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la mère-patrie et de ses rejetons, sont une intéressante matière et on ne saurait qu'approuver les hommes d'État qui ne se contentent pas tout simplement de laisser aller à la dérive une situation fort complexe, dont l'évolution est importante pour l'Angleterre à presque tous les égards imaginables. Cela dit, il paraît assez dubitatif qu'on arrive à modifier grand'chose au régime qui existe actuellement. Les séances de la conférence n'ont pas eu de publicité, et ce n'est qu'officieusement. qu'il en était arrivé quelque chose aux oreilles des journalistes. Le mémorandum du « Colonial office » a été rédigé pour suppléer en quelque sorte à ce défaut de publicité dont on s'était plaint fort généralement, au moment de la conférence. Laissons de côté les parties, ou plutôt la partie, purement politique de ce document, celle qui a trait à la défense commune, point sur lequel le gouvernement anglais a voulu tâter les gouvernements coloniaux, pour s'assurer du fond qu'il y avait à faire sur eux en cas d'urgence. Laissons aussi de côté la partie, d'ordre économique toutefois, qui a trait aux services postaux entre l'Angleterre et les colonies; il faudrait consacrer à l'exposé de la question un espace qui n'est pas disponible. Ne nous arrêtons un instant qu'à la question du régime commercial. C'en est assez pour faire voir combien est épineux ce problème d'une entente quelconque, en vue d'un principe commun applicable à tout l'empire britannique. J'ai déjà dit plus haut que le protectionnisme n'a plus aucune chance sérieuse de retour en Angleterre. Les colonies au contraire, les colonies autonomes du moins, sont presque toutes protectionnistes. On a proposé que le commerce de tout l'empire lui-même soit encouragé par l'imposition d'une taxe uniforme sur les importations de marchandises étrangères. Puis on a proposé aussi, ou plutôt chacune des colonies réclame pour ellemême le droit d'entrer en relations directes avec les gouvernements étrangers pour la négociation de traités de commerce droit dont jouit déjà le Canada. Il y a contradiction absolue entre les deux propositions: elles n'ont rien de commun que leur caractère nettement protectionniste, ce qui suffit pour les faire échouer auprès des Anglais du RoyaumeUni, dont toute l'organisation repose aujourd'hui sur le développement de plus en plus étendu des échanges avec le reste de l'univers.

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H. C.

LA CAMPAGNE

CONTRE LE

CRÉDIT DE LA RUSSIE

LES CHAMBRES DE COMMERCE ALLEMANDES ET LEUR APPRÉCIATION

DE LA POLITIQUE PROTECTIONNISTE.

Les vacances parlementaires et la morte saison des Bourses ont été troublées cette année en Allemagne par un incident qui mérite la peine d'être retenu. Un groupe de journaux, qui servent d'ordinaire de portevoix officieux au chancelier, qui sont dévoués en outre aux grands industriels, qui sont les champions de la politique sociale et douanière du moment, se sont coalisés avec les représentants de la droite conservatrice, avec les avocats de la protection agricole et des grands propriétaires fonciers, pour entamer une campagne contre le crédit financier de la Russie. Cette campagne a duré quelques semaines avec une vivacité extraordinaire. Vous savez que les capitalistes allemands ont absorbé des quantités très considérables de fonds d'Etat russes et d'obligations de chemins de fer. On évalue à deux milliards de marks le montant détenu par eux; c'est une évaluation approximative, dont il est impossible de vérifier l'exactitude. De tout temps, la Russie a cultivé le marché de Berlin; parmi des emprunts fort anciens, on en trouve en thalers, mais c'est surtout depuis dix ans que les relations sont devenues aussi intimes. Auparavant on avait eu recours aux banques de Berlin pour placer des obligations de chemins de fer, et cela à des taux singulièrement avantageux pour les intermédiaires comme pour le public. La Bourse de Berlin doit en partie son importance dans le monde à ce qu'elle est devenue le grand marché pour les fonds russes. Ceux-ci ont perdu en partie la clientèle anglaise pour des motifs purement politiques, à la suite de la guerre entreprise par la Russie contre la Turquie en 1877, et les difficultés afghanes n'ont pas amélioré la situation. Il reste certainement dans les portefeuilles anglais des sommes importantes, notamment des emprunts d'Etat anciens et des premières émissions d'obligations consolidées des chemins de fer. Mais le public ne prend plus le même intérêt que jadis aux nouvelles affaires russes; on ne cherche même plus son concours comme autrefois. La spéculation, parmi ceux qui fréquentent le Stock Exchange, se tourne plus volontiers à la baisse des fonds russes; ce qui ne lui réussit pas, parce que depuis

