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Dans la première, je raconterai l'histoire de cette institution. Dans la seconde partie, j'exposerai les règles qui président à la composition, à l'organisation, à l'institution de la Cour des comptes.

Dans la troisième et dernière partie, j'aurai l'honneur de vous dire quelles sont les diverses attributions de la Cour.

PREMIÈRE PARTIE.

L'histoire de la Cour des comptes peut se diviser en trois grandes périodes : période ancienne, période intermédiaire, période actuelle. La première embrasse toute l'ancienne monarchie; la seconde commence à la Révolution française, et va jusqu'en 1807; la troisième commence en 1807, à la création de la Cour des comptes, constituée encore aujourd'hui, à peu de chose près, telle qu'elle est sortie des mains de ses fondateurs.

A chacune de ces trois périodes historiques correspondent trois systèmes différents pour le jugement des comptes. Le troisième et dernier système a su emprunter les avantages des systèmes antérieurs et éviter leurs vices; il nous montre le présent profitant des expériences du passé.

I.

Première période (période ancienne); premier système.

L'ancienne monarchie a eu ses Chambres des comptes, correspondant dans une certaine mesure à la Cour des comptes d'aujourd'hui.

Dans le principe, il n'y eut qu'une seule Chambre des comptes, siégeant à Paris pour toute la France.

A partir du XVIe siècle il y en eut plusieurs autres, dont l'existence se rattachait à la division des anciennes provinces, en pays d'états et pays d'élections.

En 1789, il y avait dix Chambres des comptes siégeant à Paris, Dijon, Grenoble, Aix, Nantes, Montpellier, Rouen, Metz, Nancy et Bar-le-Duc.

Quatre autres, à Lille, Dôle, Blois et Pau, avaient été successivement instituées, puis supprimées et réunies à divers Parlements; elles n'existaient plus en 1789.

A cette date, la Chambre des comptes de Paris était composée d'un premier président, douze présidents, soixante-dix-huit maîtres, trente-huit correcteurs, quatre-vingt-dix auditeurs ou clercs du roi ayant voix délibérative sur les objets de leur port, un procureur général, un avocat général, et deux greffiers en chef.

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Les Chambres des comptes des provinces étaient organisées sur le même modèle.

Mais aucun lien ne les rattachait à la Chambre des comptes de Paris; elles étaient souveraines comme celle-ci, qui ellemême ne l'était pas devenue sans difficulté.

A l'origine, elle avait fait partie du Parlement; puis elle en fut séparée, et les deux compagnies demeurées rivales eurent de nombreux conflits, principalement relatifs au droit, que le Parlement prétendait exercer, de connaître par voie d'appel des décisions de la Chambre des comptes de Paris.

Deux ordonnances données, l'une par Charles VII à Bourges en décembre 1460 et l'autre le 5 février 1461 par Louis XI à Saint-Jean-d'Angély, permettaient d'interjeter appel au Parlement des décisions de la Chambre des comptes; bien qu'une autre ordonnance de Louis XI, rendue à Poitiers le 26 février 1464 (1), contînt une règle contraire, l'antagonisme des deux juridictions, profitant de ce conflit de décisions opposées, dura jus

(1) Cette ordonnance, dans un temps où il n'y avait pas encore de Chambres des comptes dans les provinces de France, définit en effet la Chambre des comptes de Paris de la manière suivante : -« Une cour souveraine, prin«cipale, première, seule et singulière, du dernier ressort, en tout le fait des << comptes et finances, l'arche et le répositoire des titres et enseignements << de la couronne et du secret de l'Etat, gardienne de la régale et conserva«trice des droits et domaines du roi. »

qu'à François Ier. Ce roi y mit fin à l'occasion de l'incident que voici.

Les habitants de la Rochelle, se prétendant lésés par un arrêt de la Chambre des comptes, en interjetèrent appel au Parlement. François Ier envoya des membres de son conseil pour s'interposer, et il rendit à La Meilleraie, le 2 août 1520, un mandement portant défense au Parlement de recevoir les appels contre les arrêts de la Chambre des comptes (1).

Ainsi la question fut vidée par ce roi dans l'intérêt de la souveraineté de la Chambre des comptes.

Un autre point historique digne d'intérêt et qui divise même les auteurs, est relatif à l'époque à laquelle la Chambre des comptes devint sédentaire ; les uns tiennent pour 1256, en raison d'une ordonnance de saint Louis, en date de ladite année, qui enjoint «< aux majeurs prud'hommes de venir compter des << recettes et dépenses des villes devant les gens des comptes « de Paris » ; d'autres tiennent pour l'année 1296 ; d'autres enfin pour l'année 1319, époque à laquelle le Conseil du roi et le Parlement de Paris sont également devenus sédentaires.

