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II

L'esprit de protectionnisme n'a épargné aucune branche de l'activité nationale: on connaît les espèces de marchés conclus entre agriculteurs et industriels. L'industrie du transport maritime a été englobée, comme le reste, et ce sont les mêmes arguments qu'on a employés pour obtenir l'assistance de l'Etat pour elle, et pour les autres. On s'est imaginé qu'il convenait d'accorder une aide spéciale à la marine marchande, dans l'espoir que si elle se développait et fleurissait, tout l'organisme économique en serait fortifié, et que toutes les branches d'industrie, directement ou indirectement en relation avec elle, en profiteraient. Il s'agissait d'une assistance passagère, d'une protection limitée, jusqu'à ce que la crise fùt passée. Dans tous les pays, la marine à voile déclinait rapidement, et c'était une décadence due à des causes permanentes et naturelles. La première nation qui ait adopté une politique de prime pure et simple a été la France, dont la marine à voiles décroissait rapidement, plus rapidement que celle des voisins. Le tonnage des voiliers a diminué de 27 0/0 entre 1873 et 1880, tandis que celui de l'Angleterre décroissait de 5 0/0, de l'Italie de 7 0/0, de l'Allemagne de 10 0/0. Mais comme le fait observer M. Farrer, chef du département de la statistique fédérale, il n'y avait pas lieu de s'alarmer, car le tonnage à vapeur augmentait, et plus la substitution de la vapeur à la voile se faisait rapidement, plus la France était dans des conditions favorables pour faire la concurrence aux autres marines. De 1873 à 1880, le tonnage à vapeur de la France s'est accru de 50 0/0, celui du Royaume-Uni de 58 0/0, celui de l'Allemagne de moins de 29 0/0 et celui de l'Italie 58 0/0. Ces chiffres ne donnent pas une impression assez nette; en réalité, le tonnage de la France a grandi de 92.000 tonnes. L'Angleterre, elle, a construit 1.009.000 tonneaux. En comparaison de l'Allemagne et de l'Italie, la France se trouvait donc dans une bonne situation. La force réelle de la marine marchande avait doublé de 1847 à 1867 et depuis elle s'est accrue de moitié. A vrai dire, ces progrès n'ont pas été très spontanés, le législateur ayant toujours protégé plus ou moins les armateurs français contre la concurrence étrangère '.

1 De Foville, la France économique, p. 280: « Ce qui nuit surtout au développement et à la prospérité de notre pavillon, c'est que notre exportation est beaucoup moins encombrante, beaucoup moins lourde que notre importation. Le fret de sortie est rare en France, et c'est évidemment une condition défavorable pour la marine marchande d'un pays. Il y a une énorme disproportion au point de vue des masses à transporter, entre les importations et les

La loi du 29 janvier 1881 a réglé la matière de la prime. Jusque là, en vertu de la loi de 1886, les constructeurs de navire jouissaient du privilège d'importer en franchise tous les matériaux employés à la construction et à l'équipement des navires; ce privilège fut aboli, il ne cadrait plus avec le régime protectionniste, et en échange, des subsides de l'Etat furent accordés.

En compensation des charges que le tarif des douanes impose aux constructeurs des bâtiments de mer, il leur est attribué les allocations suivantes pour les navires en fer ou en acier, 60 fr. par tonneau de jauge brute; pour les navires en bois de 200 tonneaux ou plus, 20 fr.; pour les navires en bois de moins de 200 tonreaux, 10 fr.; pour les navires mixtes (bordés en bois, dont la membrure et le barotage sont entièrement en fer ou en acier), 40 fr. Pour les machines motrices placées à bord des navires à vapeur et pour les appareils auxiliaires mus mécaniquement, ainsi que pour les chaudières qui les alimentent et leur tuyautage, 12 fr. par 100 kilog. Lors des changements de chaudière, il est alloué 8 fr. pour 100 kilogr. de chaudière de construction française. Est supprimé le régime de l'admission en franchise.

L'assistance de l'Etat ne se borne pas à la seule construction des navires, elle est étendue à la navigation:

A titre de compensation des charges imposées à la marine marchande. pour le recrutement et le service de la marine militaire, il est accordé pour une période de dix années à partir de la promulgation de la présente loi, une prime de navigation aux navires français à voiles et à vapeur. Cette prime s'applique exclusivement à la navigation au long cours. Elle est fixée par tonneau de jauge nette et 1.000 milles parcourus, à 1 fr. 50 pour les navires de construction française sortant de chantier et décroit par année de 0,075 pour les navires en bois, 0,075 pour

exportations. Les matières brutes dominant d'un côté, les produits fabriqués de l'autre, on s'explique que le rapport des poids soit tout autre que celui des valeurs ».

