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cuirassés! Telle est, si je l'ai bien comprise, l'opinion de l'un des représentants les plus autorisés de la marine d'aujourd'hui sinon de la marine de demain, M. le vice-amiral Bourgois; et cette opinion, il a entrepris de l'expliquer et de la justifier dans une série de remarquables études où l'éminent auteur a su joindre à la compétence technique de l'homme de guerre la science du jurisconsulte et un talent accompli d'écrivain.

Je ne reviendrai pas sur la première de ces études : les Torpilles et le Droit des gens, que j'ai annoncée, il y a un an, dans un autre recueil1. Mais je voudrais donner au lecteur un aperçu d'une deuxième brochure, La Guerre de course, la grande Guerre et les Torpilles. Je me borne à reproduire les idées essentielles, sans prétendre les apprécier ni prendre parti dans le débat. Il y a là des faits qui n'intéressent pas seulement les marins. Ils intéressent le pays même, et j'ajoute, à ne considérer que le point de vue économique où nous devons ici nous placer, que, sous cette question maritime, il y a une question financière : pour construire des torpilleurs ou pour construire des cuirassés, il faut toujours dépenser des millions.

<«< Avec le torpilleur, la grande guerre navale a cessé d'exister. Il n'y a plus que la guerre de course. » C'est cette proposition de M. Gabriel Charmes que M. le vice-amiral Bourgois s'attache à réfuter. Il l'avait fait, dans sa première étude, en invoquant des considérations empruntées aux règles de la jurisprudence internationale. Dans la brochure que j'analyse, c'est dans le droit des gens et dans la déclaration du 16 avril 1856, annexée au traité de Paris, mais c'est aussi dans les annales de la marine française, c'est enfin dans les conditions d'établissement et de fonctionnement du torpilleur, dans la façon dont il «< tient la mer », que M. le vice-amiral Bourgois puise ses arguments. De l'examen de ces trois ordres de faits juridiques, historiques et techniques, il infère que la guerre de course est impuissante, que d'ailleurs l'action en a été restreinte par le traité de Paris, qui interdit aux particuliers d'armer des navires pour courir sus aux bâtiments de commerce, enfin que cette guerre, à l'aide des torpilleurs, n'est guère possible, attendu que, quant à présent, ces engins ne semblent pas avoir les qualités indispensables pour affronter au loin les tempêtes et franchir les immenses espaces de l'Océan.

Je signale à toute l'attention du lecteur les conclusions de M. le viceamiral Bourgois. « Des escadres, dit-il, sont toujours nécessaires; nous devons conserver les nôtres, surtout en présence de voisins jaloux qui

1 Revue politique et littéraire (Revue bleue) du 1er mai 1886, page 574.

ont mis leur amour propre à construire les cuirassés les plus grands, les plus forts et les plus rapides, et qui nous verraient, sans déplaisir, détruire nos forces navales de nos propres mains ou seulement les laisser dépérir. »

Je retrouve la même conclusion dans une brochure intitulée : Nos Ports de la Manche et la Marine allemande, datée du mois de mars, et dont l'auteur, nous assure-t-on, ne serait autre que M. le vice-amiral Bourgois. L'auteur anonyme constate que, au printemps dernier, nos côtes de la Manche étaient dégarnies, par la concentration de nos escadres dans la Méditerranée, et que, si la guerre eût éclaté, la marine allemande aurait pu bombarder impunément nos ports de commerce: Dunkerque, Dieppe, le Havre, et détruire nos arsenaux de Cherbourg.

BERARD-VARAGNAC.

L'IMPOT SUR LES ALCOOLS DANS LES PRINCIPAUX PAYS, par RENÉ STOURM, ancien administrateur des contributions indirectes, professeur à l'Ecole des sciences politiques; 1 vol. in-12, 1886.

