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Mais s'il reste de ces derniers, disponibles encore pour le commencement de la saison prochaine, on court grand risque de voir grande rareté de certains autres. Les charpentes surtout ont été usées en grande partie pendant le cours de l'année, et on s'occupe activement de préparer les nouvelles aussitôt l'abatage, afin de pouvoir en disposer à la reprise des travaux. Les conséquences de cet empressement sont faciles à prévoir; déjà nous avons vu escompter la probabilité des besoins. Les charpentes vendues en partie par avance reçoivent une prime pour l'engagement à livrer sur le port aux premiers jours du flottage possible. Les cours fixés à cette condition paraissent être de 60 francs au moins le mètre cube pour s'élever jusqu'à 70 francs, lorsque les lots sont bien assortis de grosses pièces. Les gros bois seuls et bien découpés obtiennent facilement 80 francs le mètre cube.

Les sciages, quoique bien tenus, sont moins recherchés ; les besoins. sont moins immédiats. La nécessité de les employer secs exige la présence continuelle en magasin de deux années au moins de provisions, et on vit sur ce disponible quand il devient nécessaire de résister aux exigences des détenteurs. Les prix restent fermes à 160 francs pour l'entrevous et à 210 francs pour l'échantillon, sans apparence de changement en plus ou en moins.

On fabrique des merrains beaucoup et partout, malgré les déceptions des dernières ventes. Cette spéculation est tout à fait soumise aux éventualités de la récolte. Nous ne pouvons que constater l'importance des ressources et la quantité de bois employée.

Les écorces paraissent décidément devoir subir une légère baisse sur les cours de l'année dernière. La foire de Sézanne (6 décembre), qui, dans l'espèce, est le marché régulateur des environs de Paris, a établi les prix suivants :

Pour les grosses écorces, 80 francs les 104 bottes de 25 kilogrammes environ.

Pour les lots mêlés de fines et grosses, c'est-à-dire dans les coupes où l'on écorce taillis et futaies, les ventes sont faites à 115, 120, 130 francs les 104 bottes de 22 kilogrammes en moyenne.

Deux lots d'écorce par taillis première qualité ont obtenu 160 francs les 104 bottes de 20 kilogrammes.

Le tout pris sur le hacut en forêt et le transport au compte de l'acheteur. A la vérité, ces prix étaient à peu près les mêmes à cette même foire de Sézanne en 1859. Mais immédiatement après il y eut partout augmentation importante. Des lots mêlés de grosses et fines écorces de qualité médiocre furent vendus jusqu'à 160 francs les 104 bottes, et les cours s'étant généralement établis sur ces bases pour toute la récolte, nous

sommes fondé à conclure d'une baisse, quand nous voyons la récolte prochaine vendue moins cher.

La matière devra se trouver plus abondante en 1861, si nous en jugeons par les dispositions annoncées d'écorcer partout les taillis de chêne. Si cette mesure était générale, on pourrait se dispenser d'enlever l'écorce des vieux chênes qui n'a pas grand mérite pour la tannerie, et il en résulterait un certain avantage au point de vue de la disponibilité plus prompte des bois de service, qu'on exploiterait dans l'hiver, au lieu d'attendre pour cette exploitation la séve et le mois de mai.

L'état de situation des ports pendant le troisième trimestre indique des différences sensibles dans les approvisionnements. Nous trouvons presque sur tous les articles des différences en moins, comparativement à ce qui restait disponible à la fin du troisième trimestre de 1859. C'est principalement sur les bois à brûler que nous trouvons le plus d'écart.

Il ne restait, au 50 septembre 1860, que 25,000 stères de bois de flot sur les ports de Clamecy et environs, tandis qu'à la fin de septembre 1859 on comptait 116,000 stères de ce même bois.

En bois neufs, les bois durs à brûler figurent cette année pour 126,000 stères sur tous les ports de l'Aube, de l'Yonne, de la Seine, de la Marne et de l'Oise. On en trouvait 250,000 stères l'année précédente.

Les bois blancs, qui pendant quelques années ne se vendaient pas, s'étaient accumulés jusqu'au chiffre de 68,000 stères; il en reste 27,000 stères à peine.

Même différence sur les cotrets, qui, de près de 2 millions, sont descendus à 1 million à peu près.

Assurément cette pénurie, au moins relative, n'est pas étrangère au mouvement de hausse qui s'est manifesté sur l'article depuis le commencement de l'année, et qui paraît devoir au moins se maintenir, sinon progresser.

