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loi de budget, sans discussion préalable, sans examen, et, on peut le dire, par surprise, qu'il a été statué souverainement sur le régime économique de toute une région, où nous avons l'ambition de fonder un Empire colonial et qui mérite à tous égards l'attention, l'intérêt, la sollicitude inquiète de la mère-patrie ! Une telle procédure provoque la juste critique et même la réprobation des citoyens qui ont le souci d'une bonne et prudente législation. Quoi qu'il en soit de ce vice de forme, la question demeure entière pour la discussion.

Sans s'arrêter à l'opinion intéressée des manufacturiers qui considèrent comme leur étant dù le marché des colonies, on allègue, en se plaçant à un point de vue moins personnel et plus élevé, que la métropole, après avoir fait les frais de la conquête et des débuts de la colonisation, est fondée à se réserver la plus grande somme des profits ultérieurs de l'exploitation et à laisser les étrangers à l'écart de ces profits. C'est la doctrine protectionniste qui a prévalu pendant deux siècles et qui a inspiré le pacte colonial.

Il semble que la colonisation moderne ait à s'inspirer d'autres sentiments et d'autres principes. Les colonies ne doivent plus être, comme elles étaient autrefois, les sujettes, taillables et corvéables, des métropoles. En matière de commerce, la liberté leur est le plus favorable; l'échange organisé dans les conditions les plus économiques, est nécessaire pour le progrès de la colonisation, et la métropole profite de la prospérité de la colonie. Peu importent les exigences et les réclamations de quelques intérêts particuliers. C'est d'une inspiration plus large et plus généreuse que doit désormais procéder l'étude d'un tarif colonial. Il ne paraît pas douteux que, si l'on entrait dans les détails de la question, si l'on observait exactement les ressources et les besoins des populations indo-chinoises ainsi que les principaux éléments de leurs échanges, s'il était mieux tenu compte de l'intérêt politique de notre protectorat, la nécessité d'une législation douanière très libérale serait facilement démontrée.

Au surplus, les auteurs du nouveau tarif paraissent ne pas avoir aperçu les difficultés de son application sur les côtes de l'Annam et du Tonkin, surtout pour les marchandises de provenance chinoise. La contrebande fera son œuvre, et, ce qui est plus grave, la piraterie s'ensuivra. Contrebande et piraterie vont de conserve et les Chinois y sont passés maîtres.

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M. Couturier, ancien gouverneur de la Guadeloupe, demande la arole pour rectifier un point de fait. Le pacte colonial, dit-il, a été nous par la loi du 3 juillet 1861, qui a donné aux colonies le droit d'importer les produits de toute provenance et d'exporter leurs

denrées à toute destination, sous tous pavillons. A cette époque, les tarifs de douane étaient votés par le pouvoir législatif de la métropole; il y avait un tarif spécial pour les colonies; tous les objets qui n'étaient pas compris au tarif colonial étaient soumis au tarif général.

Le sénatus-consulte du 4 juillet 1866 a complété l'affranchissement des colonies au point de vue commercial; il a conféré aux conseils généraux le pouvoir de voter les tarifs de douane sur les produits étrangers, sous réserve d'approbation par décrets rendus en forme de règlements d'administration publique; il leur a accordé, en outre, le droit de voter des tarifs d'octroi de mer sur les produits de toute provenance. Les conseils généraux ont usé de cette faculté pour supprimer les tarifs de douane sur les produits étrangers et établir des tarifs d'octroi frappant uniformément les produits de provenance française et de provenance étrangère. C'était le régime de la liberté commerciale absolue.

Cet état de choses a subsisté jusqu'en 1884. A cette époque, le Ministère de la marine et des colonies, ému des doléances de certaines industries métropolitaines qui se plaignaient de ne trouver aucune protection pour le placement de leurs produits dans nos colonies, invita les conseils généraux à établir des tarifs de douane sur quelques sortes de marchandises. Les conseils généraux, accédant à cette invitation, consentirent à voter des droits modérés sur un nombre très restreint de produits fabriqués, rentrant pour la plupart dans la catégorie du vêtement.

