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rive à dire que les économistes ses prédécesseurs ne se sont occupés que de la production des richesses et jamais de leur distribution, ce qui est une assertion contredite par tous les traités de la überwundenen Schule, laquelle (école vaincue) peut répondre ici: Vous niez le soleil, monsieur.

M. Emile Sax est aussi peu heureux dans sa manière d'expliquer la propriété, je le soupçonne quelquefois d'étre hypnotisé par les économistes socialpoliticiens des bords de l'Elbe et de ses affluents. Si la propriété est un résultat du Wesen des Menschen (de la nature essentielle de l'homme), comment peut-elle subir ces fluctuations qu'on lui attribue un peu légèrement et sans raison suffisante? L'auteur dit que la propriété « fondée sur la nature humaine » a été réglée par la collectivité. « Réglée par la collectivité ?» Quel est le sens profond de ces mots ? Est-ce que « la collectivité » n'est pas absolument la même chose que « les hommes » ? Quand chacun est dans sa demeure privée, il fait partie de : « les hommes »; quand ces mêmes hommes se réunissent à l'hôtel de ville ou au palais du parlement, ils forment « la collectivité ». Comment M. Emile Sax, qui est un penseur si profond, a-t-il pu faire des distinctions si singulières? Encore une fois la « politique sociale » doit l'avoir hypnotisé. Heureusement qu'à côté de ces faiblesses, il y a nombre de fortes parties que je regrette de ne pouvoir citer; mais ce qui est surtout remarquable, c'est l'ensemble et surtout la tentative de créer une théorie pure et tout à fait abstraite des impôts. On fait trop fi des théories abstraites de nos jours: primo, par cette raison que « le raisin est trop vert »>, secondo parce que la théorie abstraite rapporte peu, car elle a peu de lecteurs, l'abstraction n'étant pas à la portée de tout le monde. Mais la théorie abstraite compense tout cela en ouvrant de nouveaux et vastes horizons, en permettant de voir plus loin et surtout plus profondément. L'observation trouve les faits, l'analyse théorique les explique; l'observation n'est féconde que si cette analyse a bien fonctionné.

Neue Untersuchungen über Ursprung, Wesen und Fortbestand der Grundrente. (Nouvelles Recherches sur l'origine, la nature et la durée de la rente foncière), par M. Otto Wachenhusen,'ancien député (Leipzig, O. Wigand, 1887). J'ai d'abord hésité si je devais lire cette publication qui, outre la préface, compte 199 pages, car j'ai un préjugé contre les livres sans table des matières. Cependant je m'y suis mis et j'ai lu jusqu'à la page 49 et n'ayant pas trouvé jusqu'alors de a nouvelles recherches », j'ai fermé le livre. S'il y avait eu une table

j'aurais pu me reporter à la partie nouvelle, sans table il faudrait peut-être trop de temps pour la trouver. D'ailleurs je sais déjà que l'auteur en veut à ce qu'on appelle « la rente du sol », chose qui, généralement, n'existe plus quand le premier propriétaire a vendu l'immeuble. Pour les futurs acheteurs, sauf dans un petit nombre de cas, le revenu consiste dans l'intérêt du capital déboursé pour acquérir l'immeuble. Les cas exceptionnels auxquels je fais allusion sont les circonstances ou événements qui font hausser le prix d'une maison ou d'un champ : la création d'un marché ou d'un chemin de fer dans le voisinage, etc., le prix supérieur est plutôt dû à des «< conjonctures »; on a donc tort de parler ici de rente, puisque « les conjonctures »> agissent sur toutes les marchandises, même sur les honoraires, les traitements, les salaires et les gages.

