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événement qui ait eu des conséquences plus funestes que l'événement du 20 mars, et ces conséquences, tous les hommes sensés les prévoyaient d'avance. Comment la responsabilité n'en pèserait-elle pas sur celui qui, sciemment, volontairement, et pour sa propre satisfaction, les infligeait à son pays?

CHAPITRE VII

L'ACTE ADDITIONNEL

État de l'opinion publique le lendemain du 20 mars. —

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Débats du

- La paix et la liberté. – Essais de négociation. Marie-Louise. L'empereur Alexandre. parlement anglais. - Délibération du conseil d'État sur la déclaration du 13 mars Certitude de la guerre. — Question constitutionnelle - Dissidence entre Na

poléon et ses conseillers. -Adresses des hauts fonctionnaires de l'État. — Libéralisme de la France. Brochures et journaux. — Le Censeur. — Entrevue de Napoléon et de Benjamin Constant. - Rédaction de l'acte additionnel. Confiscation. Maintien des constitutions et des sénatus-consultes organiques de l'Empire.- Préambule. — Déchaînement de l'opinion publique contre l'acte additionnel. Rétractation du préambule et convocation des Chambres. — Vive

polémique. Écrits de M Viennet, de M. de Salvandy, ·

de Benjamin Constant, - de M. de Sismondi.

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Fédérations. Embarras de Napoléon.

Cérémonie du champ de mai.

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Ce qu'il y a de plus difficile en temps de révolution, a-t-on dit justement, ce n'est pas de faire son devoir, c'est de le connaître. Jamais plus qu'au lendemain du 20 mars cette diffi culté ne pesa sur les consciences. La veille du 20 mars, s'opposer à la tentative de Napoléon, c'était défendre à la fois la liberté constitutionnelle, l'indépendance nationale, la prospérité publique; et la passion seule, une passion aveugle ou coupable, pouvait faire méconnaître les véritables intérêts de la France. Le lendemain du 20 mars, Napoléon, remonté sur le trône, redevenait, par la force des choses, le défenseur de l'in

dépendance nationale, et rien n'assurait que, ramenés une seconde fois par les armées étrangères, les Bourbons respecteraient plus que lui la liberté constitutionnelle. Quant à la prospérité publique, elle avait péri pour longtemps, quelle que fût l'issue de la lutte.

Pour les bonapartistes exclusifs comme pour les royalistes purs, point d'embarras sans doute. Les bonapartistes devaient se presser autour du maître qu'ils avaient rappelé ; les royalistes devaient, les uns suivre dans l'exil leur roi légitimé, les autres travailler pour lui à l'intérieur, et, s'ils se sentaient impuissants, attendre sans imprudence comme sans faiblesse le moment où des événements, malheureusement trop prévus, leur rendraient l'occasion de le servir. Mais, pour ceux qui, sans aimer Napoléon et sans croire à la légitimité royale, se préoccupaient surtout de la liberté constitutionnelle et de l'in- dépendance nationale, la question était beaucoup moins simple. Dire avec Carnot1 que « dans les crises de l'Etat il peut y avoir pour chaque particulier un moment d'incertitude, mais qu'une fois le gouvernement établi et accepté par la majorité, le devoir de tout bon citoyen est de s'y rallier, » c'est mettre à l'aise toutes les faiblesses, toutes les bassesses, et encourager les honteuses transformations dont chaque révolution, depuis le commencement de ce siècle, donne le triste spectacle. Dire avec d'autres qu'une fois attaché à une idée ou à une personne, on doit la suivre partout, même dans les rangs des armées étrangères, c'est oublier qu'on est de son pays avant d'être de son parti, et que la patrie aussi a ses droits. Entre deux principes dont les conséquences extrêmes seraient également déplorables, il y a donc un milieu à découvrir, et, avec des intentions également honorables, on peut différer sur le point juste où ce milieu doit être placé. De là des incertitudes, des anxiétés, que comprennent peu ceux

1

Exposé politique de la conduite de Carnot depuis le 1 juillet 1814

qui sont dominés par la passion ou conduits par l'intérêt personnel, mais dont, pour être équitable dans ses jugements, l'histoire doit tenir compte.

