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à saluer « le retour de la noble race de nos rois dans la patrie où des vœux secrets n'avaient cessé d'invoquer le roi légitime, » comme, quelques mois auparavant, elle saluait le retour du héros en qui la France s'était personnifiée. Une fois le ton donné, tout le monde le prit, et il n'y eut pas, d'un bout à l'autre de la France, une autorité judiciaire ou administrative qui ne voulût se mettre au diapason officiel. L'unique différence, c'est que, tout en applaudissant à la chute de Napoléon, les uns s'abstenaient de l'outrage, tandis que les autres ne trouvaient pas d'épithètes assez insultantes pour flétrir l'Aventurier, le TYRAN, l'ASSASSIN, le MONSTRE dont, pendant dix l'AVENTURIER, ans, ils avaient célébré, à l'envi, le génie et les vertus. Pendant ces dix ans, sous le poids de l'oppression qui pesait sur eux, ils avaient dû, comme la cour impériale, « renfermer dans leur cœur les sentiments qu'il leur était enfin possible d'exprimer; mais toujours ils avaient gémi en secret sur les maux qui désolaient la France. Dès qu'ils avaient entrevu le moyen de mettre fin à ces maux, en rappelant sur le trône de ses pères le petit-fils de saint Louis et de Henri IV, ils s'étaient dévoués à cette belle cause; et, fidèles aux lois fondamentales du royaume, ils saluaient avec enthousiasme le retour des princes illustres à qui la France devait huit siècles de gloire et de prospérité'. »

Parmi les signataires de ces tristes palinodies, beaucoup échappent, par leur obscurité, au jugement dont l'histoire pourrait les frapper; mais il s'y rencontre des noms trop significatifs pour qu'il soit permis de les passer sous silence. Quand on veut apprécier les effets du despotisme et juger la France officielle, telle que dix années d'Empire l'avaient faite, il n'est certes pas indifférent de voir Merlin (de Douay). Jean Debry, Sieyès, Berlier, promettre fidélité aux Bourbons; Boulay (de la Meurthe) et Muraire joindre à l'adhésion collec4 Adresse du tribunal de Senlis. Circulaire de M. de Chabrol. Adresse de la cour d'appel, etc., etc.

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tive des corps auxquels ils appartenaient leur adhésion individuelle; Fontanes concourir à la rédaction de l'acte de déchéance; Garat, le ministre de la justice du 21 janvier et du 31 mai, comparer Moreau à Epaminondas et à Socrate, l'empereur Alexandre à Trajan, et demander, au nom de la France, qu'un monument public leur soit élevé; Augereau engager ses soldats à se séparer « d'un homme qui, après avoir immolé « des millions de victimes à sa cruelle ambition, n'a pas su << mourir en soldat; » Cambacérès enfin, l'archichancelier Cambacérés, donner, par deux lettres, dont l'une écrite de Bloist même, le 7 avril, son approbation explicite à la déclaration injurieuse du Sénat et à la restauration du frère du roi Louis XVI! Mais de toutes ces adhésions, de toutes ces lettres, les plus dignes d'être conservées sont sans contredit celles que le duc de Massa adressa, le 7 et le 8 avril, à Son Altesse Sérinissime le prince de Bénévent. Par la première, le duc de Massa, craignant d'être indiscret en demandant une audience, priait « Son Altesse Sérénissime d'avoir la bonté de lui faire connaitre «< si elle jugeait que, malgré les événements, il pùt se consi« dérer encore comme président du Corps législatif, et adhérer, <«< en cette qualité, à la déchéance prononcée par le Sénat <<'contre Napoléon Bonaparte et sa famille; » par la seconde, il annonçait « que, les grandes occupations de Son Altesse n'ayant « pas permis qu'il reçût une réponse, il avait pensé, après y << avoir bien réfléchi, qu'il continuait à être président jus« qu'à ce qu'on lui eût donné un successeur. »> En conséquence, M. le duc de Massa prenait la liberté d'adhérer à la déchéance.

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Lorsque Cambacérès s'empressait ainsi de joindre sa signature à celles de ses collègues du Sénat, et lorsque le duc de Massa sollicitait si humblement l'autorisation d'abandonner Napoléon, celui-ci était encore à Fontainebleau, entouré de quelques serviteurs dont le nombre diminuait chaque jour, et qui, tous ou presque tous, s'efforçaient de lui arracher une ab

dication pure et simple. Ils y réussirent dans la journée du 10 avril, et cet acte, porté aussitôt à Paris par le duc de Vicence, par le maréchal Macdonald et par le maréchal Ney, devint la base du traité que Napoléon signa, le 12 avril, et par lequel la souveraineté de l'île d'Elbe, ainsi qu'une rente de deux millions de francs, étaient assurées au dominateur du monde, en échange de son abdication. A peine cet étrange marché était-il conclu, que les derniers scrupules s'évanouirent et que les dernières fidélités s'ébranlèrent. Chacun donc, quittant Fontainebleau, se précipita vers Paris sous divers prétextes; celui-ci pour aller ratifier personnellement les engagements qu'il avait déjà contractés; celui-là pour se faire pardonner, à force de zèle, le tort d'une fidélité prolongée durant toute une semaine. Pendant les huit jours qu'il passa encore à Fontainebleau, Napoléon, presque seul, eut ainsi le temps de réfléchir sur son œuvre et d'estimer à leur juste valeur les institutions et les hommes qu'il avait créés. Mais telles sont les illusions du despotisme, même après sa chute, que Napoléon chercha partout, excepté là où elle était, la cause de la catastrophe et qu'il en accusa tout le monde, excepté celui qui méritait le plus d'être accusé.

