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eux. Les prescriptions de l'article 14 de la loi de 1837, si souvent répétées depuis le commencement du siècle, deviendraient lettre morte, sans portée ni sanction. Les droits résultant du suffrage des citoyens ne seraient pas mieux sauvegardés que les dispositions de la loi.

A un autre point de vue encore, il faut constater qu'une approbation préfectorale à tort donnée à une délégation irrégulière, serait entachée d'excès de pouvoir. Elle ne peut avoir pour effet de lui conférer une force qui lui manque, ni d'empêcher les tribunaux de statuer sur l'invalidité des actes qui relèvent, comme les procès-verbaux d'octroi et les actes de l'état civil, de la compétence judiciaire.

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Raison d'être du droit exclusif des adjoints consacré par la loi de 1800 à 1884.

Tel est dans son ensemble le système judicieux, harmonique et précis, suivi par le législateur dans le règlement de l'institution des adjoints, de la suppléance, de la délégation des pouvoirs du maire. Telle est la loi, et, quelle que soit dans certains cas la gravité de ses conséquences, il nous semble que telle doit être la loi.

La règle contraire placerait les municipalités sur la pente qui mène aux administrations collectives. Ce serait un retour déguisé d'abord, mais trop réel ensuite, et très certain, à ce système justement condamné par toutes nos lois communales du XIXe siècle.

Ce serait une erreur de croire que l'article 14 de la loide 1837 ait moins de raison d'être avec un régime de suffrage universel et les institutions républicaines. L'extension du principe électif, dans son application aux maires de toutes les communes de France, par la loi du 28 mars 1882, nous paraît même rendre son maintien plus nécessaire que jamais.

Sans cette disposition protectrice, on pourrait voir, dans les grandes comme dans les petites communes, des maires élus en vue même du fractionnement de leur autorité, et sous la condition de ce fractionnement au profit des conseillers municipaux qui procèdent à leur élection. Ils pourraient être élus avec stipulation de déléguer à l'un l'état civil, à l'autre l'octroi, à un troisième la police municipale, à un quatrième la police rurale, à un cinquième les alignements, à un sixième les autres parties de la voirie, à un septième la surveillance des édifices communaux, etc., etc. Ce ne serait pas seulement la suppression des adjoints et de leur institution; ce serait la substitution, à la règle de l'unité, de l'émiettement de l'autorité municipale au profit des conseillers municipaux électeurs du maire. En fait, au lieu d'un maire, il y en aurait dix ou davantage, et partant il n'y aurait plus de maire.

Ce serait en même temps l'anéantissement de la responsabilité municipale, au détriment des intérêts individuels et des intérêts généraux de la commune. Ces administrations quasicollectives ne tarderaient pas à jeter l'anarchie dans les fonctions municipales et dans la gestion des intérêts communaux. Elles oublieraient que l'ordre dans la commune est la condition de l'ordre dans l'Etat, comme il est aussi la condition de la liberté.

A l'heure où nous écrivons, les pouvoirs publics élaborent une nouvelle loi municipale. Elle vient d'être votée en première lecture par la Chambre des députés. Nous applaudissons entièrement au vote par lequel, dans la séance du 17 février dernier (Journal officiel du 18 février 1883; Débats parlementaires, Chambre, p. 351), cette assemblée, sur la proposition d'un de ses membres et d'accord avec la commission, a établi dans l'article 63 du projet le texte même de l'article 14 de la loi du 18 juillet 1837, en y rappelant le droit de surveillance et la responsabilité du maire déléguant.

Loin d'être affaiblis par ce texte de la nouvelle loi municipale, les principes de la législation actuelle, que nous avons cherché à mettre en lumière, seraient maintenus et fortifiés.

Cet article 63, voté par la Chambre des députés en première lecture, est conçu de la manière suivante (1) :

« Le maire est seul chargé de l'administration; mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer une partie de ses fonctions à un ou à plusieurs de ses adjoints, et, en l'absence des adjoints, à ceux des conseillers municipaux qui sont appelés à en remplir les fonctions ».

Nous formons des vœux pour le vote définitif de cette sage disposition, sauf au législateur, imitant la loi du 19 juillet 1871, (2) à régulariser les violations du passé relativement aux mariages irrégulièrement célébrés.