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La Chambre des comptes de Paris a occupé une grande place dans l'ancienne monarchie; elle a eu l'honneur d'avoir à sa tête d'illustres personnages, comme Jacques de Bourbon, ar

(1) « Après avoir ouï les raisons qui étoient alléguées par notre Cour de Parlement, a été présentée une ordonnance qu'elle prétendoit avoir été donnée parties ouïes, au lieu de Saint-Jean-d'Angély, par feu de bonne mémoire le roy Loys XI, et plusieurs arrêts sur ce donnés, tendans et concluans par les raisons que dessus et plusieurs autres alléguées, à ce que des apoinctements et arrêts des dicts gens des comptes l'on pouvoit appeler, et que ces appellations, les unes pouvoient se vuider en la Chambre du Conseil, c'est à sçavoir quand procedoit en ligne de compte ou closture d'iceluy, et les autres en ladite Cour de Parlement; Et que de la part desdicts gens de nos comptes estoient alléguées au contraire plusieurs ordonnances de nos prédécesseurs roys de France, et mesmement l'ordonnance de feu et bonne mémoire le roy Philippe V donnée au Vivier en Brie en 1319; de Charles VI au mois de mars 1408, de Charles VII au mois de décembre 1460; de Loys XI, au mois de février 1464, qu'ils prétendoient aussy avoir été données parties ouïes confirmation des dites précédentes et révocation de l'ordonnance de Loys XI de Saint-Jean-d'Angély...... Notre dicte Chambre est érigée en dernier ressort,.. » Mémorial B de la Chambre des comptes.

rière-petit-fils de saint Louis; Gaucher de Chatillon, connétable; Jean de Trie et Robert Bernard, maréchaux de France; Henry de Sully, de la famille du ministre d'Henri IV ; le plus grand de tous, Michel de l'Hôpital, qui fut premier président de la Chambre des comptes avant de devenir chancelier ; et plus tard Nicolaï qui, sous Louis XV, tint au duc d'Orléans certaine harangue demeurée célèbre.

La Chambre des comptes de Paris avait des attributions très vastes et très diverses.

1° Elle avait des attributions politiques; à ce titre elle enregistrait les traités de paix, les contrats de mariage des rois, le serment des prélats, les lettres d'ennoblissement, etc.

2o Elle avait des attributions domaniales; les titres du domaine étaient confiés à sa garde ; elle était chargée de l'enregistrement de tous les actes relatifs au domaine.

3o Elle avait enfin des attributions de comptes et finances, qui seules font, de cette Chambre et des Chambres des comptes des provinces à partir du XVI° siècle, les devancières de la Cour des comptes d'aujourd'hui.

Mais ces Chambres n'avaient pas seulement le jugement des comptes, elles avaient aussi sur les comptables, pour tout le fait des comptes, une juridiction criminelle allant jusqu'à la torture, et pouvant aller au delà avec le concours de quelques membres du Parlement.

Telle était l'institution de l'ancienne monarchie.

Voyons maintenant ses œuvres :

Grande par son ancienneté, par sa haute position dans l'État, par ses attributions, par l'illustration de ses chefs, cette institution a-t-elle été grande aussi par les services qu'elle a rendus au pays?

Qui et non !

Elle a rendu de véritables services dans l'exercice de ses attributions domaniales; elle s'est montrée la gardienne vigi lante des titres du domaine, et la nation en a recueilli les fruits lorsqu'en 1789, rentrant en possession d'elle-même, elle reprit aussi possession de son domaine, cessant d'être le domaine de

la couronne, pour devenir, dans le nouveau droit public de la France, le domaine de la nation, le domaine national!

Mais ni la Chambre des comptes de Paris, ni les Chambres des comptes des provinces n'ont rendu de sérieux services au point de vue financier. Cela tenait à des causes diverses : au mode de perception des deniers publics, affermés aux fermiers généraux, aux traitants, qui n'avaient qu'à payer le prix de ferme des impôts et dissimulaient à la fois le produit réel de ces impôts et leurs exactions; à l'absence complète de publicité : on entourait toutes les opérations de comptabilité d'un secret tellement absolu et systématique, qu'on a vu prescrire à la Chambre des comptes l'emploi exclusif d'huissiers qui ne savaient pas lire ; à l'arbitraire sans limites qui régnait dans l'Administration des finances.

Aussi les anciennes Chambres des comptes ont été impuissantes à prévenir les malversations, à réprimer les dilapidations, à porter dans les finances l'ordre et la lumière, qui sont devenus, depuis 1807, les caractères distinctifs de la comptabilité française.

II.

Deuxième période (période intermédiaire); deuxième système.

La Révolution était directement provoquée par une immense crise financière; elle n'était pas disposée à ménager les Chambres des comptes ; elle les supprima toutes; et la Chambre des comptes de Paris, réduite à la ligne de comptes, après avoir été provisoirement maintenue en fonctions, tint sa dernière séance le lundi 19 septembre 1791.

Vous savez quel fut le principe fondamental proclamé par l'Assemblée constituante en matière de finances: c'est que les recettes et les dépenses publiques doivent être chaque année discutées et votées par le Corps législatif élu de la nation et mandataire des contribuables.

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