà été faite dans les Annales forestières, t. V, p. 305 et 335; je me bornerai seulement à citer ce que j'ai vu de mes propres yeux.

Le terrain étant en plateau, la préparation du sol se fait au moyen de la charrue, qui ouvre un sillon de 0,20 de largeur. En allant, la charrue déverse le gazon d'un côté du sillon, et en revenant elle rejette la terre meuble du côté opposé. Ces sillons sont parallèles et à 3 mètres de distance les uns des autres. On laisse la terre se reposer depuis l'été jusqu'au printemps, époque de la plantation. On en fait de même des cendres de gazons, préparées selon la méthode Biermans, pendant la sécheresse de l'été, et qu'on n'emploie que l'année suivante. Il est indispensable que l'hiver passe sur ces cendres, dont on a soin ensuite d'enlever les parties rougeâtres comme nuisibles à la végétation des jeunes plants.

Ces cendres sont mises en petits tas, à 70 mètres de distance environ les uns des autres, afin de les placer à la portée des planteurs. Un mètre cube de terreau suffit pour la plantation de 4,800 plants.

L'époque de la plantation arrivée, on pratique des petits trous de 0m,15 en tous sens et espacés, dans les sillons, de 0,66; on y introduit de la terre meuble mélangée de cendres, de détritus de végétaux, ou de la boue des routes, s'il s'en trouve à proximité, pour former une espèce de compost.

On plante dans le même trou deux ou trois épicéas espacés de 0,05, et, afin d'abriter ces jeunes plants contre l'action destructive des vents du sud-ouest, on prend une grosse motte de terre ou de gazon provenant du labour, et on la place devant les jeunes plants, en regard des vents précités. A l'entour des jeunes brins, on pratique une sorte de petite cuvette pour conserver la fraicheur du sol.

Les épicéas doivent provenir de pépinière, être âgés de trois ans, dont deux ans passés en rigoles. Au moment de les planter, on humecte légèrement les racines et on les saupoudre de cendres de gazon, opération qui active singulièrement la reprise du chevelu et qui explique comment

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des plantations, quoique faites au mois de juin, réussissent parfaitement. Ainsi qu'il a été dit, les jeunes plants sont espacés de 0,66 dans le sens des rayons, et ces derniers sont à 3 mètres de distance les uns des autres. Cette disposition permet de planter plus tard, entre les rayons, des essences précieuses d'arbres feuillus, alors que le sol s'est amélioré par le détritus des aiguilles d'épicéas, et par la fraîcheur que lui procure le couvert des arbres résineux. La plantation de deux ou trois épicéas dans le même trou a pour avantage de favoriser la croissance de ces jeunes plants qui aiment l'état serré, et de suppléer à la disparition ou à la mort de quelques-uns d'entre eux.

J'ai vu effectuer des plantations d'épicéas au mois de juin; j'en ai vu d'autres qui avaient été faites à la même époque, depuis plusieurs années, d'après la méthode que je viens d'exposer, et j'ai pu me convaincre, par la réussite de ces dernières, que dans les terrains les plus ingrats, au milieu des circonstances locales les plus défavorables, il y avait toujours moyen d'élever des plantations d'épicéas, en suivant le procédé de M. Biermans.

Ce précieux résultat doit être attribué principalement aux modifications que ce savant forestier fait subir au sol avant de lui confier le plant. La cendre de gazon, mêlée à la terre brûlée et à l'humus, y joue le principal rôle, en ce qu'elle met à la portée des jeunes végétaux une grande richesse de matériaux inorganiques, sous une forme soluble, et qu'elle active ainsi la végétation primitive des brins de manière à les rendre capables de résister ensuite aux influences les plus défavorables.

Un autre avantage de cette méthode, c'est de rendre possible la plantation dans une saison où les montagnes cessent d'être couvertes de neige, et d'abriter les jeunes plants contre les ouragans qui règnent dans les régions élevées.

Tout ce qui vient d'être dit peut donc trouver son application dans les travaux de reboisement que l'on va entreprendre, en exécution de la loi du 28 juillet 1860.

Voici, en outre, plusieurs remarques que j'ai faites et qui peuvent offrir quelque intérêt :

Dans les montagnes de l'Eiffel on préfère toujours la plantation au semis, par les motifs indiqués dans les Annales forestières, t. V, p. 388. On donne également la préférence à l'épicéa, comme convenant le mieux à la localité.

Dans les endroits où les jeunes plants d'épicéa sont exposés aux gelées printanières et où ils ont, par conséquent, besoin d'un premier abri, on plante à côté de chaque épicéa et dans le même trou un mélèze ou un pin. Plus tard, lorsque le plant d'épicéa est suffisamment fort, on enlève le brin protecteur.

C'est à l'agent chargé de la direction des travaux à décider si l'on doit préférer le mélèze au pin, et vice versâ; le premier croît plus vite et préserve davantage sans trop dominer, le second coûte moins.

L'éducation de bons plants de pépinière exigeant beaucoup d'attention et de soins, on admet, en principe, qu'il vaut mieux créer un petit nombre de pépinières et en confier la direction à un homme capable et expérimenté, que de les éparpiller sur un grand nombre de points.

Enfin, pour la bonne exécution des travaux de plantation, on suit, en Allemagne, un ordre méthodique. Chaque ouvrier a sa spécialité et n'est chargé que d'une seule besogne dans laquelle il excelle. Les travaux de peu d'importance sont confiés à des femmes et à des enfants, et il en résulte une grande économie.

Avant de terminer, je crois devoir communiquer encore à mes lecteurs plusieurs faits intéressants que j'ai observés dans ma tournée forestière avec les membres du Congrès.

En parcourant la belle forêt du Spessart, près d'Aschaffenbourg, j'ai admiré une vieille futaie dont les chênes séculaires, par leurs dimensions colossales, me rappelaient ceux des Beaux-Monts de la forêt de Compiègne.

L'agent forestier me fit remarquer qu'un grand nombre de ces vieux chênes avaient été couronnés, il y a plusieurs années, et qu'ils avaient refait leur cime qui a reverdi et qui ne présente plus aujourd'hui aucune trace de bois sec. Ce phénomène est dû à ce qu'on a créé à leur pied un sous-bois formé de touffes de plants de hêtre qui, en rendant la fraîcheur au sol par le couvert et le détritus de leurs feuilles, ont ranimé les racines et fait reverdir la tête. Le vent avait d'ailleurs emporté les branches sèches dont il ne restait plus vestige.

Aussi continue-t-on de planter sous cette antique futaie des jeunes hêtres destinés à prolonger, autant que possible, son existence. On le fait avec d'autant plus de raison, qu'en Allemagne comme en France, les beaux chênes de fortes dimensions deviennent de plus en plus rares, et qu'il est d'une sage administration de ne les couper que partiellement, pendant la plus longue période possible, et d'en léguer même une partie à la postérité.

Le sous-bois de hêtre a en outre pour avantage de former plus tard, avec les jeunes brins de chêne déjà existants, un mélange très-favorable. Le même procédé s'applique aux perchis de chêne pur qui, en raison du sol désséché et couvert d'herbes, ne sauraient, sans dépérir, atteindre le terme de la révolution de cent vingt à cent cinquante ans.

Pour activer la végétation des arbres, on les éclaircit légèrement et l'on crée un sous-bois au moyen d'une plantation de hêtres destinée à couvrir

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