Ajoutons que M. Wachenhusen se trompe sur la cause de la valeur il croit que celle-ci dépend uniquement du capital et du travail, tandis qu'elle résulte en grande partie de l'appréciation de l'acheteur. C'est lui qui sait ce qui lui est utile et qui dose l'utilité. Le producteur n'a consacré à un objet telle quantité de capital et de travail, que parce qu'il connaît par expérience le prix que l'acheteur est disposé à mettre. Quelquefois le producteur entreprend à ses risques et périls, mais il spéculera toujours sur le goût de l'acheteur. Si, pour satisfaire ce goût, il a pu arracher un don à la nature, il se le fera payer, et ce sera très légitimement ') C'est d'ailleurs ce qui se pratique. Malgré sa théorie, M. Wachenhusen est obligé de reconnaître que la nature peut être une cause de valeur, par exemple, dans le cas d'une invention. Ce n'est que lorsque l'invention tombe dans le domaine public, quand chacun l'emploie et que la concurrence s'en mêle, que la nature peut cesser d'être un facteur de la valeur. On dit que la nature, que la terre est à tout le monde, oui en tant qu'elles ne sont pas appropriées. La mer est à tout le monde: mais la partie de la mer où votre navire se tient est à vous seul, un autre navire ne peut s'y mettre, tant que vous ne vous êtes pas ôté de là. Et ainsi pour le reste.

Das Wesen des Geldes (La nature de la monnaie), par Théod. Hertzka (Leipzig, Dunker und Humblot (1887). Cette brochure de

Un homme favorisé par la fertilité du sol qu'il cultive, par une bonne exposition, par la possession de l'eau ou par une faveur naturelle quelconque en a toujours profité, il n'a jamais fait cadeau de ces avantages à l'acheteur que le hasard lui amène. N'est-ce pas d'ailleurs le don naturel (talent, génie) qu'on paye aux artistes, aux hommes doués quelconque?

121 pages est un petit, mais un excellent traité de la monnaie rédigé par un homme qui a déjà publié plusieurs ouvrages estimés sur la circulation monétaire et fiduciaire. Une partie des observations émises par l'auteur sont déjà connues; mais il est impossible, dans une matière aussi rebattue de n'offrir que du nouveau ; cependant, il y a du profit à parcourir cet opuscule. Je ne relèverai qu'un détail. L'auteur montre très bien que, contrairement à ce que certaines personnes pensent, le monométallisme or a été introduit par les praticiens et le bimétallisme est préconisé par des théoriciens. C'est le public qui a délaissé l'argent, et qui n'en veut pas, et si l'argent est délaissé, c'est que la monnaie en général (pas le métal blanc seulement) est dépréciée, il en faudrait de trop lourdes quantités rien que pour les transactions moyennes. L'auteur étudie aussi les rapports qui existent ou qu'on croit exister entre le taux de l'intérêt et la circulation monétaire.

Katalog der Bibliothek der Handelskammer (Catalogue de la bibliothèque de la Chambre de commerce de Leipzig), publié par son secrétaire M. Gänsel, docteur en droit. Leipzig, librairie Hinrich, 1886.) La valeur du catalogue dépend en grande partie de la richesse de la bibliothèque dont il fait l'inventaire. La bibliothèque de la Chambre de commerce n'a été commencée qu'en 1866 et avec des moyens restreints. L'appétit est venu en mangeant, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure que les tablettes se multiplaient et que les rayons s'allongeaient, on s'aperçut de plus en plus qu'il y avait des lacunes à combler et on augmenta les fonds. C'est un bon commencement, et si l'on continue on se complétera peu à peu. Les deux plus riches bibliothèques spéciales en Allemagne sont celles de la Chambre de commerce de Hambourg qui était déjà très riche il y a 30 ans, et celle du bureau royal de statistique de Berlin. Ces deux bibliothèques ont publié leurs catalogues qui forment des sources abondantes de renseignements bibliographiques pour l'économiste.

Nous avons sous les yeux les deux premiers numéros du Boletin mensual de estadistica municipal de la ville de Buenos-Ayres, qui a été placé sous la direction de M. Florentino M. Garcia. La création de cet utile service est dù au Dr Coni, qui l'a conseillé à M. Alvear, maire de la ville, qui a accepté le bon conseil, et au conseil municipal de Buenos-Ayres qui a voté les fonds... pour

neuf employés, ce qui est à peu près le double du nombre des employés du bureau de la statistique générale de France. M. Garcia a déjà publié les numéros de janvier et de février qui renferment les renseignements démographiques usuels et permettent de bien augurer de Tavenir.

