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leur formation. On peut dire, en un mot, que si le mérite de l'Ecole de la Salpêtrière a été de chercher le déterminisme, dans ces phénomènes de l'hypnotisme, le mérite de l'Ecole de Nancy a été de chercher la pensée, les faits psychologiques dans ces mêmes phénomènes.

Eh bien! Messieurs, il faut savoir le reconnaître, les recherches et les découvertes de ces deux écoles n'auraient pas abouti au terme qu'elles ont atteint si elles étaient restées isolées. Frécédemment, bien des travaux analogues avaient déjà vu le jour, sans avoir eu Theur d'intéresser le monde scientifique.

Ainsi la classification méthodique des phénomènes qui ressortissent au somnambulisme, classification fondée sur des caractères objectifs, avait déjà tentée bien des fois par des magnétiseurs. Mon collaborateur Pierre Janet a signalé un point d'histoire peu connu: On retrouve, dans certains écrits consacrés à l'étude de l'ancien magnétisme animal, dans des livres qui datent de 1810, la fameuse division du sommeil hypnotique en trois états ou phases. Despine disait déjà: catalepsie, somnambulisme mort et somnambulisme vivant. D'autres auteurs groupaient, de la même manière, les manifestations du somnambulisme.

Je vous rappelle aussi que la recherche des caractères matériels, somatiques, des manifestations du somnambulisme avait été poursuivie par ceux qui s'intitulaient les fluidistes. Ceux-là représentaient les contractures comme des marques matérielles de l'action de leur fluide.

Pour ce qui est de l'interprétation psychologique des phénomènes de l'hypnotisme, elle ne diffère pas foncièrement de l'ancienne explication présentée jadis, avec tant de talent par Bertrand et ses adeptes et qui consistait à expliquer tout par l'influence de l'imagination.

Il n'y a rien de nouveau sous le soleil; la querelle qui s'est élevée entre l'Ecole de la Salpêtrière et l'Ecole de Nancy n'est que le renouvellement de celle qui divisait autrefois les fluidistes et les animistes et qui remplissait les colonnes des journaux de l'époque, consacrés à l'étude du magnétisme animal.

Soyons électiques, Messieurs, et nous serons justes. Reconnaissons que les succès scientifiques et thérapeutiques de l'hypnotisme sont attribuables, non pas au triomphe de l'une des deux doctrines sur l'autre, mais à la conciliation et aux efforts communs des deux écoles dont je viens de parler. Cette conciliation était beaucoup plus facile à réaliser à notre époque que précédemment. On ne pouvait admettre, jadis, qu'un fait pùt être déterminé scientifiquement du moment qu'il était d'ordre psychologique. Expliquer un phénomène, en faisant intervenir la pensée, l'imagination, c'était, disait-on, s'abandonner à l'arbitraire. Les fluidistes ne se lassaient point d'opposer semblable objection aux théories des animistes.

Or, on a fini par se convaincre, sous la double influence de l'Ecole de la Salpêtrière et de l'Ecole de Nancy, que les maladies nerveuses,

par conséquent aussi les manifestations de l'hypnotisme, sont susceptibles d'un déterminisme rigoureux, malgré qu'elles nous mettent souvent en présence de phénomènes d'ordre psychologique. On s'est attaché à déchiffrer les lois qui régissent la suggestion, l'attention, l'émotion, la mémoire, l'association des idées, les lois des phénomènes physiologiques cérébraux concomitants. Les découvertes déjà faites dans cette voie de recherches ont permis de mettre de l'ordre et de retrouver la trace du déterminisme dans les anciennes observations relatives au somnambulisme, qu'enveloppait une si épaisse confusion.

C'est dans cette notion du déterminisme psychologique que les deux écoles se sont reconciliées. J'en vois une preuve nouvelle dans ce fait que la Société de l'Hypnotisme de Paris, qui vous a réunis, s'intitule en même temps Société de Psychologie.