Pour les charbons nous trouvons 50,000 hectolitres disponibles au lieu de 92,000 hectolitres.

Si nous continuons le parallèle sur les bois à ouvrer, nous remarquons à peu près les mêmes différences: il y a sur les ports 145,000 décistères de charpentes quand le stock déjà réduit de la fin de 1859 accusait néanmoins une réserve de 256,000 décistères.

Les variations sur cet article sont considérables. Nous avons vu les ports chargés de charpentes quand les chantiers de Paris en regorgeaient déjà. Les cours étaient tout naturellement en conséquence de l'offre répétée des détenteurs; en présence d'une consommation insuffisante, on baissait à Paris, on imposait une baisse plus forte encore au commerce de province, qui craignait d'acheter et laissait quelques coupes invendues.

La situation est toute différente aujourd'hui : il ne reste pas un morceau de charpente exploitée aux mains des exploitants; les chantiers de Paris ont tout juste ce qu'ils vendront dans l'hiver pour les travaux possibles en cette saison, et il ne reste sur les ports que 145,000 décistères pour commencer la campagne et attendre les charpentes nouvelles.

On emploie à Paris à peu près 1 million de décistères par année. Le disponible, réduit à 145,000 décistères, représente donc à peu près la moyenne d'un mois et demi de travail. Cela suffira-t-il pour attendre l'arrivée des bois nouveaux?

Paris est devenu l'entrepôt dans lequel viennent puiser les constructeurs de navires du Havre, de Rouen, de Dieppe, quand ils ont usé toutes les ressources locales. Les grands constructeurs du Havre enlevaient encore ces jours-ci tout ce qui se trouvait à leur convenance dans les chantiers de la gare. C'est encore une consommation importante, en ce sens surtout qu'elle enlève les bois de choix et fait par cela une concurrence active aux grandes constructions du matériel des chemins de fer. Ces bois, choisis pour la marine marchande, sont payés 110 francs à peu près le mètre cube brut hors barrière.

Les Compagnies de chemins de fer se voient forcées d'élever leurs prix pour se procurer les traverses nécessaires soit à l'entretien, soit aux travaux neufs. Le hêtre préparé au sulfate de cuivre avait jusqu'alors suffi aux demandes et empêchait dans l'espèce l'augmentation sur le bois de chêne, à ce point de constituer une anomalie entre le prix courant des charpentes et le prix offert pour les traverses. On vendait 6 fr. 50 c. le décistère de charpentes de toutes dimensions rendues sur les ports, et on offrait 5 francs ou 5 fr. 50 c. de la traverse cubant un décistère et coûtant plus du double de fabrication. Cette offre était motivée sur la possibilité de se procurer à ce prix des traverses de hêtre injectées de sulfate de

cuivre.

Mais le hêtre, qui d'abord s'obtenait à 15 ou 20 francs le mètre cube, a augmenté, sous le coup de nombreuses demandes, jusqu'à valoir 35 ou 40 francs, et il est devenu impossible de continuer la fourniture des traverses aux prix établis. Une de nos grandes Compagnies n'a pas pu trouver de fournisseurs tout dernièrement à moins d'une augmentation demandée de 50 centimes par traverse. C'était justice cependant, d'autant plus que l'augmentation restait encore passablement au-dessous du cours relatif du bois. Il n'a pas été possible de conclure. Au lieu de céder, la Compagnie a pris des traverses en sapins du Nord qui seront préparées d'une manière quelconque.

L'avenir dira si l'opération est bonne.

Nous n'essayerons pas de préjuger; mais une considération nous

frappe tout d'abord au point de vue des qualités spéciales nécessaires au bois employé pour traverses.

Deux causes principales de destruction nous paraissent devoir réduire la durée des traverses de chemins de fer au-dessous de la durée normale des bois de service.

D'abord la pourriture résultant du séjour en terre ou à fleur de terre, qui fait de la traverse un moyen d'aspiration de l'humidité souterraine absorbée par la face inférieure et résorbée à la face supérieure sous l'influence de l'air et du soleil.

On a en partie conjuré ce danger par l'injection de matières conservatrices, telles que le sulfate de cuivre, la créosote et autres.

Une seconde cause de destruction doit être l'éerasement résultant du passage intermittent des machines si pesantes, des trains si longs, si nombreux, qui doivent agir sous le coussinet comme des coups de bélier répétés sur un même point.

