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politique de la France. Nominalement il n'y avait en presence que deux partis, le parti royaliste et le parti libéral, qui se disputaient le pouvoir, par les voies légales et régulières, sur le terrain de la Charte constitutionnelle; mais chacun de ces deux partis se subdivisait en plusieurs fractions animées d'un esprit et d'intentions fort dissemblables. Ainsi, dans le parti royaliste, on comptait les royalistes purs, qui regardaient la Charte comme un compromis transitoire, et qui travaillaient à la détruiue; les royalistes modérés, qui se résignaient à la Charte et à ses conséquences principales, mais à condition de s'en dédommager sur les intérêts et sur les hommes de la Révolution; les royalistes gallicans, connus plus tard sous le nom de doctrinaires, qui s'attachaient loyalement à la Charte, qui combattaient les tendances ultramontaines d'une partie du clergé, qui défendaient, sinon les hommes, au moins les intérêts de la Révolution contre les prétentions de l'émigration, et la société nouvelle contre la société ancienne. Dans le parti libéral, on distinguait les philosophes et les constitutionnels, qui, tout en regrettant l'origine de la Charte, et sans avoir beaucoup de penchant pour la dynastie restaurée, s'efforçaient d'amener un rapprochement sincère entre cette dynastie et les institutions, les intérêts, les hommes de la Révolution; les vieux conventionnels, qui parlaient de la Charte tout autant que les constitutionnels, mais qui y voyaient surtout une arme de guerre et un moyen de battre en brèche un gouvernement qui les repoussait; les bonapartistes, qui, l'œil fixé sur un point de la Méditerranée, étendaient mystérieusement leurs ramifications, surtout dans l'armée, et attiraient à eux tous les mécontents des autres partis; enfin, un grand nombre d'hommes qui, sans appartenir précisément à aucune de ces fractions, sympathisaient tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre, selon les événements du jour, et n'étaient fixés que dans leur répugnance instinctive et passionnée contre les choses de l'ancien régime.

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Néanmoins il n'est nullement démontré qu'au 1er janvier 1815 il existât une vraie conspiration contre la Restauration. «< On conspirait, disent quelques écrivains contemporains, sur toutes les places publiques et au coin de toutes les rues. >> En d'autres termes, on ne conspirait pas. On était mécontent, on se plaignait beaucoup, on menaçait un peu, on se disait à soi-même, et on disait encore plus aux autres, qu'une révolution nouvelle était inévitable; mais d'où cette révolution viendrait, quand elle éclaterait, ce qu'elle serait, personne ne s'en doutait, pas même les bonapartistes, dont le chef était prisonnier, et qui avaient avec lui de très-rares communications. «<La classe haineuse n'est pas nombreuse; la classe méfiante est presque universelle, » écrivait à la fin de novembre le préfet de la Loire-Inférieure, M. de Barante1, et ce que M. de Barante disait de son département était vrai de la France entière. Soutenu par les Chambres, et maître de la machine puissante que le despotisme impérial avait organisée pour tenir la France sous sa main, le gouvernement royal avait donc encore, malgré son imprévoyance, malgré ses fautes, de grands moyens de salut; mais, pour s'en servir utilement, il fallait d'abord voir le danger, ensuite y opposer autre chose que des irrésolutions et des demi-mesures. Or le gouvernement de la Restauration ne voyait pas le danger, et, l'eût-il vu, il était, au milieu de ses tiraillements intérieurs, hors d'état de s'en préserver.

Deux politiques bien tranchées s'offraient à lui, celle des royalistes purs et celle des constitutionnels. Le roi, disaient les royalistes purs, est trahi par les fontionnaires de la République et de l'Empire, qu'il a follement laissés en place; trahi par l'armée, dont il a conservé les cadres; trahi par ses propres ministres, qui ne songent qu'à cajoler la Révolution; il est, de

1 Rapport du directeur général de la police. préfets..

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plus, miné par la presse, gêné par les Chambres, entravé par la Charte. Néanmoins le roi seul, en France, est puissant et populaire. S'il veut sauver l'État, il faut qu'il se dégage de toutes les entraves qui l'empêchent de faire le bien, et qu'il s'empare énergiquement du pouvoir, non pour le garder, mais pour le partager, comme jadis, avec la noblesse et avec le clergé. C'était, on l'a vu, le langage de M. de Bonald et de M. Fiévée.