Les conseils coloniaux, en faisant ce libre usage de leurs prérogatives, n'ont obéi qu'à un sentiment de patriotisme, et c'est ici, dit M. Couturier, que M. Lavollée se trompe quand il allègue qu'il y a eu une sorte de marché, que la concession faite par les conseils généraux a eu pour compensation un traitement de faveur pour les sucres des colonies françaises. Il n'y a eu ni marché, ni compensation. Les sucres des colonies françaises n'ont obtenu aucun traitement de faveur. Quand l'impôt sur la betterave a été établi avec un rendement légal calculé de manière à laisser des excédents non imposables constituant une prime pour la sucrerie indigène, les colonies ont réclamé simplement le maintien de l'égalité de traitement qui leur était assurée par la législation antérieure. Les déchets de fabrication de 12 et de 24 0/0 qui leur ont été successivement attribués, n'ont été, dans l'intention du législateur, que la représentation des primes accordées à la sucrerie indigène. L'expérience a démontré d'ailleurs que la remise faite aux sucres coloniaux ne réalisait pas encore l'équivalence à laquelle ils avaient droit. C'est pour ce motif que la loi du 13 juillet 1886

a dende qua Tavenir le deenet de fabrication accede axx surres des enioties fratraises importes dans la metropole serait egal a h moyenne des excedents de rendement obtenus par la sarrerie insgene pendant la derniere campagne de fabrication.

Les colonies n'ont pas obtenu un traitement de faveur, poisqu'elles out a wetenir la concurrence, non-seulement des sorres indigenes primes, mais encore des sucres de canne étrangers qui entrent dans la consommation sans payer aucune surtaxe.

M. Lavollée reconnaitra qu'il n'y a dans cette situation rien qui se rapproche d'un retour au pacte colonial, dont personne ne desire le rétablissement.

M. Joseph Chailley rappelle dans quelles conditions le Conseil d'État, ayant à préparer le decret relatif à l'Indo-Chine française, avait à se prononcer d'abord sur les changements à introduire dans notre tarif général. Certains articles qui font l'objet d'un gros trafic en Indo-Chine n'étaient pas prévus dans notre tarif de douane. D'autres étaient frappés de droits que l'on considérait, les uns comme trop élevés, parce que les articles qu'ils frappaient sont de consommation courante dans le pays et ne font concurrence à aucun similaire français (thé, café, tabac, etc.): les autres, comme trop faibles, parce que nos industriels se déclaraient incapables, si l'on maintenait ces droits, de lutter en Indo-Chine avec leurs rivaux étrangers. Il ne veut pas étudier un par un les droits à fixer sur ces divers articles.

On a répété souvent, dit M. Chailley, que notre politique commerciale, vis-à-vis de nos colonies, est mal conçue. Nous voulons qu'elles enrichissent nos industriels; et quand nous avons pris les mesures que nous croyons les plus efficaces pour y parvenir, nous nous déclarons satisfaits et ne nous préoccupons pas du reste. Or le reste a bien son importance: nos colonies sont peuplées de Français, consommateurs et commerçants, et il arrive que l'application du tarif général français appauvrit le consommateur et ruine le commercant.

Il ne veut parler que du Tonkin, qui est le plus intéressé dans ce moment à la question. Le Tonkin a fait, en 1886, un commerce d'environ 60 millions. Sur ce chiffre, 45 millions au moins portaient sur des marchandises étrangères: filés de coton, soie, thé, sucre, pétrole, porcelaine, etc. Ces 45 millions — l'an prochain ou dans deux ans, on atteindra peut-être 50 ou 60 (car ce sont tous objets à l'usage des indigènes et des Chinois dont le nombre va grandir avec la sécurité croissante), ces 45 millions ont procuré de sérieux

bénéfices aux commerçants établis dans la colonie. Parmi ces commerçants, un grand nombre sont des Français, et dès à présent on pourrait citer certains chefs de maisons de commerce qui en quelques années se sont enrichis et vont, un jour ou l'autre, revenir parmi nous jouir de la fortune ainsi acquise, et, en fait, enrichir le pays. Les autres sont des Asiatiques, indigènes et Chinois qui paient à l'État de gros impôts et diminuent ainsi d'autant nos dépenses et la part contributive de la France. Et ce n'est là qu'un commencement. Les années suivantes doivent voir grossir tous les chiffres.