El poder legislativo (le Pouvoir législatif), par Justino Jimenes de Arechaga, t. I" (Montevideo, tip. Barreiro y Ramos, 1887). C'est, on l'a deviné, un livre sur la division des pouvoirs. L'auteur s'inspire des bons auteurs: Montesquieu, Madison et autres. Dans l'intérêt de certains Parisiens nous rappellerons que Madison a été l'un des hommes d'Etat les plus distingués des Etats-Unis et qu'il a dit : « La réunion de tous les pouvoirs dans les mêmes mains, que ce soit celles d'un seul ou de quelques-uns, ou de beaucoup, et que ces pouvoirs soient héréditaires, le résultat d'une nomination ou d'une élection, c'est la définition même de la tyrannie. » J'ajouterai que la division des pouvoirs est un frein automoteur et que celui qui se prononce contre ce système ne peut avoir que des vues dominatrices. L'auteur examine successivement le système des deux Chambres, l'organisation de la Chambre des représentants, du Sénat, les incompatibilités et les immunités parlementaires que les Chambres s'accordent si libéralement, et qui sont le plus larges dans les républiques où précisément elles sont le moins nécessaires. L'auteur s'occupe aussi du mandat impératif et de la rémunération des membres des corps législatifs. Il se prononce contre ce mandat, mais se déclare pour la rémunération. L'auteur est au courant de la science politique et sait en déduire des applications modérées, d'un emploi général. En matière politique les formes sont indispensables; néanmoins une « organisation », quelque savante qu'elle soit, ne pourvoit pas à tout; il faut que les hommes veillent pour que le vaisseau de l'Etat reste toujours dans le bon chemin. En matière économique, les formes peuvent encore être quelquefois utiles, mais elles le sont à coup sûr bien moins qu'en politique en matière économique l'action de l'homme, l'influence de ses vertus, de ses qualités, de ses dons naturels, l'emporte sur toutes les autres influences tant vaut l'homme, tant vaut la terre, l'industrie, le commerce et tout le reste. De là le proverbe : l'homme est l'artisan de sa fortune, proverbe qui soutient plutôt l'inégalité que l'égalité des hommes.

MAURICE BLOCK.

LA PETITE CULTURE

ET LES

PAYSANS PROPRIÉTAIRES EN FRANCE'

I

C'est une opinion assez accréditée en France et qui a presque la valeur d'un article de foi en Europe que le morcellement du sol et la constitution chez nous d'une classe de petits propriétaires ou paysans cultivateurs, sont contemporains du grand mouvement de 89, auxquels ils sont liés par une relation étroite de cause à effet. C'est une erreur cependant, comme l'a dit Tocqueville; la Révolution n'a pas créé la petite propriété, elle l'a seulement libérée. C'était déjà beaucoup et cette libération même constituait un grand encouragement. Tout ce qui subsistait encore des servitudes d'origine féodale disparaissait; plus de seigneuries, plus de vassalités, plus de terres nobles et de terres roturières, le même état civil et fiscal pour toutes.

Voilà ce que constate M. de Foville, chef de bureau au ministère des finances et professeur au Conservatoire des arts et métiers, dans l'excellent travail qu'il vient de consacrer à l'étude approfondie de cette questien si intéressante à tant de titres . M. de Foville n'a eu d'ailleurs que

1 On lira avec intérêt cette étude que nous a laissée notre collaborateur F. de Fontpertuis, et que nous publions sans être convaincu autant qu'il l'était des avantages du morcellement du sol. A notre avis, l'agriculture progressive, l'agriculture devenue à son tour une grande industrie, exigera de plus en plus l'extension des exploitations, laquelle n'est, au surplus, nullement incompatible avec la division de la propriété. Les mines, les institutions de crédit, les manufactures, les chemins de fer ne présentent-ils point déjà le spectacle de la grande exploitation, unie pour une forte part à la petite propriété?

-

Ces observations n'infirment point, avons-nous besoin de le dire, le mérite du travail de notre excellent et regretté collaborateur. Ce qu'il a voulu faire ressortir, et il s'est acquitté de cette tâche avec son talent accoutumé, c'est cette vérité trop méconnue par les communistes et les collectivistes, que la propriété est le véhicule indispensable de l'activité humaine, et que plus elle est répandue, plus il y a dans la société de bien-être et de contentement. (Note du Rédacteur en chef).

2 Le Morcellement, In-8. Paris, Guillaumin, 1886.

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