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<«<forme à introduire dans l'organisation et les attributions du << Conseil d'État ». Cette commission était présidée par Benjamin Constant, président de la commission de législation et de justice administrative.

Le nouveau gouvernement s'empressait ainsi de reconnaître que le Conseil d'État devait sortir du domaine de l'ordonnance.

La loi toutefois se fit longtemps attendre. Sept projets de loi sur le Conseil d'État furent successivement présentés d'année en année aux deux Chambres de cette époque, et aboutirent enfin à la loi du 19 juillet 1845.

Mais, dans l'intervalle, de sages ordonnances avaient été rendues, et la loi de 1845 ne fit que consacrer législativement ce qu'elles avaient établi.

Dès 1831, les ordonnances du 2 février et du 12 mars, provoquées par M. Barthe, ministre de l'instruction publique, puis ministre de la justice, et président du Conseil d'État, apportèrent au jugement des affaires contentieuses des garanties considérables qui avaient manqué jusqu'alors et dont a hérité le Conseil d'État d'aujourd'hui :

La publicité de l'audience;

La défense orale par l'organe des avocats au Conseil ; L'institution de trois maîtres des requêtes chargés des fonctions de commissaires du gouvernement;

La diminution des pouvoirs du président de la section du contentieux, désormais privé du droit exorbitant de refuser l'ordonnance de soit communiqué, nécessaire pour permettre au demandeur d'ajourner son adversaire devant le Conseil ;

Enfin, l'exclusion absolue des conseillers d'État et des maîtres de requêtes du service extraordinaire, des séances de l'assemblée générale consacrées au jugement des affaires contentieuses.

Ainsi, c'était bien toujours l'assemblée générale du Conseil d'État qui préparait les ordonnances rendues au contentieux ; mais, d'une part, elle procédait désormais dans les conditions. de la justice réglée, et, d'autre part, cette assemblée générale était exclusivement formée des membres du service ordinaire.

Une ordonnance ultérieure du 18 septembre 1839, en vue d'étendre cette dernière amélioration aux affaires administratives non contentieuses soumises au conseil, vint augmenter le service ordinaire et limiter aux deux tiers du nombre des conseillers d'État en service ordinaire les membres du service extraordinaire appelés à prendre part aux travaux du Conseil et considérés comme plus enclins à suivre l'impulsion des ministres.

La loi de 1845 consacra ces divers progrès.

Elle ajouta même que le Conseil d'État « pouvait être appelé à donner son avis sur des projets de loi », et, en effet, le gouvernement d'alors eut recours à ses lumières pour l'examen de divers projets de loi. Le Conseil d'État, dans cette période, n'eut comme conseil de gouvernement que le role restreint compatible avec le régime parlementaire.

Mais comme tribunal administratif, sa juridiction (l'histoire impartiale doit le constater à l'honneur du gouvernement de cette époque) s'est agrandie de toutes les garanties de bonne justice qu'y trouvaient les justiciables, et sa jurisprudence s'est à la fois étendue et fortifiée en science et en éclat.

VI,

Le Conseil d'État sous la République de 1848.

La Révolution de 1848 vint ouvrir pour le Conseil d'État

une ère nouvelle.

Il faut d'abord féliciter l'Assemblée constituante de ne s'être pas inspirée des errements suivis par les assemblées de la Révolution et d'avoir su conserver le Conseil d'État supprimé par ces assemblées. Il y a plus; la Constitution de 1848 et la loi organique du 3 mars 1849 ont donné au Conseil d'État bien plus d'importance qu'il n'en avait eu sous les Chartes; la Constitution républicaine lui rendait ce caractère de corps politique et d'ordre gouvernemental qu'il avait perdu depuis 1814.

Mais elle rompait avec la tradition; et cette partie de l'histoire du Conseil d'État n'est pas à ce point de vue la moins importante.

Nous allons résumer les caractères propres à l'institution pendant cette période, en les comparant à ceux des Conseils d'État de l'an VIII et de 1852.

Les ressemblances sont les suivantes :

1o La Constitution de 1848, comme celle de l'an VIII et de 1852, consacrait l'existence du Conseil d'État, ce que ne faisaient pas les Chartes;

2o Une loi (la loi du 3 mars 1849) a organisé le Conseil d'État de la République, comme la loi de 1845 avait consacré l'organisation du Conseil d'État de l'époque antérieure, comme le décret organique du 25 mars 1852, ayant aussi nature et force de loi aux termes de l'article 48 de la Constitution, a réalisé les principes déposés dans le titre 6 de la Constitution de 1852 ;

3o Le Conseil d'État de 1848, comme celui de l'an VIII et celui de 1852, est un corps politique, doté comme eux d'une très grande importance ;

4o Il participe comme eux à la confection des lois.

