Page images
PDF
EPUB

figure pas sur les registres de la Douane et qui explique en partie la faiblesse du rouble. Il y a un avantage incontestable pour la Russie à ce qu'une grande portion de sa dette rentre et reste à l'intérieur.

En outre, les achats de la spéculation à la baisse ont contribué à arrêter le recul des cours.

Que dites-vous de cet épisode dans l'histoire des relations économiques? Les attaques de la Gazette de Cologne et de la Gazette de la Croix, deux organes à cheval sur la morale et profondément dégoûtés de tout ce qui touche à la Bourse, ont servi aux spéculateurs à la baisse, en même temps qu'elles coûtaient de l'argent aux petits détenteurs qui ont vendu leurs fonds russes. Savez-vous par quoi ils les ont remplacés? Par de la rente allemande ou des consolidés prussiens ? Pas du tout! Par des fonds égyptiens ou espagnols.

Les baissiers ont été le plus souvent considérés comme des ennemis de l'État ou de l'ordre public. Vendre quelque chose qu'on n'a pas, c'était là une opération condamnable, immorale, surtout lorsqu'il s'agissait de titres de rente. Des édits sévères ont été publiés au xvire et au xvne siècle en Hollande, en France, en Angleterre, contre les baissiers à découvert. Voilà aujourd'hui que ceux-ci remplissent un mandat patriotique.

Il y a diverses leçons à tirer de cet épisode; la Russie a eu tort de s'inféoder à la place de Berlin. La presse officieuse ou pseudo-officieuse a perdu de son prestige, elle a émoussé le tranchant de son arme. Le public voit les inconvénients d'un patronage gouvernemental accordé à certaines catégories de fonds étrangers, parce que cette faveur peut se changer en aversion, et qu'à un moment donné, les hommes d'État qui sont à la tête des affaires peuvent vouloir nuire au crédit d'un voisin, au lieu de lui aider. Le consommateur est sacrifié une fois de plus à des raisons d'Etat. Personne ne s'inquiète des pertes qu'il peut subir et personne, dans les hautes régions, ne songe qu'il a une part de responsabilité. Ce qui est arrivé à la Russie peut arriver un autre jour à l'Autriche-Hongrie, à l'Italie, à tout État enfin contre lequel le prince de Bismarck aura des griefs et dont les fonds sont dans les mains de nombreux rentiers allemands.

A mon avis, la situation fiscale de la Russie est meilleure qu'en 1884, alors que la presse officieuse constatait le concours prêté par la Seehandlung. Les rentrées du Trésor se font très bien cette année, l'exportation dépasse de 40 à 50 millions de roubles l'importation pour les cinq premiers mois de l'année. Il se pourra que l'année 1887 se termine sans déficit pour le budget.

La dépréciation du rouble est le point le plus vulnérable, mais si elle est nuisible à la Russie, elle est bien plus contrariante pour les grands pro

priétaires fonciers de l'Allemagne et pour les industriels, les propriétaires de charbonnages. La baisse du rouble permet la sortie de grandes quantités de céréales et élève automatiquement les droits d'entrée sur les produits manufacturés.

Au prix de lourds sacrifices, et par suite d'une politique douanière que nous ne saurions approuver, la Russie voit approcher le moment où elle ne demandera plus à l'étranger que du thé et du coton; encore pour le coton, grâce à l'ouverture du chemin de fer de l'Asie centrale et aux plantations du Caucase, produira-t-elle de grandes quantités de cette matière première.

Le Journal de Saint-Pétersbourg a répondu avec modération, et en s'appuyant sur des faits, aux attaques de la presse officieuse et protectionniste. Il a réfuté, preuves en mains, les allégations de mauvaise foi dirigées contre la Russie et accusant celle-ci de ne pas remplir ses engagements à l'égard de ses créanciers. Il a rappelé notamment que la Russie paye en or les intérêts de certains emprunts contractés en argent.