Maintenant, avec le tarif général, voici ce qui arrive. Tout produit étranger, européen ou asiatique (là est notre absurdité de vouloir lutter contre des produits asiatiques), tout produit qui fait concurrence aux nôtres est arrêté à l'entrée du Tonkin par des droits presque prohibitifs. Le consommateur, forcé d'acheter les nôtres qui Ide notre aveu coûtent sensiblement plus cher, restreint sa consommation; le commerçant voit réduire le chiffre de ses affaires et de ses bénéfices; le pays tout entier en souffre d'où lassitude, découragement, et bientôt exode ou ruine des colons. Voilà ce qu'indique la théorie. Voici maintenant ce que dit la pratique :

Depuis le 1er juin, par exemple (jour de la mise en application du tarif général français), sur quatre bateaux qui sont arrivés à Haïphong, trois sont repartis remportant le même chargement. Ils ont été épouvantés par les droits à acquitter et sont retournés sans rien laisser de ce qu'ils avaient pour ce pays. Le sucre chinois, dont le Tonkin fait une grande consommation, ne peut plus y entrer. Il coûte 17 ou 18 fr. le picul (60 kil.) et les droits sont de 40 fr., presque autant que pour le sucre raffiné. Les porcelaines de Chine non plus ne peuvent pas entrer; cependant cet article ne fait aucune concurrence aux produits français, car ce sont tous produits spéciaux à l'usage des Asiatiques. Quant aux cotons filés, sauf les gros numéros qui sont soumis à des droits de 10 0/0, ils ne peuvent plus entrer, les droits variant entre 50 et 70 0/0. Pour les cotonnades et les lainages, même difficulté. Tel article de Manchester qui payait 0 fr. 50 doit payer 2 fr. 50.

Les Français, qui cependant ne sont pas touchés par cette tarification, puisque leurs produits passent en franchise, se déclarent écœurés de ces décisions. Le commerce tout entier en souffre; les maisons qui patientaient, pensant dans un avenir prochain faire des affaires, sont décidées à fermer. La contrebande, déjà si facile dans ces parages, va se développer sur une grande échelle. Les mêmes gens qui passent en fraude des canons et de la poudre sous les yeux

de nos soldats sauront bien passer des cotonnades, et cette fraude, ce n'est pas les Français qui la feront ni qui en profiteront.

Ainsi, rien ne peut plus «< entrer » de ce qui fait concurrence aux produits français, et le commerce français, qui vivait des bénéfices prélevés sur les produits étrangers, languit et meurt. Est-ce là ce que voulaient les Chambres?

Le régime douanier de nos colonies, reprend M. Chailley, soit qu'elles prétendent importer chez elles les produits dont elles ont besoin, soit qu'elles veuillent exporter dans la métropole ceux qu'ellesmêmes renferment, est conçu de telle façon qu'il suscite des plaintes à peu près unanimes.

Récemment encore, un sénateur de la Guadeloupe nous apportait les doléances de ses compatriotes. Cela ne saurait étonner si nous nous donnons la peine d'examiner avec quelque impartialité la théorie qui, en ces matières, prévaut dans la métropole.

Il faut bien remarquer tout d'abord qu'il n'y a là en jeu nulle question économique brûlante, qu'il ne s'agit ni d'attaquer ni de défendre le libre-échange ou le protectionnisme. La discussion porte uniquement sur l'intérêt national.

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La France, comme toutes les nations d'ailleurs, a toujours pensé qu'avoir des colonies qui lui coûteraient gros sans lui rien rapporter serait non pas au point de vue politique, où la question se pose tout autrement, mais au point de vue financier, une déplorable spéculation. Il s'agit naturellement des colonies qui ne sont pas de purs points stratégiques, colonies de peuplement ou colonies d'exploitation. Elle a done toujours prétendu que ces colonies seraient pour elle une cause d'enrichissement. Tout au moins, pour commencer, entendait-elle se couvrir des frais qu'occasionne pour elle l'exercice des droits de souveraineté et autres. Évidemment, elle ne professait pas que l'on dût, comme autrefois dans certains pays, lever sur la colonie un fort tribut net de toutes dépenses et l'inscrire en recettes au budget de la métropole. C'est là un procédé royal et barbare, qui n'a jamais réussi aux gouvernements qui en ont usé. La France, pays du progrès et de la justice, ne pouvait songer à se l'approprier. Toutefois elle ne répugnait pas à en employer un autre presque semblable, qui consiste à frapper de droits considérables les produits les plus précieux de ses colonies; et, dans son désir de n'être pas lésée par sa politique coloniale, elle en est arrivée à ne faire en général aucune différence entre les produits de l'étranger et les produits similaires de ses propres colonies.

Voilà un premier moyen de faire concourir les colonies à l'enrichissement de la Métropole. Il y en a un second. Évidemment en

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