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infractions prévues par l'article 358, celle de l'article 360 est une contravention qui ne peut se justifier ni par l'intention du délinquant ni par le but qu'il se propose (C. cass. 10 avril 1845, D. P. 45. 1. 252; Jousse, Inst. crim., t. 3, p. 666; Merlin, Répertoire, v° Cadavre, no 8; Carnot, art. 360; Morin, vo Sépulture, p. 718; Blanche, op. cit., t. 4, p. 282, n° 347; F. Hélie et Chauveau, op. cit., 4o édit., t. 4, no 1596, p. 474, et 5o édit., t. 4, no 1770, p.482).

L'exhumation n'est donc possible sans contravention que lorsqu'elle est autorisée. Nous venons de voir dans quels cas cette autorisation ne peut être donnée que par l'autorité administrative. Mais, dans d'autres, l'exhumation peut être également ordonnée par l'autorité judiciaire. Les magistrats instructeurs et les officiers de police judiciaire, investis du droit de commettre des hommes de l'art pour constater l'état d'un cadavre avant l'inhumation, sont investis du même pouvoir après l'inhumation; pour les nécessités d'une instruction criminelle, afin de constater les causes certaines de la mort d'un individu, en cas de meurtre, d'empoisonnement, d'infanticide, d'homicide par imprudence, de coups et blessures ayant occasionné la mort sans intention de la donner, etc., ils peuvent ordonner l'exhumation. Dans ces exhumations, l'on doit prendre les mêmes mesures de précaution que pour les exhumations opérées en vertu d'autorisations administratives; mais elles sont ordonnées par l'autorité judiciaire ; le principe de séparation des autorités, loin d'en être ébranlé, en reçoit une de ses plus incontestables applications.

Pourquoi en serait-il autrement de l'application de l'article 161 Code instr. crim. en cette matière? Pourquoi le transport au cimetière communal, ordonné par le jugement du tribunal de simple police qui condamne le contrevenant pour avoir fait l'inhumation ailleurs que dans ledit cimetière, serait-il plus contraire au principe de séparation des autorités, que l'exhumation ordonnée par l'officier de police judiciaire dans le but de la recherche des preuves au cours d'une instruction criminelle ? Il n'a même pas été besoin d'écrire dans la loi une disposi

tion spéciale pour conférer à l'autorité judiciaire ce droit d'exhumation. Il suffit des dispositions générales des articles 44, 88, 89 du Code d'instruction criminelle. Qu'importe que la tombe ne soit pas déplacée? Le magistrat instructeur a le droit de faire emporter le cadavre tout entier aussi bien que les viscères.

Dans notre espèce, il y a de plus la certitude de l'harmonie des volontés et des actes entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire. Le jugement de la seconde vient donner l'application et la sanction au refus d'autorisation de la première, méconnu par le contrevenant. Sans doute les exhumations commandées sont pénibles, et peut-être ce sentiment explique-t-il, en dehors de ses motifs, l'arrêt que nous discutons. C'est entre les deux autorités, à qui laissera à l'autre cette mission pénible. Nous comprenons ce point de vue. Mais pourquoi faire intervenir le principe de séparation des autorités ?

L'autorité administrative demande que ce transport soit effectué; la contravention consiste en ce que sa volonté à cet égard a été méconnue ; elle seule reste maîtresse de désigner la place dans le cimetière communal. Ces deux circonstances désintéressent le principe de séparation des autorités, ou plutôt il trouve dans cette application de l'article 161 du Code d'instruction criminelle une de ses manifestations ordinaires. L'autorité judiciaire fait l'application des actes de l'autorité administrative et leur donne leur plus efficace sanction.

La Cour de cassation a jugé (V., entre autres arrêts, Crim. cassation 19 août 1841, Jur. gén., v° Contravention, no 128; 17 juin 1858, D. P. 58. 5.384) que le tribunal de simple police qui condamne un individu à l'amende pour avoir déposé des matériaux sur la voie publique, doit, à peine de nullité, le condamner en même temps à les enlever. Nous n'avons garde de comparer à des matériaux le cadavre enseveli. Mais si le principe de séparation des autorités ne fait pas obstacle à ce que le tribunal ordonne l'enlèvement dans le premier cas, bien que la police de la voie publique appartienne à l'autorité administrative; pourquoi le même principe ferait-il obstacle à ce que le tribunal ordonne la translation d'un corps dans le second, parce que la police des

lieux de sépulture appartient à l'autorité administrative? Il en est de même de la police des établissements dangereux, incommodes et insalubres, qui aux termes du décret du 15 octobre 1810 et de l'ordonnance du 14 janvier 1815, appartient à l'autorité administrative. Le tribunal de simple police punit les contraventions, et la cour de cassation décide qu'en vertu de l'article 161 du Code d'instruction criminelle le tribunal de police doit ordonner la fermeture immédiate d'un établissement formé sans autorisation (C. cass. crim., 26 mars 1868, D. P. 69. 1. 115), le rétablissement des lieux dans leur état primitif en cas de modifications notables apportées à l'usine sans autorisation (Ch. crim. 10 juin 1864, Chabaud).