dix ans elle a payé des amendes énormes aux détenteurs des titres, sous forme de dépôts. Les capitalistes anglais ont remplacé en partie leurs fonds russes par des fonds coloniaux ou des valeurs américaines. La Hollande conserve en partie ses placements russes, mais ce petit pays, si riche et si économe, a passé par des années de moindre prospérité. La France a été négligée dans la même mesure qu'on a favorisé l'Allemagne; on s'est laissé accaparer par les financiers de Berlin.

Divers facteurs sont responsables des grands placements du public allemand la proximité des deux Empires, les relations commerciales, qui depuis la politique de protection intense ont cependant diminué dans de fortes proportions, les relations de politique étrangère, qui passent par des fluctuations diverses, mais qui témoignent d'un désir réciproque de se ménager, enfin les conversions qui ont réduit le taux d'intérêt sur les fonds allemands, sur les obligations municipales, sur les lettres de gage hypothécaires. Le gouvernement lui-même, obéissant à des considérations politiques, a consolidé le crédit de la Russie en Allemagne, en permettant à une institution gouvernementale, la Seehandlung, d'ouvrir ses guichets aux souscripteurs de l'emprunt russe 1884. Cette intervention gouvernementale a été le signal d'un essor nouveau pour le cours des fonds russes. De 1881 à 1884, ceux-ci avaient eu une existence assez triste à la suite de l'assassinat de l'Empereur Alexandre II; les mesures prises contre les israélites par le comte Ignatieff avaient créé une impopularité qui fut longue à s'effacer. L'intervention de la Seehandlung, des articles favorables dans la presse officieuse, ramenèrent les rentiers et les spéculateurs allemands à d'autres idées. Ils furent convaincus que les relations entre les deux Empires étaient excellentes ; si la situation financière de l'Empire russe eût été mauvaise, furent-ils en droit de penser, la Prusse n'aurait pas prêté son appui pour une émission. C'était revêtir celle-ci d'une marque de bienveillance toute spéciale. Les fonds russes rapportaient en outre de gros intérêts, et comme le petit rentier, celui qui a amassé péniblement une fortune modeste, ne peut vivre du revenu de fonds lui donnant 3 1/2 0/0 ou moins encore, les concessions opérées sur une si vaste échelle dans les dernières années servirent au placement des fonds russes. Les conversions sont cause de l'introduction en Allemagne des fonds égyptiens, espagnols, argentins, serbes. A quelques-uns la presse gouvernementale a facilité l'entrée dans les portefeuilles; elle obéissait à des considérations de politique commerciale et industrielle. Il s'agissait d'ouvrir aux négociants et aux fabricants allemands les marchés des pays emprunteurs,

Pendant que cette absorption des titres de la dette russe avait lieu en Allemagne et que la suprématie de la Bourse de Berlin s'accentuait de plus en plus, la politique économique poursuivie par le prince

de Bismarck et imitée par les hommes d'Etat russes devenait de plus en plus hostile. L'Allemagne frappait en 1879 les céréales de droits d'entrée, qu'elle allait tripler quelques années plus tard; la Russie élevait des barrières sans cesse surélevées contre la houille et les fers allemands. La Prusse expulsait de ses provinces orientales les milliers de sujets étrangers qui contrariaient la germanisation de ses provinces polonaises et qui offraient de la main-d'œuvre à meilleur marché, concurremment avec les indigènes. Le gouvernement russe, obéissant aux inspirations inintelligentes et égoïstes de l'industric moscovite, entravait l'activité industrielle des Allemands sur la frontière par toutes sortes de mesures vexatoires; inquiet de l'immigration constante de paysans allemands, qui acquéraient à bon marché des terres en Russie, grâce à la dépréciation du rouble, il prenait enfin, cette année, une décision, qui atteignait tousles propriétaires non russes dans un certain nombre de provinces voisines de la frontière, les grands propriétaires établis depuis de longues années, qui avaient hérité de leurs terres ou qui les avaient achetées à beaux deniers, tout aussi bien que les paysans nouvellement installés. Peu de temps après, il apportait une nouvelle modification au tarif douanier en ce qui concerne les fers et la houille. Nous n'avons pas à apprécier ici cette politique aveugle, contraire à toute les inspirations du bon sens, qui sacrifie les intérêts généraux de la nation aux réclamations bruyantes d'un groupe d'intéressés. Mais la Russie n'a pas fait autre chose que l'Allemagne, et la condamnation peut atteindre l'une et l'autre.