La marche de Napoléon avait d'ailleurs été si rapide, et la catastrophe si subite, qu'au premier moment personne n'en apercevait clairement les conséquences, et qu'amis, ennemis ou neutres, presque tous se faisaient à eux-mêmes ces deux questions: L'Empereur veut-il conserver la paix, et, s'il le veut, le peut-il? Quel gouvernement compte-t-il donner à la France le gouvernement bien connu du premier Empire, ou un gouverment sincèrement constitutionnel et vraiment représentatif? S'il conservait la paix et s'il maintenait la liberté, l'adhésion des classes éclairées pouvait ratifier l'acclamation de l'armée et des paysans. Dans le cas contraire, cette adhésion devait manquer en 1815 comme en 1814, et il n'était pas difficile de prévoir que l'issue serait la même.

Quand, dès ses premiers pas sur le territoire français, Napoléon déclarait, d'une part, que le temps des conquêtes était passé, d'autre part, qu'il venait rendre au peuple ses droits méconnus ou violés, il prouvait que les véritables sentiments de la France lui étaient connus, et qu'il savait quel langage il fallait parler pour lui plaire. Mais était-il sincère dans ses déclarations, et onze mois de séjour à l'ile d'Elbe avaient-ils à ce point transformé le conquérant et le despote? Relativement à la première question, celle du maintien de la paix, on n'en peut guère douter. Partir de l'île d'Elbe sur un frêle bâtiment, avec quelques centaines d'hommes, aborder en France à la dérobée; puis, ce premier succès obtenu, marcher triomphalement de Cannes à Paris, et remonter, sans coup férir, sur le trône d'où l'avaient précipité les fautes et les désastres de 1812, de 1813, de 1814, c'était une bonne fortune trop grande, une revanche trop complète, pour que Napoléon pût songer à la compromettre. Il savait d'ailleurs que l'Europe armée et coalisée était en face de lui et qu'il faudrait la com

battre et la vaincre tout entière, si la guerre éclatait. Enfin, les sacrifices territoriaux auxquels son honneur lui défendait de consentir en 1814, il pouvait les accepter en 1815, quand d'autres les avaient faits et quand la France s'y était résignée. Tout concourait donc à ce que, pour le moment du moins, il préférât la paix à la guerre, et, quand il le disait dans ses proclamations, dans ses conversations, il disait la vérité.

La disait-il également quand il paraissait croire que les puissances coalisées le laisseraient en repos; quand, en débarquant à Cannes, il annonçait que la dissolution du congrès était la conséquence de son retour; quand à Grenoble, à Lyon. partout, il promettait la prochaine arrivée de l'Impératrice et du roi de Rome? Le cœur humain a d'étranges mystères et se détache difficilement d'un espoir qui lui est cher. Peut-être donc Napoléon put-il se flatter un moment que, s'il réussissait dans son entreprise, l'Europe, étonnée et effrayée, hésiterait à l'attaquer; mais l'illusion, si elle exista jamais, fut de courte durée, et le jour même de son entrée à Paris, il sut à quoi s'en tenir. Ce jour-là, en effet, la déclaration du 13 mars, envoyée par M. de Talleyrand au roi Louis XVIII, tomba dans les mains de l'Empereur et lui apprit qu'il était mis au ban de l'Europe. Néanmoins il importait à sa politique que la France espérât la paix le plus longtemps possible, et que le jour où elle cesserait de l'espérer, elle restât bien convaincue qu'il n'avait rien négligé pour prévenir la guerre. Il affecta donc d'avoir des raisons particulières pour n'attacher aucune importance à la déclaration du 13 mars, et pendant plusieurs jours il s'étudia à tromper jusqu'à ses conseillers les plus intimes, jusqu'à ses ministres, jusqu'à M. de Caulaincourt. « Notre persuasion gé«< nérale, dit Carnot, était que l'Empereur n'avait pu quitter « l'île d'Elbe qu'avec l'assentiment d'une partie des membres <«< du congrès de Vienne, et que, sous peu de jours, nous re«< verrions l'Impératrice et son fils. » Par un des décrets rendus, le 13 mars, à Lyon, l'Empereur avait annoncé, en effet,

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