C'est donc bien, si je ne m'abuse, le développement d'une psychologie scientifique et médicale, préparé par les recherches convergentes d'un certain nombre de philosophes et de médecins, qui a été la raison principale de l'estime que l'on accorde aujourd'hui aux études qui se rapportent à l'hypnotisme. Au lieu d'une opposition stérile, devenue dangereuse, il nous faut reconnaître une association féconde: les noms de l'Ecole de la Salpêtrière et de l'Ecole de Nancy, unis désormais, résument, je ne dis pas les études sur le somnambulisme, vieilles de plusieurs siècles, mais leur entrée dans le domaine de la science officielle.

Il faut donc maintenir ces études dans la voie où elles ont déjà obtenu tant de succès. Efforçons-nous de leur imprimer une précision de plus en plus grande. Attachons-nous à bien déterminer le mécanisme des faits qui sont du ressort de nos recherches. Appliquons à ces observations, qui sont presque toujours d'ordre moral, la rigueur du déterminisme scientifique. Ainsi nos efforts communs n'aboutiront pas seulement à faire progresser la science dans un des plus intéressants domaines de la neurologie; ils auront aussi cet inestimable résultat d'accroître les ressources dont nous disposons pour soulager et même pour guérir ceux qui souffrent. (Applaudissements prolongés.)

Conférence de M. le Dr Bérillon, secrétaire général

Le discours de M. Raymond a été suivi d'une conférence, accompagnée de projections à la lumière oxydrique, par M. le Dr BÉRILLON.

Histoire de l'Hypnotisme expérimental

1o Les précurseurs; 2° L'Euvre de Charcot à la Salpêtrière el de Dumontpallier à la Pitié.

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Comme toutes les sciences, avant d'entrer dans la voie scientifique, l'hypnotisme a traversé une période d'empirisme. Si la chimie et l'astronomie ont eu comme devancières l'alchimie et l'astrologie, l'hypnotisme a eu comine précurseur le magnétisme animal. Il est toujours plus difficile de déra

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ciner une erreur que de propager une vérité, aussi les premiers hommes qui se sont occupés scientifiquement de l'hypnotisme ont-ils perdu un temps précieux à démontrer la fausseté de l'hypothèse nébuleuse du fluide magnétique.

C'est à Braid que revient l'honneur d'avoir introduit définitivement l'étude du sommeil provoqué dans le domaine scientifique. Il a également rendu un grand service à la science, en donnant à l'ensemble de ces recherches le nom générique d'hypnotisme. Cette désignation a été consacrée depuis par tous les expérimentateurs.

Ce fut le 13 novembre 1841 que James Braid, médecin de Manchester, eut

pour la première fois l'occasion d'assister à une séance donnée par un magnétiseur suisse, La Fontaine (de Genève). A ce moment, il était franchement sceptique et considérait les phénomènes provoqués comme le résultat d'une connivence secrète ou comme une illusion. Son but, en suivant les expériences, était de découvrir la supercherie par laquelle l'opérateur devait, à son avis, en imposer au public. A son grand étonnement, il constate que certains phénomènes en apparence invraisemblables, existaient réellement et il prend la résolution de les étudier scientifiquement.

Bientôt, en présence du capitaine Brown et de plusieurs amis, Braid entreprend des expériences dans le but de démontrer que la fixation d'un objet brillant suffit pour déterminer la production du phénomène du magnétisme animal.

Afin de prouver la réalité de sa théorie, il prie un des assistants, M. Walker, de fixer son regard sur le col d'une bouteille de vin, maintenue assez élevée au-dessus de lui pour provoquer une fatigue considérable des yeux et des paupières. Au bout de trois minutes, les paupières du sujet se ferment, il tombe dans un profond sommeil.

On propose ensuite à Mme Braid de se soumettre à la même expérience. Elle y consent très volontiers, assurant à ceux qui l'entouraient qu'elle ne serait pas aussi facile à influencer que le sujet précédent. Braid la prie de tenir son regard fixé sur l'ornement d'un sucrier en porcelaine. En deux minutes, les traits de Mme Braid avaient changé d'expression, ses paupières se fermaient convulsivement et elle tombait à la renverse.

