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prit de la loi, et les raisons qui les motivent sont présentées sous une forme précise.

M. Campagnole n'a pas fait une œuvre improvisée. Associé chaque jour par ses fonctions à l'exécution de la loi du 14 juillet 1905, il l'a suivie dans son développement progressif; il a noté au passage les décisions prises sur les questions innombrables qui ont été soumises au ministre de l'intérieur, il les a classées, il en a dégagé des règles; il a assisté et pris part aux délibérations de la commission centrale qui, par ses avis, forme la jurisprudence du ministère; et c'est après avoir ainsi rassemblé tous les éléments d'une étude approfondie qu'il s'est attaché à donner le sens vrai des prescriptions légales. En particulier, celles qui sont relatives au domicile de secours, aux recours et réclamations, au calcul de l'allocation mensuelle, à la contribution des bureaux de bienfaisance et des hospices, à la répartition des dépenses et ce sont les plus fertiles en contestations sont traitées avec une

sûreté remarquable et de longs développements.

M. Campagnole a déjà publié sur la loi concernant l'assistance médicale gratuite un commentaire dont deux éditions attestent le succès. Le travail qu'il offre aujourd'hui mérite d'être accueilli avec une faveur encore plus marquée. Il vient d'ailleurs à un moment opportun la loi de finances du 31 décembre 1907 a, dans ses articles 35, 36 et 37, modifié plusieurs des dispositions essentielles de la loi du 14 juillet 1905.

M. Campagnole a tenu compte de ces changements et il en a fait connaître la portée.

Après avoir parlé du commentaire, nous voudrions présenter quelques observations sur la loi elle-même. Elle repose sur cette idée fondamentale que l'assis

tance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables est non un simple bienfait de la collectivité, mais l'acquittement d'une obligation positive; par suite, celui qui réclame cette assistance en justifiant des conditions légales est armé d'un droit véritable dont l'exercice doit être garanti: ce n'est pas à la charité qu'il fait appel, c'est à la justice. Tel est le principe nouveau consacré par la loi du 14 juillet 1905. Ce principe avait déjà été admis, par la loi de 1893, pour les indigents malades, mais la loi de 1905 l'a étendu et fortifié en l'entourant de sanctions plus efficaces. Nous sommes loin de l'antique doctrine qui faisait de la bienfaisance publique une vertu volontaire, spontanée dans ses manifestations, choisissant librement ses pauvres, souveraine dans ses actes, qui ne comportaient aucune espèce de recours.

. On n'a pas manqué au cours de la discussion de la loi de 1905 d'attaquer le fondement qui lui servait de base; rien n'était plus dangereux, disait-on, que de voir, dans l'assistance, le paiement d'une dette sociale. Consacrer le droit aux secours publics, ce serait affaiblir les liens de famille, favoriser la paresse,

encourager l'imprévoyance, grever lourdement nos finances pour un médiocre résultat au point de vue moral. Ces critiques ne rencontrèrent pas beaucoup d'écho. Mais, précisément parce que la loi nouvelle substituait ses formules impératives à des pratiques séculaires, il était à craindre qu'elle ne fût pas partout bien comprise ni facilement acceptée. Il n'en fut rien. La loi d'assistance est en vigueur depuis un an à peine, et cependant elle est appliquée sans résistance, malgré la complexité de ses dispositions et le poids des charges qu'elle entraîne. Cet heureux résultat est dû au progrès des idées, à l'intelligence des assemblées locales, à la notion plus juste et plus large qu'elles ont du devoir social et aussi, pourquoi ne pas le dire? à la centralisation elle-même, qui a accoutumé nos organes administratifs à se plier avec ensemble et discipline aux impulsions qu'on leur donne d'en haut. Il ne faut pas admirer la centralisation; elle a de graves défauts, mais elle a aussi des avantages, et le plus appréciable, c'est qu'elle facilite singulièrement l'exécution des lois nouvelles.

Sans doute, il existe bien, ici ou là, des municipalités qui ont montré quelque indifférence ou une rigueur excessive dans l'établissement des listes d'assistance, ou qui ont mesuré d'une main trop parcimonieuse le taux des allocations mensuelles, mais ce sont là des exceptions qui deviendront de plus en plus rares. L'expérience faite permet de constater que la grande

et

réforme accomplie en 1905 est universellement réalisée que, dans les plus petites communes rurales comme dans les villes, elle fait sentir ses bienfaits grâce à la bonne volonté des conseils généraux et municipaux chargés de la mettre en œuvre et à leur esprit de solidarité. Partout, en France, le vieillard ou l'infirme indigent voit sa stricte vie assurée, partout il reçoit au lieu d'une aumône précaire, qui l'humiliait un peu et qui, le plus souvent, ne le mettait pas à l'abri des angoisses de la faim le versement périodique qui fait de lui une sorte de pensionné de la commune ou de la nation, et qui lui procure des ressources suffisantes sans le faire déchoir à ses propres yeux, sans lui enlever la conscience de sa dignité de citoyen.

La régularité tranquille avec laquelle s'est opérée cette transformation profonde dans la notion comme dans les procédés de l'assistance, cette unanimité dans le concours des autorités appelées à coopérer à l'organisation du nouveau service ne sont-elles pas la justification éclatante de la loi de 1905, la preuve que celle-ci sort du cœur même de nos institutions républicaines? Ne sont-elles pas en même temps un titre d'honneur pour le pays qui a si aisément accepté les lourds sacrifices qu'elle lui impose?

Qu'on me passe ici une anecdote me trouvant de passage à Lausanne, il y a six ou sept ans, j'eus l'occasion de questionner un des principaux fonctionnaires du gouvernement cantonal sur l'organisation de l'as

*

sistance publique dans le pays de Vaud : « Nous sommes en avance sur vous, me dit-il, nous avons une bonne loi sur l'assistance et vous n'en avez pas encore, ce qui étonne de la part d'une nation qui a ouvert la voie au monde sous tant de rapports. Il y a dans cette ville une Française fort âgée

c'est la

elle

veuve d'un Alsacien qui a opté pour la France vit dans une extrême misère. Nous avons signalé récemment sa détresse à votre gouvernement, qui nous a répondu par un aveu d'impuissance : il pouvait bien rapatrier cette malheureuse, mais celle-ci, une fois en France, ne pourrait compter sur les secours ni de la commune où elle résiderait, puisqu'elle n'y aurait pas de domicile de secours, ni de l'État qui ne dispose d'aucun crédit pour assister les indigents dépourvus de domicile de secours. »

Aujourd'hui la France n'a plus à envier à la Suisse sa législation sur l'assistance publique. Elle en possède une qui est plus complète et plus efficace, car elle a consacré pratiquement et fondé sur des bases solides ce droit à l'assistance que la Révolution avait proclamé : «< Tout homme qui ne peut subsister par son travail doit subsister par la société », avait dit Barnave, après Larochefoucauld, après Mirabeau, et la Convention dira plus tard : Les secours publics sont une dette de la nation. Après plus d'un siècle d'attente, cette dette est légalement reconnue; le vieillard, l'infirme ou l'incurable qui est dans le besoin est désormais certain

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