Avant d'abandonner cette question, je signalerai à nos lecteurs que la réserve métallique du département des billets de crédit a été augmentée de 160 millions de francs en or à Saint-Pétersbourg (40 millions de roubles effectifs), ce qui porte celle-ci à 211 millions de roubles ou 844 millions de francs. La circulation des billets de crédit, en déduisant les 100 millions de roubles dans les caisses de la Banque, est de 900 millions environ, valant au cours de 220 francs 1.980 millions de francs. La Banque de Russie détient encore 22 millions de roubles à l'étranger, chez ses banquiers, 25 millions en or dans ses caisses, 72 millions de titres de rente métallique, qu'elle devrait réaliser au premier moment favorable, afin d'augmenter ses ressources métalliques et afin de retirer du papier monnaie de la circulation. Le remède est douloureux, parce qu'il est accompagné d'un renchérissement de l'escompte, l'argent devient plus rare, mais l'effet en est salutaire.

Cette lutte dont la Bourse de Berlin vient d'être le théâtre a été amenée par la politique économique de l'Allemagne et de la Russie; elle a été la conséquence d'un antagonisme qui s'accentue forcément, chaque fois que l'un ou l'autre État fait un pas de plus dans la voie de l'isolement, de l'emprisonnement de ses forces naturelles.

Les Rapports des Chambres de commerce sur les effets de la protection sont singulièrement instructifs cette année. La lecture devrait remplir de mélancolie ceux qui ont contribué à doter l'Allemagne d'un régime douanier, qui devait assurer l'intégrité du marché indigène, en même temps qu'on irait à la conquête des marchés étrangers. Malheureusement pour les Allemands, les leçons prêchées par les pro

tectionnistes dans la presse et dans le Parlement ont été entendues au dehors; l'exemple a été imité partout, excepté en Angleterre et en Suède, et les relations commerciales deviennent de plus en plus difficiles, de plus en plus précaires. Ce n'est pas seulement de l'élévation des tarifs douaniers de l'étranger qu'on se plaint, c'est surtout de leur instabilité, des modifications incessantes dont ils sont l'objet.

L'un des Rapports les plus complets est celui de la Chambre de commerce de Berlin (Collège des anciens des marchands). Il débute par un tableau de la situation générale des diverses branches de l'industrie et du commerce, qui est impartial et plein de renseignements. Il traite aussi des relations économiques de l'Allemagne et des pays étrangers. Parlant de 1886, il montre le protectionnisme gagnant du terrain dans tous les états limitrophes, fermant de plus en plus l'accès aux produits étrangers et restreignant l'exportation.

L'Autriche Hongrie et la Russie en savent quelque chose. L'Italie, la Suisse, la Grèce, suivent l'impulsion donnée. La Chambre de commerce de Berlin est convaincue que cette politique déplorable, qui résulte de l'établissement des tarifs autonomes, ne saurait être suivie plus longtemps; elle demande qu'on revienne à des traités de commerce, fondés sur des concessions réciproques. « L'année courante et, à plus forte « raison les années qui vont suivre, renferment pour l'Allemagne la << nécessité pressante de prendre de nouveau position sur le terrain << douanier. On négocie avec la Suisse, qui projette toute une série a d'élévations dans son tarif. Le traité de commerce avec l'Autriche ex« pire à la fin de l'année et nous connaissons les rigueurs du tarif qui << va entrer en vigueur; s'il n'est pas modifié par une convention doua« nière, il rendra à peu près impossible l'exportation allemande de ce << côté; comme contre-coup, il réduira à un minimum l'absorption par « l'Allemagne de produits autrichiens. Nous savons aussi ce que prépare ◄ l'Italie. La Roumanie a modifié son tarif dans la même direction, mais << pour le moment, grâce à un traité de commerce, signé en mars 1887 et fondé sur des concessions réciproques, l'Allemagne a une position <«< relativement sûre. La Grèce a augmenté ses droits d'entrée et négo« cie avec l'Autriche et la France. Elle n'a pas touché aux droits sur les « fers, qui sont déterminés par le traité de commerce allemand-grec de «< 1884, mais elle a doublé les droits sur les articles qui ne sont pas << nommés dans ce traité. En outre, la mesure générale qui exige le payement des droits de douane grecs en or rend l'importation plus « difficile dans ce royaume. Quant à la France, après la dénonciation « du traité italo-français, nous ne savons pas s'il n'y aura pas une éléva>tion de droits pour certains articles qui étaient liés par ce traité.