Même en matière de cimetière, la chambre criminelle a jugé que le tribunal de simple police doit ordonner la démolition des constructions indûment élevées auprès d'un cimetière (Cass. 23 févr. 1867, Ruffin; Bull. crim., 67, p. 73, no 44). Que devient le motif tiré de ce que les contraventions en matière de sépulture ne seraient pas préjudiciables à l'intérêt public? Que devient le motif tiré de la séparation des autorités ? Le droit de police de l'autorité municipale embrasse tout ce qui intéresse les cimetières.

Ce ne sont là que des exemples. Mais il y a peu d'applications de l'article 161 du Code d'instruction criminelle admises par la cour de cassation, qui ne se prêtent à la même argumentation.

Dans cet article 161, le législateur n'a pas cru devoir faire de distinction. Il est difficile à la jurisprudence d'en établir qui ne soient arbitraires.

Il faut remarquer, en outre, que l'article 161 Code instr. crim. est aussi indispensable en cette matière qu'en aucune autre pour remédier au peu d'efficacité que pourraient avoir les peines de simple police. Ce serait une erreur de croire que l'intervention à ce point de vue de l'autorité judiciaire est sans raison d'être et fait double emploi avee les pouvoirs de l'autorité administrative; ce ne serait pas plus exact pour la police des sépultures que pour la police de la voirie ou celle des éta

DROIT PUBLIC.

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T. I.

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blissements dangereux et insalubres; toutes ces polices appartiennent à l'autorité administrative, dont les actes en ces matières ont un égal besoin d'être appliqués par l'autorité jndiciaire, tant pour la réparation civile que pour la sanction pénale. Si l'autorité administrative était laissée aux seuls moyens d'action qui lui sont propres, comment ferait-elle pour faire payer par les contrevenants les frais de l'exhumation, du transport au cimetière, qui peut être très éloigné du terrain privé où le corps a été indûment inhumé, et, enfin, de l'inhumation définitive? Comment aussi triompherait-elle de la résistance du propriétaire, pour opérer cette exhumation dans une propriété privée ? Sans doute, l'administration municipale a la police et l'autorité sur tous les lieux de sépulture. Mais il s'agit de pénétrer dans une propriété privée ; et puisqu'il y a uue condamnation prononcée pour contravention, le même jugement ne doit-il pas mettre les moyens d'action dont dispose l'autorité judiciaire pour la réparation, entre les mains de l'autorité administrative, dans ce cas comme dans tous les autres admis par la jurisprudence de la cour suprême ?

Remarquons, enfin, que cet article 161 peut seul éviter au législateur français d'avoir à modifier, pour cause d'insuffisance de la loi, l'article 358 du Code pénal dans le même sens que l'article correspondant du Code pénal belge.

§ 4.

Limite légale du droit d'inhumation en propriété privée.

L'application de l'article 14 du décret du 23 prairial an XII soulève une autre difficulté. Bien que les jugemeuts ci-dessus rapportés ne l'aient point résolue, elle se présentait dans les deux espèces. Il s'agit de savoir quelle est exactement, en ce qui concerne le lieu de sépulture exceptionnellement permis par l'article 14, la portée de ces mots : « toute personne pourra être enterrée sur sa propriété » ?

Trois systèmes d'interprétation sont en présence.

Dans le premier (et c'est la prétention qui s'est produite dans nos deux espèces), toute propriété privée, acquise le jour même du décès ou après le décès, individuelle, indivise ou collective, combinée avec d'autres, même dans le but direct d'éviter le cimetière communal et d'y suppléer, rentrerait dans les prescriptions de l'article 14 du décret de l'an XII.

Dans le second, on dit, au contraire, que la sépulture privée autorisée pas l'article 14 est celle destinée à un seul individu et réalisée sur un terrain qui est sa propriété exclusive au moment de son décès.

Enfin, dans le troisième système, qui est le nôtre, l'article 14 du décret de l'an XII ne doit être entendu, ni avec la rigueur excessive qui caractérise le second système, ni avec l'extension illimitée et abusive du premier. Il permet les cimetières de famille, c'est-à-dire qu'il admet l'inhumation en propriété privée, alors même qu'elle n'est pas la propriété exclusive du défunt, lorsque cette copropriété prend sa source dans la transmission héréditaire des tombeaux et du lieu de sépulture. Cette interprétation de l'article 14 est assez large pour donner satisfaction au sentiment de famille, soit qu'il porte ses membres à rapprocher leurs tombes sur un même point du cimetière communal, soit qu'il les pousse à les grouper dans une même propriété privée demeurant indivise. Tel est l'esprit de l'article 14, qu'une interprétation plus restrictive annihilerait absolument. Il faut remarquer qu'il en résulte encore que le cimetière de famille peut servir ainsi à des générations successives. Nous avons montré ailleurs que dans les populations protestantes du Poitou et de tout l'Ouest de la France, ces cimetières de famille, dont certains remontent, comme l'usage lui-même, à la révocation de l'édit de Nantes, sont excessivement nombreux. Ils y sont rares dans les familles appartenant à la religion catholique ; mais nous en connaissons des exemples. Voilà, suivant nous, ce que permet l'article 14 du décret de l'an XII, et, en le faisant, il tient compte des traditions, des usages, des convenances individuelles, sans imposer de conditions contraires au sentiment de la famille qui

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