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totale. Si l'on songe qu'il y a dans ce pays 240 millions d'habitants qui ne demandent qu'à améliorer leur nourriture et que cette population représenterait en France une consommation de 624 millions d'hectolitres de blé, ce qui exigerait plus de 60 millions d'hectares de culture, on voit que l'envahissement des marchés européens par les blés indiens est loin d'être une cause réelle de trouble économique. L'Australie devient à son tour une contrée à blé. Les exportations, à peu près nulles il y a dix ans, se sont élevées à plus de 3 millions de quintaux métriques en 1884 (en y comprenant la NouvelleZélande). Londres et Marseille étaient, en Europe, les débouchés de cette production. Mais, en 1885 et en 1886, l'exportation a dù se ralentir beaucoup par suite de mauvaises récoltes, et l'Angleterre n'a reçu de toute l'Australasie dans cette dernière année que 500.000 hectolitres environ. Le blé en Australie a un avenir magnifique, car là comme aux Etats-Unis, et plus encore que dans ce pays, les terres disponibles abondent.

Il y aurait lieu d'insister aussi sur la production du blé dans le bassin de la Plata, où elle promet de devenir très importante à très brève échéance, maintenant qu'un sérieux courant d'émigration vers cette région s'est créé et que la tranquillité politique s'est affermie.Le développement extrêmement rapide des chemins de fer en sera le meilleur stimulant. Malheureusement, vu le peu d'importance de la récolte annuelle (10 millions d'hectolitres au plus) cette contrée n'a encore fait l'objet d'aucune étude d'ensemble et les documents statistiques publiés par le gouvernement argentin ne fournissent que de vagues indications. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que dans une vingtaine d'années la culture du blé à la Plata occupera dans le monde la situation occupée aujourd'hui par les Etats-Unis du Nord. Déjà les chiffres d'exportation qui nous sont connus révèlent la marche suivante :

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En Europe, il n'y a de pays producteurs intéressants à signaler, que ceux des basses vallées du Danube, Hongrie, Roumanie et la Russie. La Hongrie et la Roumanie se servent surtout du grand fleuve pour écouler leurs blés par Galatz et Braïla qui leur donnent leurs noms, notamment à Marseille.

Quant à la Russie, elle a, avant qu'il fût question des blés d'Amérique, provoqué de vives préoccupations dans l'Europe occidentale

et surtout en France. Aujourd'hui elle est loin d'avoir conservé la prépondérance dont elle jouissait autrefois; sa récolte annuelle ne dépasse pas d'ailleurs 75 millions d'hectolitres. Il est vrai qu'elle est susceptible de prendre encore de grands développements; mais l'excédent à créer ne pourra rester disponible pour l'exportation, car la population augmente rapidement et la nourriture ordinaire a grandement besoin d'être améliorée.

D'après une étude parue au Journal du Ministère des Finances de l'empire, dans le bassin du Volga, le blé cultivé est classé en trois catégories: le froment acclimaté ou pererod, le froment de Saxe ou saxonka et le roussak. Le pererod est de qualité très supérieure aux deux autres; il est consommé exclusivement en Russie dans les gouvernements de Moscou, Kazan, Nijni-Novgorod, Kostroma, Jaroslaw, Tver, Novgorod et Riazan. Le saxonka et le roussak sont exportés; le premier est régulièrement coté sur le marché de Londres, le second sur les marchés allemands. Le saxonka est presque exclusivement cultivé par des colons allemands.

Le transport des blés se fait, en général, par chariots jusqu'aux ports d'embarquement et par voies fluviales dès que le dégel le permet. Les chemins de fer en transportent aussi de grandes quantités vers Saint-Pétersbourg et le lac Ladoga; mais ils sont loin de jouer un rôle prépondérant. Les ventes commencent d'habitude aussitôt après la moisson, vers le 15-27 août; mais les achats principaux se font en hiver et au printemps.

