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VII

LES BANS

ᎠᎬ

MOISSON, DE FAUCHAISON, DE VENDANGES

ET DE TROUPEAU COMMUN

D'APRÈS

LE PROJET DE CODE RURAL

Au moment où les pouvoirs publics poursuivent l'élaboration d'un nouveau Code rural, il peut être utile d'examiner un point de notre législation agricole qui a résisté à toutes les transformations, et maintient dans quelques parties de la France des usages antérieurs à 1789. Il s'agit des bans de vendanges et autres bans émanant des autorités municipales. Sous une apparence modeste, ces institutions surannées intéressent le grand principe de l'émancipation du sol et de la liberté des héritages, proclamé par le Code rural de 1791. Elles s'en écartent. Le but d'une loi de réforme et de progrès semble devoir être de se rapprocher de cet idéal et de le réaliser entièrement. Nous craindrions que la loi nouvelle, si le projet en discussion n'était pas modifié dans son texte actuel, n'eût au contraire, sur ce point, pour conséquence involontaire de nous en éloigner davantage.

Les neuf titres dont se composait le texte primitif du livre Ir du projet de Code rural, relatif au régime du sol, et soumis aux délibérations du Sénat, sont devenus neuf projets de lois distincts. Cette division du travail législatif a eu pour objet de faciliter l'accomplissement de cette grande tâche. Trois de ces projets sont devenus autant de lois nouvelles promulguées le 20 août 1881; elles sont relatives aux chemins ruraux, aux chemins et sentiers d'exploitation, aux clôtures, plantations et enclaves. Quatre autres parties votées par le Sénat ont été transmises à la Chambre des députés. Les autres sont encore soumises à l'examen du Sénat.

C'est l'un des projets de loi qui ont franchi cette partie de l'instruction parlementaire, et dont la Chambre des députés est en ce moment saisie, qui traite du parcours, de la vaine pâture et du ban des vendanges.

Ce projet de loi ne parle que de cette sorte de bans, réglée par son article 12; mais il aurait en outre pour conséquence de consacrer définitivement dans notre droit une partie des autres bans usités avant la Révolution.

L'ancienne législation de la France attribuait aux seigneurs, laïques et ecclésiastiques, le droit de fixer dans les paroisses et communautés d'habitants le moment où il était permis de commencer à chaque saison les diverses récoltes. Cette fixation du jour d'ouverture de la cueillette du raisin, de la coupe des foins, de la récolte des céréales, était l'objet d'une proclamation ordinairement faite au prône de la messe paroissiale. Des formes solennelles dont cette publication était environnée, sont venus ces termes de bans des vendanges, bans de fauchaison, bans de fenaison, bans de moisson, et, dans les pays de vaine pâture, bans de troupeau commun, obligeant à faire paître les bestiaux de la paroisse sous la garde d'un même pâtre.

Ces anciennes pratiques étaient pour nos campagnes une des applications du système réglementaire qui, dans le passé, courbait sous son joug de fer l'agriculture, le commerce et l'industrie.

Elles avaient une double origine, une double explication. Les bans de récoltes avaient d'abord pour base l'intérêt féodal. L'obligation imposée à tous les habitants d'une paroisse de faire une récolte dans le même temps rendait la perception des dîmes plus facile et plus sûre. L'esprit de privilège y trouvait un autre avantage; les bans faits par les seigneurs ne l'étaient pas pour eux ; ils leur procuraient la faculté de recueillir leurs récoltes les premiers et de trouver ainsi des ouvriers à meilleur compte, alors que le ban proclamé forçait à l'inaction tous les bras de la contrée.

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L'autre origine, l'autre explication des bans de récolte comme de toutes les applications du système réglementaire à outrance, se trouvent dans la fausse notion des droits et des devoirs de la puissance publique dans l'ordre des phénomènes relatifs à la production, comme à la distribution et à la circulation de la richesse au sein des sociétés. La prétention d'assurer l'excellence des produits du sol amenait logiquement des effets analogues à la prétention de garantir la perfection des produits manufacturés. Les règlements de Colbert se proposaient, entre autres protections, celle de la qualité des tissus ; les anciens ducs de Bourgogne, en introduisant le ban des vendanges dans cette province, avaient en vue la bonne qualité des vins. Dans un cas comme dans l'autre, l'autorité publique se substituait à l'individu pour l'annihiler ou le tenir en tutelle. La grande Assemblée qui, en dotant la France d'un droit public nouveau, décrétait la liberté du travail et proclamait la propriété privée «< un droit inviolable et sacré », voulut faire disparaître ces anciennes pratiques. Elles sont en effet contraires à la liberté du travail agricole, au respect dû au droit de propriété, aux intérêts de la production et de la consommation, au libre usage des facultés individuelles par Dieu imparties à tout homme.

Aussi la loi du 28 septembre 1791, promulguée le 6 octobre suivant, connue sous le nom de Code rural, débute-t-elle par cette magnifique déclaration : « Le territoire de la France est libre comme les personnes qui l'habitent ».

Et comme ce grand principe ne comporte pas de conséquence pratique plus simple, plus vulgaire, plus naturelle, moins compromettante pour les droits rationnels de l'État, que de laisser les propriétaires et fermiers libres de couper leurs moissons, leurs foins, leurs diverses récoltes au moment de leur choix, la section 5° du Code rural de 1791 contient les règles suivantes :

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« Nulle autorité ne pourra suspendre ou intervertir les travaux de la campagne dans les opérations de la semence et des

<< récoltes. »

Chaque propriétaire sera libre de faire sa récolte, de quelque nature qu'elle soit, avec tous instruments et au moment « qui lui conviendra, pourvu qu'il ne cause aucun dommage « aux propriétaires voisins. »

Cette déclaration pourrait faire sourire à titre de vérité d'évidence. On serait autorisé à se demander pourquoi le législateur prend la peine de proclamer des droits aussi élémentaires, si nous pouvions oublier que l'Assemblée constituante avait à détruire les banalités de l'ancien régime, et ces bans, vestiges d'un autre âge, que l'on trouve encore dans nos campagnes au temps où nous vivons.

Par égard pour les habitudes de certaines contrées, le législateur de 1791 crut en effet devoir ajouter ce qui suit : « Ce«< pendant, dans les pays où le ban des vendanges est en usage, il <«< pourra être fait à cet égard un règlement chaque année par «< le conseil général de la commune, mais seulement pour les << vignes non closes. »

C'est par application de ce texte que les maires, dans diverses parties de la France, prennent chaque année les arrêtés par lesquels ils fixent dans leurs communes l'ouverture de la récolte des vignobles, et quiconque se permet de vendanger avant le jour fixé est dans le cas d'être poursuivi devant le tribunal de simple police et condamné à une amende pour cette contravention.

Deux points de droit se dégagent de ces textes.

Il en résulte, en premier lieu, que les auteurs du Code

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