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NOTICE

L'affaire dite « des mariages de Montrouge » eut en 1883 un long retentissement et suscita une vive controverse. Les deux études ici réunies furent publiées alors. On s'aperçut bientôt que les irrégularités relevées dans la célébration des mariages de Montrouge, l'avaient été dans bien d'autres parties de la France, et l'émotion légitime résultant de cette tardive découverte explique que les graves questions alors soulevées aient dû être promptement résolues.

La nouvelle loi municipale du 5 avril 1884, dans son article 82 (rapporté page 404), a changé les règles relatives, non à la suppléance du maire, mais à la déléga tion de ses pouvoirs.

Nous disons dans notre XIV° étude, en expliquant le changement apporté par cette disposition nouvelle, pourquoi nous la considérons comme moins rationnelle que celle qui la précédait. Mais l'article 82 de la loi du 5 avril 1884 était discuté et voté sous le coup des émotions dont nous venons de parler, alors que l'on reconnaissait que les vices du mariage de Montrouge, au lieu d'être une exception, s'étaient malheureusement produits sur une large échelle dans beaucoup d'autres

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parties de la France. Cette affaire explique le changement de rédaction et de système consacré par le texte de l'article 82 de la nouvelle loi sur l'organisation municipale. Elle constitue son histoire, et nos deux études la contiennent avec son commentaire.

Elles contiennent aussi l'histoire et l'explication de l'institution des Adjoints au maire, de la suppléance du maire et de la délégation de ses pouvoirs.

L'arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 7 août 1883, tout en refusant aux irrégularités alors commises la rigoureuse sanction de la nullité, a reconnu leur existence et par suite confirmé l'interprétation par nous donnée aux lois qui de 1800 à 1884 ont régi cette partie de notre législation.

A tous ces points de vue, nos deux études, bien que la controverse sur la législation antérieure à 1884 soit close, ont conservé leur raison d'être.

D'ailleurs, sous l'empire de la nouvelle disposition relative à la délégation des pouvoirs du maire, n'est-il pas d'un haut intérêt, au point de vue même où s'est placée la Cour de cassation en 1883, de savoir si le législateur de 1884, par le remaniement de son article 82, n'a pas entendu frapper de nullité tout acte, même un acte de mariage (si pénible que cela soit!), accompli par un conseiller municipal délégué en dehors des conditions prescrites par le nouveau texte, et spécialement de l'arrêté qui seul peut contenir une délégation régulière ? Même avec la vigilance de l'administration supérieure pour y tenir la main, est-il téméraire de supposer que la question pourra se présenter?

XIII

DES ADJOINTS

DE LA

SUPPLÉANCE ET DE LA DÉLÉGATION

DES

POUVOIRS DU MAIRE

Un jugement du tribunal de la Seine du 23 février 1883 (1) a eu dans le pays un grand retentissement. Il a prononcé, à la requête du parquet, la nullité de trois mariages célébrés aux portes de Paris, dans la commune de Montrouge, par un conseiller municipal à qui le maire avait délégué ses fonctions d'officier de l'état civil, bien que les adjoints ne fussent ni

(1)

(Ministère public c. Battini et autres.)

LE TRIBUNAL : Attendu que la demande du ministère public a pour but de faire déclarer nuls et non avenus les mariages contractés à la mairie de Montrouge, aux dates des 18 février et 5 août 1882, entre Battini et la demoiselle Laurent; Pélissier et la demoiselle Goertz; Engel et la demoiselle Frey, par le motif qu'ils auraient été célébrés devant un conseiller municipal de cette commune, délégué du maire, en vertu d'une délégation contraire à la loi ;

Attendu qu'en principe, d'après l'article 5 du décret du 4 juin 1806, le maire peut déléguer à ses adjoints une partie de ses fonctions; Qu'il peut également, suivant l'article 14 de la loi du 18 juillet 1837, faire cette délégation, en l'absence des adjoints, à ceux des conseillers municipaux qui sont appelés à en remplir les fonctions; Qu'en d'autres termes, si le maire a la faculté de se décharger d'une partie de ses attributions, il doit désigner pour le suppléer, en premier lieu, ses adjoints, et, à défaut des adjoints

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absents ni empêchés, et que ce conseiller ne fût lui-même que le vingt et unième au tableau du conseil.