Le roi, disaient les constitutionnels, s'entoure des hommes de l'émigration, blesse et irrite l'armée, laisse violer les institutions qu'il a données à la France, confie le gouvernement à des courtisans et à des commis, et perd ainsi, de jour en jour, la juste popularité qu'il avait acquise. S'il veut triompher de ses ennemis, il faut qu'il s'entoure d'hommes nationaux; qu'il licencie la cohue de gardes du corps, de mousquetaires, de gardes suisses, de gardes de la porte, dont la présence est, pour l'armée, un signe de défiance et une cause d'irritation; qu'il fasse respecter la Charte, dans sa lettre et dans son esprit; qu'il constitue enfin un véritable ministère, un ministère qui ait la confiance des Chambres et du pays, aussi bien que la sienne. C'était, on le sait, le langage de Benjamin Constant et des honorables rédacteurs du Censeur, MM. Comte et Du- . noyer.

De ces deux politiques, la seconde, selon nous, était là seule bonne, la seule sage, la seule qui pût sauver la Restauration. Quoi qu'il en soit, entre les deux il était nécessaire de choisir. Gouverner la France par la force comme un pays conquis, sans s'inquiéter de ce qu'elle pouvait désirer, ou la gouverner par la loi, comme un peuple qui s'appartient à luimême et qui a le droit d'être régi selon ses opinions, selon ses mœurs, selon ses goûts : voilà à quelle alternative la Restauration se trouvait poussée. Mais, l'expérience le prouve, ce qu'il y a de plus difficile pour les gouvernements, c'est de prendre à temps un parti. Au lieu de devancer les événements.

on hésite, on tâtonne, on ajourne, et quand, sous le poids de la nécessité, on se décide enfin à agir, il est trop tard, et l'on ne fait que donner à tous le secret de sa faiblesse. On va voir que tels furent, en mars 1815, la conduite et le sort de la Restauration.

CHAPITRE VI

LE VINGT MARS

Congrès de Vienne.
Mécontentement.

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territoires et des populations.

Mission de M. Fleury de Chaboule parti bonapartiste. - Intrigues Bévues de la police. - Débarque

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Pacte entre le parti conventionnel et mêlées de Fouché. - Complot Lallemand. ment de Napoléon. Confiance du roi et des princes. Proclamations et ordonnances. Sentiment et attitude des divers partis. - Napoléon à Lyon. - Le découragement succède à la confiance Tentative de rapprochement entre les royalistes et les constitutionnels. - Négociation avec Fouché. Renvoi du maréchal Soult. Conseil des ministres et projets divers. La Chambre des pairs et la Chambre des députés. — Protestations constitutionnelles. — Propositions en faveur de l'armée, de la Légion d'honneur, etc. Séance royale et serment du comte d'Artois. Enthousiasme. Défection du maréchal Ney et approche de Article de Benjamin Constant. — Dernier acte de la Chambre des députés. — Départ du roi. Napoléon aux Tuileries. — Ministère qu'il constitue. — - Revue du 21 mars. Vaines tentatives du roi et des princes. Napoléon maître de la France. Réflexions.

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Les plénipotentiaires des grandes puissances européennes s'étaient réunis à Vienne au milieu du mois de septembre, et, le 1er novembre, l'assemblée générale du congrès avait tenu sa première séance. Mais, loin qu'au 1 janvier 1815 on se fût mis d'accord, une rupture paraissait imminente, et l'Angleterre, l'Autriche et la France signaient secrètement un traité d'alliance, tandis que la Russie et la Prusse faisaient des préparatifs de guerre et se mettaient en mesure de disputer, par les armes, les territoires et les populations que le congrès hésitait à leur accorder.

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