Pendant qu'à Fontainebleau, sous les yeux mêmes de l'Empereur, l'antichambre impériale se vidait ainsi, jour par jour, heure par heure, il y avait, à Blois, une ombre de gouvernement qui, par quelques actes insignifiants, cherchait à se persuader à lui-même qu'il existait encore; mais là aussi dominait l'instinct des désertions opportunes. Ce fut le 7 avril seulement que le conseil de régence apprit d'une manière certaine les événements de Paris, et, le lendemain, les deux frères de l'Empereur, Jérôme et Joseph, ainsi que l'archichancelier Cambacérès, insistèrent auprès de l'Impératrice pour qu'elle se transportat avec son fils au delà de la Loire, et pour qu'elle y établit le siége du gouvernement. Nul doute que, par cette mesure, Jérôme et Joseph ne voulussent se réserver le moyen de résister aux résolutions prises à Paris et de continuer la guerre.

Quant à Cambacérès, qui, dès la veille, avait envoyé secrètement son adhésion à l'acte de déchéance, son intention ne pouvait être la même. Quoi qu'il en soit, la femme de Napoléon n'était pas plus disposée que sa sœur Caroline à regarder sa destinée et celle de l'Empereur comme inséparables, et elle refusa obstinément de quitter Blois. Le même jour, un commissaire russe vint la prendre sous sa protection; et, le 16, ce commissaire, après l'avoir conduite à Rambouillet, la remit avec son fils dans les mains de son père, l'empereur d'Autriche.

Avec la régence disparaissait le dernier vestige du gouvernement impérial, et la restauration était achevée. L'esprit de parti s'est habitué à confondre, dans une approbation ou dans une improbation commune, ceux qui, à un titre et à une époque quelconques, ont participé à ce grand événement; mais l'histoire, plus éclairée et plus juste, ne peut pas accepter une telle confusion. L'histoire, à quelque point de vue que se place l'historien, met et mettra toujours une grande différence entre ceux dont les actes ont contribué sciemment à ouvrir aux étrangers le chemin de Paris, et ceux qui, Napoléon vaincu et Paris occupé, ont vu, dans le rappel de l'ancienne famille royale, le meilleur moyen de délivrer et de relever la France. Sous ses anciens rois, rappelés par elle et liés par une sage constitution, la France était certainement moins vaincue, moins humiliée que sous les restes d'un gouvernement décapité, ou même sous un prince entré comme ennemi dans son pays natal. Entre Napoléon et les Bourbons, M. de Talleyrand avait raison de le dire, il n'y avait qu'une intrigue. Tout dépendait donc des conditions qui seraient faites à la dynastie restaurée, et de la constitution qui réglerait ses droits et ceux de la nation.

CHAPITRE II

LA CHARTE

Constitution du Sénat.
tution et surtout contre ceux qui l'ont faite.
Seconde mission de M. de Vitrolles.

Déchainement de l'opinion publique contre cette consti- Embarras de M. de Talleyrand, Lettre du gouvernement provisoire au

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comte d'Artois pour l'engager à accepter la constitution du Sénat. Cocarde tricolore et cocarde blanche. — Arrivée du comte d'Artois et négociation avec lui. Son entrée à Paris. — Intervention de Fouché entre le comte d'Artois et le Sénat. Intervention de l'empereur Alexandre. Déclaration du 15 avril. Ministère ostensible et ministère occulte. divers qu'il y reçoit. Indécision. Louis XVIII à Londres et à Compiègne. Sénat. Déclaration de Saint-Quen.

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Louis XVIII à Hartwell. Conseils Voyage du comte de Bruges à Hartwell.

Il refuse d'accepter la constitution du Entrée de Louis XVIII à Paris.

For

mation du ministère. - Nombreuses brochures. Opinion de Benjamin Constant. -École de M. de Maistre. - Opinion de M. de Villèle. - Tendances diverses des souverains étrangers. — Louis XVIII nomme la commission chargée de rédiger la Charte. Discussion et rédaction de la Charte. - Préambule. Séance royale du 4 jun. Discours du roi. Discours du chancelier Dambray. Octroi et dix-neuvième année du règne. Adresse des deux chambres.

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Après six années de République, une forte réaction s'était manifestée en France contre les excès du principe de liberté, et avait produit les constitutions de l'an VIII et de l'an XII. Après quatorze années de Consulat et d'Empire, une réaction non moins forte se manifestait contre les abus du principe d'autorité, et devait conduire à l'établissement d'un gouvernement libre. C'est d'ailleurs au nom de la liberté que combattaient, en Espagne, les ennemis de Napoléon; c'est au nom de la liberté que l'Angleterre avait fait appel à l'Europe, et

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