Dans le nord les ports d'exportation sont Saint-Pétersbourg et surtout Riga; dans le sud, ce sont Odessa, Rostoff, Taganrog et divers autres de moindre importance. La totalité à peu près des blés russes importés en France nous vient de la mer Noire et arrive à Marseille. Ceux-ci sont produits dans les bassins du Don, du Dnieper et du Dniester, dans la Podolie et la Bessarabie et surtout dans la région de la Terre-Noire (Tchernoziom). La France a reçu de Russie depuis quatre ans :

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Pour compléter l'énumération des pays exportateurs de blé, il y a à citer l'Algérie, la Turquie, la Syrie, l'Asie-Mineure et la Perse. Ces pays ne sauraient être considérés comme des quantités négligeables; on peut juger de l'importance de leur production par le tableau que nous donnons plus haut. Le blé de Perse, qui a fait son apparition

en Europe presque en même temps que le blé de l'Inde, fait l'objet d'un commerce actif, avec l'Angleterre surtout, et il est régulièrement coté sur les marchés de Londres.

Nous n'avons aucune donnée exacte sur les quantités de blé qui sont déplacées annuellement pour répondre aux besoins des consommateurs dans les deux hémisphères. On peut cependant estimer approximativement à 90 millions d'hectolitres au minimum, peutêtre à 100 millions, soit près d'un septième à un huitième de la récolte, ce qu'il est nécessaire de véhiculer pour satisfaire à une bonne répartition en vue de la consommation.

Les pays importateurs sont bien moins intéressants à étudier que les pays producteurs. Les mêmes caractères se retrouvent dans tous ou à peu près. Ce sont surtout les pays de l'Europe occidentale : Royaume-Uni, France, Belgique, Suisse, Italie et Allemagne. La population y est dense, l'industrie manufacturière y est développée ; ils doivent par une activité plus grande se créer les ressources nécessaires au payement de la matière alimentaire. Enfin, tandis que les pays exportateurs ont tous, sans exception, une agriculture extensive, les pays importateurs, au contraire, ont une agriculture relativement intensive qu'ils s'efforcent de perfectionner. Tandis que la production du blé dans les pays d'exportation se fait surtout par l'espace et avec les moindres avances en capitaux, les pays d'importation en sont arrivés, au contraire, à l'agriculture par les capitaux accumulés sur des surfaces réduites. Ce caractère très important va nous servir tout à l'heure de guide dans nos conclusions.

La Grande-Bretagne se place au premier rang des pays importateurs de blé. Sa production ne dépasse guère 28 millions d'hectolitres (elle a été de 23 millions seulement en 1886) et la surface qu'elle y consacre est d'environ un million d'hectares. Les rendements y sont les plus élevés du globe, ils vont jusqu'à 27 hectolitres à l'hectare. Pour suffire à sa consommation, elle a dù importer depuis 1881 les quantités suivantes de blé ou de farine estimée en blé. Le quarter équivaut à 2 hect. 91.

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une production s'élevant à peine aux trois cinquièmes de ce chiffre. Malgré la situation toute spéciale de l'Angleterre tant au point de vue politique qu'au point de vue agricole, malgré le régime de libre-échange absolu qu'elle a adopté depuis 1847, les politiciens anglais se préoccupent aujourd'hui vivement de cet état de dépendance. Tantôt sous le nom de fair trade, tantôt sous celui moins déguisé de protection, les intéressés les producteurs surtout réclament l'établissement de droits élevés à l'entrée des blés étrangers. Et cette campagne est très activement menée. Les arguments invoqués se réduisent à deux on fait valoir la nécessité de pouvoir se suffire en cas de guerre, et l'utilité de donner à l'agriculture anglaise, qui depuis quelque dix ou douze ans semble être restée stationnaire, un puissant stimulant pour tenter de nouvelles améliorations.

On voit que le but visé en réalité n'est autre que l'élévation artificielle du prix de vente des produits indigènes.