Quoi qu'il en soit, il y a quatre ou cinq semaines, les mêmes journaux qui avaient prôné l'amité de la Russie, qui avaient fait de la réclame pour l'emprunt de 1884 et qui avaient en 1885 félicité la Bourse de Berlin d'avoir su garder son sang-froid pendant la crise afghane, alors que le Stock-Exchange abandonnait les fonds russes à la panique, les mêmes journaux ont commencé à brûler ce qu'ils avaient adoré. Ils ont adjuré le public allemand de vendre les fonds russes, la Russie ne méritant aucun crédit. Ils ont brandi le mot terrible de banqueroute prochaine, inévitable. Au nom de l'intérêt bien entendu et du patriotisme, il fallait se défaire des titres émis par un débiteur aussi perfide. Remarquons que ni la Gazette de la Croix ni la Gazette de Cologne n'ont pris la peine de citer des chiffres et d'éplucher les budgets de la Russie. Elles se sont bornées à des généralités vagues, destinées à effrayer le bourgeois. Dans le cours de la campagne, elles ont confessé hautement qu'il s'agissait de représailles, d'une vengeance à tirer, d'une punition exemplaire à infliger à la Russie, qui menace les intérêts des propriétaires allemands établis chez elle, de même qu'elle prohibe l'introduction de la houille et du fer allemands. Il faut y ajouter aussi le désir de se venger des atta

ques de la presse russe contre la politique du prince de Bismarck. Celui-ci sait admirablement jouer de la publicité officieuse, mais afin d'éviter cette fois de se compromettre personnellement, il n'a pas fait parler son organe particulier, la Gazette de l'Allemagne du Nord.

Cette campagne si ardente, conduite par des journaux aux attaches gouvernementales, a surpris le public, qui s'est demandé s'il n'y avait pas quelque motif de politique internationale à cette exécution sommaire et brutale du crédit russe. Les fonds russes ont perdu trois à quatre pour cent, cinq au maximum, puis la baisse s'est arrêtée. Les journaux coalisés ont aussitôt crié à la trahison; les banquiers de Berlin et de Francfort contrecarrent tout, au lieu d'aider à ces efforts patriotiques, la cour et le ministre des finances de Russie ont envoyé des ordres d'achat illimités, que sais-je encore? En même temps ils ont lancé des nouvelles qu'ils savaient sciemment être fausses, celle par exemple des modifications dans le règlement de la Banque d'Allemagne, concernant les avances sur fonds étrangers: les titres russes allaient être rayés de la liste ou la marge augmentée sur les avances. Il n'y a pas un mot de vrai là-dedans.

Le petit public, qui achète la veille du krach et qui vend au plus fort de la panique, a vendu des fonds russes sur le conseil des gazettes coalisées. Le spéculateur à la baisse a engagé des opérations considérables, comme le prouve la rareté des titres à la dernière liquidation. Puis comme la Bourse se fait à tout, qu'elle se blase assez vite, elle ne s'est plus occupée des attaques journalières contre le crédit de la Russie, et cela d'autant plus vite que rien d'inquiétant ne surgissait à l'horizon politique.

Les banquiers, les gros détenteurs de fonds russes, les gens qui ont les moyens de se former un jugement indépendant et qui ont accès aux sources d'information sérieuses ont montré du sang-froid et du scepticisme. Ils se sont souvenus que c'était la même coalition de gazettes qui avaient terrorisé l'électeur allemand pendant la période électorale, à la suite de la dissolution du Parlement qui avait rejeté le septennat.Les attaques avaient été dirigées alors contre un pays voisin, sans que rien justifiat les imputations lancées, tout comme à présent elles avaient pour objectif le crédit d'un grand empire. Les ventes du petit public ont été absorbées par des achats effectués, en Allemagne même, par d'autres capitalistes, mais elles ont permis à l'étranger d'acheter et les capitalistes français, hollandais, anglais mêmes ont profité de la baisse. La Russie, où le taux d'escompte est à 4 0/0, où les banques bonifient des intérêts insignifiants, a acheté des sommes considérables; depuis quelques années déjà, il y a un courant ininterrompu qui ramène en Russie des titres de la dette nationale. C'est une importation qui ne

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