Nous avons tardé jusqu'ici de parler du nouveau livre de M. Réné Stourm sur l'alcool, parce que nous voulions faire coïncider le compterendu avec la discussion des surtaxes proposées par le Ministre des finances. L'ouvrage de M. Stourm constitue en effet un manuel excellent, indispensable à consulter au moment d'un débat législatif. L'auteur connaît admirablement la matière dont il parle, et il ne la connaît pas seulement en théorie; il a le grand et incomparable avantage d'avoir vu de l'intérieur les rouages fiscaux. C'est là une cause de supériorité pour quiconque est en mesure d'ajouter aux notions précises puisées dans la bureaucratie, la largeur des vues.

Le volume de M. Stourm contient l'exposé complet de la législation française, le résumé de toutes les législations étrangères intéressantes à connaître. Il appuie cet exposé technique sur des statistiques détaillées année par année, qui permettent de suivre l'influence de chaque modification de taux sur les produits budgétaires. Sous un petit format, on trouve condensés et expliqués les chiffres et les renseignements relatifs à l'alcool dans tous les pays, c'est-à-dire les éléments mêmes de la question de l'alcool.

Mais cette question de l'alcool a été ajournée par le Parlement. Le ministre qui proposait la surtaxe a disparu; un autre plus accommodant lui a succédé, qui a obéi à l'intention formellement exprimée par la Chambre des députés de ne pas créer d'impôts nouveaux.

Cependant la nécessité des impôts nouveaux subsiste toujours, à moins qu'on n'arrive à réaliser des économies sérieuses, ce qui est probléma tique, et l'alcool reprendra tôt ou tard ses droits de préséance à titre de grand pourvoyeur des budgets. C'est en effet là son rôle fiscal, au moins pour les pays qui savent l'imposer rationnellement (France, Hollande, Angleterre, États-Unis). M. Stourm montre que d'autres pays (Belgique, Allemagne, Autriche) n'ont pas su tirer parti de l'alcool. Leur système d'impôt établi sur les éléments primitifs de la production demeure fatalement improductif. Au contraire, la France, l'Angleterre, les Etats-Unis recueillent des produits sans cesse progressifs de 250, 500, 400 millions de francs.

Dans les pays de la première catégorie l'impôt sur l'alcool rend par tête:

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Dans les pays plus habiles qui ont établi un droit à la consommation, le rendement de l'impôt par tête s'élève au taux suivant :

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La France figure donc parmi les pays à forte perception, mais elle y figure dans un rang secondaire. M. Stourm en conclut que, si les nécessités du budget l'exigent, on pourrait sans danger rehausser les tarifs sur l'alcool à la condition d'essayer ce relèvement de tarif par un renfort de précautions fiscales.

A. R.

P.-S. Le Rapport de M. le sénateur Claude sur l'alcool est rempli d'extraits du livre de M. Stourm; c'est là que les informations positives ont été puisées.

4o SÉRIE, T. XXXIX.

15 août 1887.

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l'avis opposé des économistes, flottant de M. Leroy-Beaulieu qui admet et préconise l'établissement aux colonies de droits différentiels, à M. de Molinari, qui les repousse énergiquement, appelant enfin M. Émile Rocher, haut fonctionnaire français des douanes chinoises, se rangeant à la formule « Des douanes commerciales, pas de douanes fiscales » et aboutissant à un système « protectionniste encore, mais déjà libéral à côté de ce qu'on avait réclamé de lui et de ce qu'il avait accepté ». Le tarif, que M. Paul Bert avait élaboré, était combiné de façon à ne pas décourager le commerce étranger, sans nuire au commerce français. Les marchandises étaient divisées en trois catégories: 1o toutes les marchandises françaises entraient en franchise, le Tonkin étant considéré comme une annexe de la France; 2° toutes les marchandises étrangères, jugées susceptibles de ne faire aucune concurrence au commerce français (chinoises, indoues, etc.) acquittaient un droit d'environ 5 0/0; 3o toutes les autres marchandises étrangères étaient soumises au tarif général français, sauf deux sortes d'exceptions. D'une part, les marchandises destinées à la Chine et qui ne faisaient que transiter à travers le Tonkin, étaient frappées d'une taxe assez légère; d'autre part, les marchandises, qui étaient jugées absolument indispensables à la colonie, et que notoirement l'industrie française produirait trop cher, n'étaient frappées que d'un droit variable, lequel ne dépassait pas 10 0/0. On voit que, si ce système est loin d'être orthodoxe, dans la rigueur des doctrines, si même il est loin d'être simple et d'une application facile, il ne laisse pas d'être ingénieux.