Nous négligeons les autres pays importateurs de blé et nous arrivons à la France, que nous avons plus spécialement en vue dans cette étude rapide.

L'histoire des céréales dans notre pays a été si souvent discutée, elle a si souvent occupé les esprits, fait l'objet de si nombreuses et si vives polémiques qu'il est complètement inutile aujourd'hui de revenir sur le passé. Qui n'a présents à l'esprit : les lois draconiennes de la Convention sur le maximum et sur les accapareurs, le régime machiavélique de l'échelle mobile, inventé par la Restauration en 1819, régime qui, en réalité, n'avait d'autre but que d'empêcher que le blé ne devint trop bon marché et qui, sous le règne de Louis-Philippe, fut défendu à la tribune par ces mots : « Oui, j'en<< tends enrichir un certain genre de propriétaires, parce qu'ils cons« tituent notre base électorale. J'ai devant moi de grands proprié<< taires du sol; eh! bien, je veux que ces grands propriétaires soient << liés davantage à la dynastie actuelle, par les intérêts que nous << favoriserons sous forme de droit sur les blés ».

Après une suspension obligatoire de l'échelle mobile pour cause de mauvaise récolte en 1847 et une nouvelle suspension définitive en 1853, le régime commercial qui visait au libre-échange, inauguré par les traités de 1860, donna une assez grande liberté d'allures au commerce des céréales en ne laissant subsister qu'un droit de 0 fr. 60 par quintal métrique. Le port de Marseille, en particulier, était rapidement devenu, sous son influence, l'un des principaux entrepôts de blé du monde entier. Il est vrai que les pays producteurs et exportateurs de cette époque étaient limités au bassin de la Méditerranée;

c'était l'Algérie qui commençait à défricher ses nouvelles terres, puis le bas Danube, la Turquie et la Russie.

De 1860 à 1885, le régime douanier concernant le blé fut très stable, le droit de 60 centimes par quintal fut maintenu sans changement, et ce n'est que par la loi du 28 mars 1885 que le droit de 3 francs, représentant plus de 15 0/0 de la valeur du produit, fut voté. Ce n'était pas encore suffisant, paraît-il, puisque tout récemment la loi du 30 mars 1887 vient d'élever les droits à 5 francs par quintal, soit à 20 0/0 de la valeur actuelle du produit ou 30 0/0 de sa valeur, avant que la hausse ne se fit sentir.

La culture du blé en France est de beaucoup la plus importante de toutes les cultures; elle couvre annuellement bien près de 7 millions d'hectares, soit environ le quart de toutes les terres labourables du pays, que l'on estime à 26 ou 27 millions d'hectares au total, non compris les prairies. Si l'on tient compte des nécessités des assolements et des jachères on reconnaît immédiatement que le blé reste encore aujourd'hui le pivot de l'agriculture française considérée dans son ensemble.

Voici d'ailleurs, pour les dix dernières années, les chiffres fournis par le ministère de l'agriculture:

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Il est à noter que cette période décennale comprend l'année 1879 qui a été la plus mauvaise du siècle par suite de l'inclémence des saisons. La récolte totale ne s'éleva qu'à 79.355.866 hectolitres ou 59.873.815 quintaux, avec un rendement moyen à l'hectare de 11 hectolitres 43 seulement.

Les besoins de la consommation peuvent s'estimer par divers procédés; mais le plus sur nous paraît être le plus simple, prendre le chiffre de la production, y ajouter celui des importations et en déduire les exportations, s'il y en a. Pour une année considérée isolément, ce procédé risquerait d'être défectueux; mais si l'on envisage une série de quelques années, il devient, au contraire, d'une exactitude absolue, du moins autant que le permettent les méthodes de statistique employées par les administrations qui fournissent les données dont on doit se servir. Il résulte de ces chiffres que la consommation française a considérablement augmenté, que le blé est devenu l'aliment ordinaire d'une grande partie de la population qui

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