(1) Voir dans l'étude suivante, pages 401 et 404, les rédactions, successives, ultérieurement votées, de cette disposition devenue l'article 82 de la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation municipale.

(2) Loi relative à la nullité des actes de l'état civil à Paris et dans le département de la Seine, depuis le 18 mars 1871.

XIV

NOTE

SUR L'ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION

DU 7 AOUT 1883

Cet arrêt résout la grave question récemment soulevée devant le tribunal de la Seine, et discutée dans la presse sous le nom « d'affaire des mariages de Montrouge ». Au moment même où elle s'est produite, nous avons exposé d'une manière complète notre sentiment dans l'étude qui précède, mentionnée avec une extrême bienveillance dans les savantes conclusions qui ont soutenu devant la cour suprême l'opinion contraire. Cet arrêt de la Chambre civile, en prononçant, dans l'intérêt de la loi, la cassation du jugement qui lui était déféré, a consacré dans ses motifs un troisième système, intermédiaire entre celui du tribunal de la Seine que nous avons adopté et développé, et celui du pourvoi soutenu par M. le procureur général Barbier (1).

Nous avions dit, avec le jugement du tribunal de la Seine, que le maire n'a le droit de déléguer les fonctions de l'état civil, comme toute autre partie de ses fonctions, à un conseiller municipal qu'au cas d'absence ou d'empêchement des adjoints, et seulement, même dans ce cas, à ceux des conseil

(1) Le remarquable réquisitoire de l'éminent magistrat est reproduit, avec la présente note, dans le Dalloz périodique (1884, 1, pages 5 à 11).

lers municipaux désignés par arrêté préfectoral ou, à défaut, par leur rang sur la liste, pour faire fonction d'adjoint. En conséquence, nous avions pensé, comme le tribunal de la Seine, que toute autre délégation faite par le maire étant illégale, l'acte accompli par le conseiller municipal irrégulièrement délégué était entaché de nullité.

Le système du pourvoi revendiquait au contraire, pour le maire, le droit de déléguer librement à tout conseiller municipal de son choix les fonctions d'officier de l'état civil, malgré la présence d'adjoints non empêchés. Il se fondait sur la loi du 20 septembre 1792, et soutenait que les lois d'organisation municipale de l'an VIII, de 1806, de 1831, de 1837 et de 1855 étaient étrangères à l'état civil et ne s'appliquaient qu'aux fonctions administratives des maires. Tous ces textes sont reproduits, analysés et discutés, et dans les conclusions citées et dans notre précédente étude. Le pourvoi estimait, en outre, qu'alors même que la délégation du célébrant serait irrégulière, le mariage ne serait pas entaché de nullité, soit en raison des articles 165, 190, 191 et 193 du Code civil, soit par application de la maxime: Error communis facit jus.

En présence de ces deux systèmes entièrement opposés, la Cour décide (1) que les délégations de Montrouge sont irrégu

(1) Voici le texte de cet important arrêt :

ARRÊT (après délibération en la Chambre du Conseil).

LA COUR,

Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général en la cour, en vertu de la loi du 27 vent. an VIII, contre le jugement du tribunal civil de la Seine du 23 févr. 1883 : Sur le premier et le second moyen réunis : Vu les articles 1er du décret des 20-25 sept. 1792, de la loi du 18 juillet 1837, et 165 Code civil; Attendu que c'est aux municipalités que, depuis le décret des 20 et 25 sept. 1792, a été confié le soin de recevoir et de conserver les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès, et que les membres des municipalités dans chaque commune ont reçu de cette loi le principe d'une aptitude particulière pour remplir les fonctions d'officier de l'état civil, qu'aucune loi postérieure ne leur a enlevée; - Attendu que la loi du 28 pluv.an VIII a chargé spécialement le maire du service de l'état civil, mais qu'il a la faculté de déléguer à ses adjoints et aux membres du conseil municipal les pouvoirs dont il est investi; Que cette faculté de délégation dont il lui appartient d'user de sa propre initiative est distincte des cas où le législateur, en prévision de l'absence légitime ou de l'empêchement de cet officier public et pour éviter

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