Le chêne, le hêtre, le charme, bois à fibres serrées, résistent longtemps à cette action destructive. En sera-t-il de même du sapin, bois mou, merveilleusement propre à faire des charpentes, mais mal disposé pour soutenir les chocs répétés du passage des trains?

Dans l'intérêt général de la consommation, il serait désirable sans doute que le sapin résistât à l'épreuve, car cette essence tend à remplacer chez nous les essences plus dures qui vont sans cesse diminuant en possibilité.

On défriche les bois feuillus qui forment nos forêts de plaine pendant que la Sologne, la Champagne, les Landes surtout, se couvrent de bois résineux déjà prêts à fournir un contingent considérable à la consommation.

Dans les Vosges, dans le Jura, les propriétaires forestiers font disparaître leurs futaies de chêne et de hêtre, dont ils tirent grand parti de réalisation, et ils les remplacent par des semis ou des plantations de pins dont la croissance plus prompte promet de beaux revenus en considération des prix toujours croissants de la matière.

L'essence dominante en France sur le sol forestier était le hêtre, qui, s'accommodant de toutes les expositions, de tous les voisinages, pousse au nord comme au midi, en plaine comme en montagne, au milieu des futaies de chêne comme parmi les sapinières. Malgré les emplois si variés auxquels se prête cette essence, la consommation en était impossible comme bois de service. La matière abondait à ce point que, déduction faite de toute main-d'œuvre, le bois servant à l'ébénisterie n'était pas plus cher que le bois à brûler, et, selon les besoins du moment, il y avait égal

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intérêt à scier en planches ou à fendre en charbonnettes les arbres des plus belles dimensions.

La fabrication des traverses en hêtre préparé a de beaucoup modifié ces conditions. On ne peut plus songer à carboniser des bois valant 30 à 40 francs le mètre cube et descendant tout au plus à 20 francs dans les forêts les plus éloignées. Certaines industries éprouvent parfois des difficultés à se procurer la matière surabondante autrefois dans la localité où elles s'étaient établies. Nous avons vu des ouvriers fabricants de boissellerie, pelles, moules divers, attelles de colliers, obligés de déserter des forêts dans lesquelles ils avaient leurs chantiers installés depuis plusieurs générations. Il a fallu fuir devant l'accaparement des bois pour des traverses, cette fabrication procédant sur une échelle beaucoup plus large, avec une organisation solide et des capitaux importants, ne laissant pas de concurrence possible aux petits détaillants, qui choisissaient les bois propres à tel ou tel usage au lieu de les prendre en bloc et par masses.

Cette action absorbante s'est fait sentir dans une proportion énorme sur un objet de consommation usuelle presque générale: on trouve difficilement la quantité de sabots demandée pour l'assortiment des magasins des grandes villes ; le prix de ces sabots a augmenté de moitié. Le cours en gros est de 75 francs les 100 paires assorties, qui valaient 40 à 50 francs. Une partie de cette augmentation revient à la main-d'œuvre, dont le prix s'élève toujours, mais une grande part a pour cause le prix du bois de hêtre, généralement employé à cette fabrication.

Les sabots usés dans la campagne se font presque toujours dans chaque village avec le bois fourni par la localité. Toutes les essences servent dans ce cas peuplier, saule, noyer, tremble, érable, aune, et on trouve toujours le bois suffisant dans les haies, dans les jardins, sur les bords des ruisseaux. Les ouvriers aussi sont en nombre suffisant pour le travail. ordinaire. Ils sont peu exigeants, et la marchandise ne change guère de prix

Mais dans les villes, et surtout dans les grandes villes, qui ne produisent pas dans l'espèce et consomment beaucoup, il faut des approvisionnements que le commerce tire de certains pays de fabrication. C'est de là que vient le déficit. Les sabotiers, dans ce cas, façonnent en forêt pendant tout l'été les bois que pendant l'hiver ils ont abattus comme bûcherons. Ces bois étaient rares et chers; le prix de vente n'étant pas assez rémunérateur, les ouvriers ont cherché et trouvé du travail plus profitable, et la marchandise, quoique de première nécessité, menace de manquer.

La fabrication des meubles, très-active depuis quelque temps, emploie aussi beaucoup de bois de toute essence, mais surtout beaucoup de hêtre. DÉCEMBRE 1860.-4° SÉRIE.-T. VI.

T. VI,-26

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