De toutes ses forces, par tous les moyens, M. Paul Bert défendait, soutenait, renseignait nos négociants et nos industriels. Il s'était fait lui-même leur courtier, leur agent, leur correspondant, avec le concours éclairé et précieux de M. Amelin; il adressait aux Chambres de commerce des lettres, des échantillons; il demandait des spécimens de tissus, de cuirs, etc. Il allait inaugurer cette exposition qu'il avait conçue et sur laquelle il fondait pour son œuvre, les plus légitimes espérances, quand la mort vint le frapper. M. Chailley affirme que Paul Bert est bien mort. Le consentement là-dessus est unanime. L'ouvrier parti, l'œuvre reste. L'avenir dira, et c'est assez pour sacrer une mémoire qu'il n'est pas mort sans utilité.

CHARLES BENOIST.

LE HAUT

MEKONG OU LE LAOS OUVERT, par PAUL BRANDA. Brochure in-8, Paris 1887, Fischbacher.

<< La Cochinchine ne produit que du riz et ne saurait produire autre chose... La culture est aux mains des Annamites; le commerce aux mains des Chinois; l'Européen ne trouve guère à se caser. Dans la chaude et malsaine Cochinchine, il n'y a place que pour les fonctionnaires (Dieu sait si elle en a son plein), quelques rares commerçants (il n'est point aisé de faire concurrence aux Chinois, même pour la vente des produits européens), et quelques industriels ! »

Voilà la situation en Cochinchine. Celui qui nous la décrit ainsi, la connaît sur le bout du doigt. Paul Branda est le pseudonyme transparent d'un capitaine de vaisseau éminent, qui est un philosophe et un patriote. Il n'est pas, tant s'en faut, un détracteur de la Cochinchine, un adversaire de la politique coloniale. Pour lui la Cochinchine n'est qu'un commencement. Les nécessités politiques plus encore que les nécessités physiques veulent qu'on s'étende à l'Est et au Nord. A l'Est, c'est chose faite, et la Cochinchine va, d'ici peu, dépasser de bien loin les limites du cap Varela que notre auteur assigne à son ambition. Il y aurait plus d'une réserve à faire sur cette unité indo-chinoise qu'on réclame et qu'on acclame, sans savoir au juste ce que signifie la formule, et dans quelles conditions se fera la réunion projetée. Mais le Tonkin crie famine. Qui se chargera de le nourrir? La Cochinchine? Adjugé le Tonkin à la Cochinchine. Voilà pour l'Est. Au Nord? C'est de ce côté que Paul Branda, après avoir revêtu ses insignes de commandant de la marine en Cochinchine a tourné ses efforts.

Pourquoi, dit-il, ne ferions nous pas ce qu'ont fait dans tous les temps toutes les civilisations et tous les peuples: remonter le cours d'un beau fleuve? Le beau fleuve, c'est le Mekong. Par malheur, le Mekong est malaisé à remonter. Outre qu'il est comme tous les fleuves de l'Asie méridionale, sauf l'Iraouaddy, soumis à des crues périodiques qui, élevant en certains lieux son niveau de 12 à 14 mètres laissent, après elles, des fonds parfois insuffisants pour les bateaux même de moyen tonnage, il a un courant très violent, et des rapides considérés jusqu'alors comme infranchissables.

Les campagnes en 1884 et 1885 permirent de franchir les premiers ceux de Sambor. En 1886, on s'occupa de franchir ceux du Préa Patang. Et ce n'était pas une petite affaire. Le récit de M. Paul Branda donne le frisson.

« Je dis à l'interprète, en lui faisant un dessin qu'il comprit fort bien : Je vais essayer de remonter avec le torpilleur, mais il faut que tu com

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