« Quant à la jalousie avec laquelle on regarde en France l'entrée de << marchandises allemandes, nous en avons eu des preuves récentes << (mesures contre les jouets allemands, mesures prises par M. Lockroy «< contre l'emploi des marques françaises). Le besoin pressant de traités << avec des tarifs conventionnels, conclus avec les principaux États in<dustriels, qui se fait jour dans les cercles du commerce et de l'indus«< trie, a été exposé dans le Parlement et a été approuvé même par les << protectionnistes modérés ». Je crois inutile de continuer la traduction de ce plaidoyer en faveur du principe do ut des.

La chambre de commerce de Barmen cite un fait qui montre combien une guerre douanière entre deux Etats peut atteindre l'industrie d'un troisième. Parmi les articles fabriqués à Barmen pour la passementerie, il en est un (galon de coton) qui était très populaire en Roumanie. Lorsque l'Autriche usa de tarifs de combat contre la Roumanie, après l'expiration du traité de commerce, la Roumanie riposta et le galon fabriqué à Barmen fut parmi les victimes. Au lieu de 88 francs le quintal métrique, il a dû payer 2.100 francs, 160 0/0 de la valeur au lieu de 7 0/0. Toutes les réclamations n'ont servi à rien.

Je vous ai signalé les funestes effets que les droits d'entrée sur les céréales et l'expulsion des commis, des ouvriers d'origine polonaiserusse, ont eu, sur Königsberg, sur Memel, sur Tilsitt, sur Stettin. Les céréales russes ne prennent plus le chemin de l'Allemagne. En 1886, Königsberg, qui était le port de sortie pour des grains russes, a reçu : 22.631 tonnes de froment contre 195.371 tonnes en 1885

[ocr errors]

seigle > 113.000 D

[ocr errors]

19.120 L'exportation de Dantzig est tombée de 178.000 tonnes en 1885 à 150.000 en 1886.

L'élévation des droits d'entrée sur les céréales n'a pas apporté aux agriculteurs les bienfaits qu'ils en attendaient; ils ne cessent de gémir et de réclamer de nouvelles faveurs. En tout cas, la protection a eu des effets désavantageux. Voici ce que dit la Chambre de commerce de Manhein : « Le froment bavarois, wurtembergeois, badois, qui ordinaire«ment était exporté en Suisse, reste dans le pays, pour y trouver << emploi tant bien que mal. C'est encore bien davantage le cas avec le froment du Nord ou de l'Est de l'Allemagne, dont on exportait de << grandes quantités vers la Hollande, la Belgique, l'Angleterre; il a «< perdu ces marchés et il se presse vers l'Allemagne du Sud, où cette « qualité n'est pas aimée. Par là il y a une pesée sur les prix, l'expora tation de froment allemand va probablement tout à fait cesser ».

La Chambre de Commerce de Königsberg a publié un tableau des prix moyens annuels du blé et du seigle par 1.000 kilogrammes depuis 1815. Il nous paraît utile de reproduire ce document.

[blocks in formation]

La Chambre de commerce ajoute: Ce tableau montre que dans les
années comprises entre 1820 et 1830, entre 1830 et 1840 et à d'autres
reprises encore, on a pratiqué des prix plus bas que ceux qui sont
cotés en avril 1887, 160 marks pour le blé, 106 marks pour le seigle.
L'agriculture indigène a donc pu subsister dans le passé, alors que
l'exploitation était moins bien entendue, la culture moins intensive, les

« PreviousContinue »