Cette décision aussitôt rapportée par la presse a causé une émotion profonde. On annonçait que des délégations analogues

absents ou empêchés, celui des conseillers municipaux à qui reviendrait la
mission de les remplacer ; Qu'il ne lui est donc pas loisible de déléguer
ses fonctions à un conseiller municipal quand les adjoints ne sont ni
absents ni empêchés, non plus qu'à tels des conseillers municipaux qu'il lui
Que
conviendrait, en cas d'absence ou d'empêchement des adjoints ;
le remplacement des adjoints par les conseillers municipaux, sous l'empire
de la loi du 28 juillet 1837, était réglé par l'article 5 de la loi du 21 mars
1831, et qu'il l'est aujourd'hui par l'article 4 de la loi du 5 mai 1855,
qui désigne à cet effet, en l'absence d'une délégation spéciale du prefet, le
conseiller municipal le premier dans l'ordre du tableau, c'est-à-dire celui
qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages en suivant l'ordre des
scrutins ;

Attendu qu'il résulte des documents de la cause que le conseiller municipal qui a procédé aux mariages attaqués a été délégué par le maire de la commune de Montrouge, alors que les deux adjoints n'étaient ni absents ni empêchés, et alors que lui-même n'était pas le premier des conseillers municipaux dans l'ordre du tableau ; Que, dès lors, la délégation dont il était pourvu était doublement irrégulière et contraire à la loi, et qu'il n'avait pas plus de pouvoirs, comme officier de l'état civil, que n'en aurait eu un simple citoyen;

Attendu que les mariages contractés dans ces conditions ne sauraient avoir aucune existence légale et qu'ils sont frappés d'une nullité radicale dont ils ne peuvent être relevés à aucun titre ; - Qu'il n'y a lieu d'appli quer au cas particulier les dispositions de l'article. 191 Code civil, qui édicte une nullité relative contre le mariage célébré devant un officier de l'état civil incompétent, le juge appréciant alors si cette irrégularité, jointe aux circonstances de la cause, est de nature à affecter le mariage de clandestinité; Qu'il ne s'agit point, dans l'espèce, d'une incompétence de l'officier de l'état civil, au sens juridique du mot, comme serait l'incompétence territoriale, mais de l'absence complète et absolue de pouvoirs dans la personne de celui qui a procédé et qui n'avait aucune qualité pour le faire, en quelque lieu que ce fût ;

Attendu que leurs mariages devant être ainsi annulés, les défendeurs invoquent à juste titre l'article 201 Code civil, d'après lequel le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins les effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants, lorsqu'il a été contracté de honne foi; Que, d'une part, leur bonne foi ressort des faits mêmes du procès, et que. de l'autre, l'article 201 Code civil doit s'appliquer, soit par ses termes, soit par la pensée qui l'a inspiré, à tout mariage qui est déclaré nul, pour quelque cause que ce puisse être, qu'il s'agisse d'une nullité prévue expressément par la loi, ou d'une nullité qui découle des principes généraux du droit; Attendu enfin qu'il échet de donner acte à Engel et à la demoiselle Frey, ainsi qu'ils le requièrent, de leurs réserves à fin de dommagesintérêts contre l'officier de l'état civil et contre toutes autres personnes;

Par ces motifs, déclare nuls et de nul effet les mariages contractés à la mairie de la commune de Montrouge, les 18 février et 5 août 1882, entre

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s'étaient produites dans d'autres communes de France, sur divers points du territoire. Déjà l'on a vu dans un département de l'Ouest, des époux justement alarmés demander eux-mêmes à la justice de statuer sur la validité de leur union, afin de pouvoir aussitôt régulariser leur situation par un nouveau mariage. C'est dans ces conditions que le tribunal de la Rochesur-Yon, malgré les conclusions contraires du ministère public, vient de se prononcer dans un sens opposé à la jurisprudence du tribunal de la Seine. Par un jugement en date du 13 mars 1883 (1), il a rejeté la demande en nullité formée contre un mariage contracté à Poiré-sur-Vie, dans les mêmes conditions que les mariages de Montrouge.

De sages mesures ont été prescrites par une instruction de la Chancellerie du 19 février 1883 et une circulaire du préfet de la Seine du 12 mars 1883, reproduisant cette instruction. (D. P. 83. 3. 29). Leur autorité s'ajoute aux documents de cet important débat.

D'autre part, le jugement plus récent de la Roche-sur-Yon est en harmonie avec un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 28 janvier 1882 considérant comme régulière une délégation municipale, en matière de direction d'octroi, faite dans la ville de Jonzac, dans des conditions analogues à celles de Montrouge et de Poiré-sur-Vie, en matière d'état civil. Cet arrêt du 28 janvier 1882 a réformé un jugement du tribunal de Jonzac du 31 août 1881 annulant un procès-verbal de contravention d'octroi, rédigé à la requête d'un conseiller municipal

Battini et la demoiselle Laurent; Pélissier et la demoiselle Goertz; Engel et la demoiselle Frey; Ordonne que les actes de célébration de ces mariages seront bâtonnés, que le présent jugement sera transcrit en entier sur les registres de l'état civil de la commune de Montrouge pour l'année courante, et une mention en sera faite en marge des actes de célébration; Dit que les mariages dont la nullité est prononcée produiront, néanmoins, les effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants qui en sont nés ou qui sont actuellement conçus ; Donne acte à Engel et

à la demoiselle Frey de leurs réserves à fin de dommages-intérêts contre l'officier de l'état civil et contre toutes autres personnes. Du 23 févr. 1883. - Trib. civ. de la Seine.

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Viteau, Debladis et Tessier, av.

MM. Aubépin, pr.

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Potier,

(1) Voir le texte de ce jugement ci-dessous, pages 389 et 390.

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