La même expérience, tentée sur un domestique qui ne connaissait rien du mesmérisme et qui ne se doutait pas de ce que l'on attendait de lui, donne le même résultat. Deux minutes après, il est plongé dans un sommeil profond.

Braid en conclut justement qu'il n'y a aucune raison pour admettre que les phénomènes du magnétisme soient la conséquence d'une action personnelle de l'opérateur sur Topéré, et que l'état dans lequel se trouvent les prétendus magnétisés ne soit qu'un état psychique indépendant de tout fluide magnétique ou de toute force mystérieuse émanant de l'expérimentateur.

C'est alors que se place dans la vie de Braid un incident qui eût certainement découragé tout autre esprit moins déterminé que le sien. La section de médecine de l'Association britannique pour Favancement des sciences refuse de mettre à son ordre du jour une communication de lui ayant pour titre Essai pratique sur l'action curative de l'hypnotisme. Braid, justement blessé dans son amour-propre scientifique en appelle au jugement de ses pairs. A cet effet, il organise une conférence gratuite à laquelle il convie tous les membres de l'Association.

La nouveauté du sujet attire un public d'élite, à tel point que, faisant allusion à la composition de l'auditoire, le Président prie les « reporters » de vouloir bien noter qu'on n'avait jamais vu à Manchester « une assemblée mieux choisie ni plus respectable». A la fin de la séance, on remercie Braid par un vote d'avoir donné aux membres de l'Association britannique le spectacle d'expériences qui, selon un témoignage unanime, avaient « éminemment réussi ».

Peu de temps après, Braid publie son livre fameux sous le titre suivant : Neurypnologie, ou traité du sommeil nerveux considéré dans ses rapports avec le magnétisme animal et relatant de nombreux succès dans ses applications au traitement des maladies.

Dans ce travail, il établissait l'origine subjective de phénomènes hypno

tiques, démontrant que l'effet essentiel de la fixité du regard résultait de la fixité de l'attention et de la concentration de la pensée. Il détruisait ainsi d'un seul coup l'hypothèse d'un fluide ou d'une action magnétique quelconque.

En résumé Braid a fixé d'une façon définitive la terminologie de l'hypnotisme qu'il définissait « un état nerveux déterminé par des manoeuvres artificielles. » S'il a attribué une grande importance à l'hypnotisation par fascination oculaire, il a reconnu aussi le rôle de la suggestion, sans cependant le mettre complètement en lumière. Il a réalisé presque toutes les expériences que l'on peut provoquer chez les sujets en état d'hypnotisme, insistant sur ce fait que dans le sommeil provoqué, certaines fonctions mentales peuvent arriver à un degré d'activité et de puissance qu'ils ne sauraient atteindre à l'état de veille. Enfin il a fait connaître la valeur thérapeutique de l'hyp

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notisme, dont il avait successivement déterminé les principales indications. Après s'être efforcé de propager en Angleterre, avec une ardeur infatigable, dans un grand nombre de séances expérimentales, ses découvertes sur l'hypnotisme (1), il succomba subitement frappé d'apoplexie, à l'âge de 65 ans le 25 mars 1860. Trois jours auparavant, désireux d'exprimer au Dr Azam, professeur à l'Ecole de médecine de Bordeaux, toute sa reconnaissance pour l'empressement avec lequel cet éminent observateur avait préconisé les résultats obtenus par sa méthode, il lui envoyait une copie de son dernier manuscrit, avec la dédicace suivante : « Offert à M. Azam comme une marque

(1) En Angleterre, dans la patrie de Braid, Hack Tuke fut longtemps le seul à participer par ses travaux à la renaissance de l'hypnotisme. A notre époque, notre collègue, Milne Bramwell s'est donné la tâche de rappeler à ses compatrioles l'oeuvre de Braid et de vulgariser les applications médicales de l'hypnotisme.

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