Déjà les différences commencent ici, entre l'institution de 1848 et celles de l'an VIII et de 1852; car si la législation de 1848 a rendu en partie au Conseil d'État la préparation des projets de loi, elle ne lui a pas donné le droit de les soutenir devant l'Assemblée législative.

Mais, en outre de cette première différence, et sous tous les autres points de vue, les dissemblances abondent entre ces Conseils d'État de 1848, d'une part, et de l'an VIII et 1852, d'autre part.

Nous pouvons en distinguer cinq principales, toutes de la plus haute importance; quatre de ces différences mettent en opposition le Conseil d'État de 1848, non seulement avec ceux de l'an VIII et 1852, mais avec le Conseil d'État de toutes les époques antérieures, 1830, 1814, 1790 même, et le Conseil du roi d'avant 1789; sur ces quatre premiers points, le

Conseil d'État de 1848 a rompu avec la tradition. C'est un acte de justice de déclarer que ce Conseil d'État de 1848 est sorti des mains de législateurs savants et consciencieux, procédant à l'accomplissement de leur œuvre avec ce sentiment du devoir qui toujours mérite le respect.

Ils ont considéré que la différence dans la forme du gouvernement du pays devait entraîner, dans l'institution du Conseil d'État, les différences que nous allons indiquer.

Nous avons vu qu'à toutes les époques que nous venons de rappeler, le Conseil d'État a présenté les quatre caractères

suivants :

1° D'être rattaché à titre d'auxiliaire au pouvoir exécutif investi du droit de choisir les membres du Conseil ; - 2o de préparer les décisions rendues par le chef de l'État pour le règlement des conflits entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire; 3° d'être privé de pouvoir propre en matière administrative; 4° d'être également privé de pouvoir propre en matière contentieuse. Le législateur de 1848 crut mieux faire en changeant ces quatre règles; nous allons les examiner suscessivement.

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Première différence :

La Constitution de 1848 a fait émaner le Conseil d'État non plus du pouvoir exécutif, mais du pouvoir législatif, en faisant élire par l'Assemblée nationale les quarante conseillers d'État, ainsi nommés pour six ans et renouvelables par moitié tous les trois ans.

Le Conseil d'État devenait de la sorte un corps intermédiaire entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, toujours rattaché au premier par la nature de ses fonctions, mais dépendant du second par les conditions de sa nomination.

N'était-ce pas une contradiction? Puisque le Conseil d'État est l'auxiliaire du pouvoir exécutif par ses fonctions, n'est-il pas illogique que le choix de cet auxiliaire nécessaire de l'un des pouvoirs lui soit imposé par l'autre ?

L'exécutif trouvera-t-il en lui un aide ou un obstacle à l'accomplissement de sa mission légale ?

Que de tiraillements entre les pouvoirs peuvent être la conséquence de cette situation!

En outre, ce mode de nomination par voie d'élection, avec nécessité périodique d'une élection nouvelle, est-il conciliable avec la composition d'un corps qui réclame de grands travaux, de grandes lumières, de grands dévouements à ses devoirs, ayant bien le droit de demander en échange, non sans doute l'inamovibilité, mais plus de sécurité que n'en offrent les chances d'une réélection (1)?

Seconde différence :

Sur ce second point, l'importante innovation de la Constitution de 1848 a quelque chose de plus séduisant. Au lieu de faire régler les conflits d'attributions entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire par le pouvoir exécutif en Conseil d'État, la Constitution de 1848 remettait leur règlement à un tribunal mixte,nommé Tribunal des conflits, composé par moitié de membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation, sous la présidence du ministre de la justice, et à son défaut du ministre de l'instruction publique.

Ce Tribunal des conflits a rendu des services incontestables et incontestés; la Cour de cassation et le Conseil d'État étaient divisés sur de nombreux points; ils se sont conformés à la jurisprudence du Tribunal des conflits, et cela au grand avantage des justiciables.

Nous n'éprouvons donc que de la reconnaissance pour le Tribunal des conflits de 1848.

Mais écoutez la critique amère de son organisation, faite par un ancien membre du Conseil d'État de cette époque, aujourd'hui professeur à la Faculté de Droit de Paris.

M. Batbie (dans son Traité théorique et pratique de droit

(1) La loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d'État avait reproduit à cet égard le système de la Constitution de 1848 faisant élire les conseillers d'Etat par l'Assemblée législative. Mais la Loi Constitutionnelle du 24 février 1875 (art. 4.) a donné au Président de la République en conseil des ministres la nomination et la révocation des conseillers d'État.

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