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les navires composites, 0,050 pour les navires en fer. La prime est réduite à moitié pour les navires de construction étrangère. La prime est augmentée de 150/0 pour les navires à vapeur construits sur des plans préalablement approuvés par le département de la marine. En cas de guerre les navires de commerce peuvent être réquisitionnés par l'Etat.

Avec la jalousie internationale existante, cette loi qui affectait la capacité des autres marines à concourir avec la marine française, devait provoquer des imitations au dehors. La nouvelle législation encourageait doublement l'industrie des constructions navales, d'abord par la prime directe à la construction, ensuite parce que la prime à la navigation est supérieure pour les navires d'origine française. Il paraît, d'après M. Mason, consul des Etats-Unis à Marseille, que la prime dans la pratique a dépassé les calculs de prévision, établis Jors de la discussion de la loi : un steamer coûtant 1.250.000 fr., reçoit 17 0/0, alors qu'on estimait la prime au maximum entre 11 et 12 0/0.

Pour maintenir la marine marchande à son niveau de 1879, il faudrait consacrer en prime 1 1/2 million par an, pour stimuler la construction dans les premières années, à raison de 56.000 tonneaux, 2.732.000 fr., soit ensemble 4 1/4 millions. Après avoir atteint une limite prévue approximativement, on comptait sur un ralentissement et la dépense ne serait plus que 1.930.000 fr. par an. La marine à vapeur française de 1880 à 1884, s'est élevée de 277.759 tonneaux à 511.072, soit + 233.313, en moyenne 58.000 tonneaux par an. En 1881, on a évalué à 70 millions les sommes qu'absorberaient en dix ans les primes à la navigation. On sait qu'elles décroissent chaque année d'un dixième. Voici les sommes dépensées 1881, 3.875.000 francs; 1882, 5.215.000 francs; 1883, 8.104.000 francs; 1884, 8.592.000 francs; 1885, 7.769.000 fr.; 1886, 7.633.000 francs. La prime est d'environ 5 francs par mille parcouru pour un navire de 2.000 tonnes, construit avec le dernier perfectionnement, et faisant au maximum 40.000 milles dans son

année.

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La diminution dans la marine à voiles n'a pas été arrêtée par la nouvelle législation; de 1880 à 1884, 18 0/0. Pendant ces trois années. on a construit 105.000 tonnes, qui ont absorbé 1.100.000 fr. de prime. Pour la marine à vapeur, elle avait gagné 47.000 tonneaux entre 1877 et 1880 soit 20 0/0; de 1880 à 1884, cinq fois autant ou 233.313 tonneaux. Parmi ceux-ci, 167.249 revenaient à des bâtiments de 1.200 tonneaux et au-dessus.

Dans les dix années qui ont précédé la loi sur les primes, le ton

nage total de la France a décru de 14 0/0, celui de l'Italie de 1 0,0; l'Allemagne a gagné 160,0.Dans les quatre années, 1880-1883, l'Italie a continué à perdre 2 1,20,0, la France a gagné 8 0,0; l'Allemagne près de 700; ainsi sans l'assistance artificielle de primes, la marine allemande a grandi presque autant que la marine française. Les marines à vapeur de ces trois pays n'ont fait que progresser depuis 1873 avec plus ou moins de régularité. De 1873 à 1880, la marine française, sans l'assistance de l'Etat, s'est développée plus rapidement que ses rivales en Allemagne et en Italie. De 1880 à 1883, les résultats sont encore plus remarquables, que l'on considère le nombre des navires ou le tonnage. L'Allemagne a progressé relativement bien plus que ne l'a fait la France, et cela sans le secours de primes. En outre, les nouveaux navires construits en Allemagne sont en moyenne d'une capacité plus grande 1.

M. Félix Faure constate dans son Rapport sur le budget du ministere du Commerce et de l'Industrie que le mauvais état actuel de la marine marchande est dù au développement excessif de la construction pendant plusieurs années. De 1880 à 1886, il y a une augmentation de 25 0/0 dans l'offre du transport. L'état précaire de l'armement a provoqué un ralentissement sérieux dans la construction. En France notamment, où les effets de la loi du 29 janvier 1881 s'étaient fait vivement sentir en 1881, 1882, 1883 et 1884, la mise en chantier s'est brusquement arrêtée en 1885. Il est peu probable qu'elle se relève en 1888 devant l'échéance prochaine de la loi de 1881. En dehors des compagnies subventionnées pour les services postaux, il est peu probable que les armateurs particuliers veuillent augmenter leur effectif naval. En 1884, la prime à la construction a éte de 2.898.000 francs, Le renouvellement du contrat postal pour les Etats-Unis a imposé des vitesses qui ont nécessité la construction d'un matériel naval important. La Compagnie transatlantique a touché pour ses 4 steamers: Champagne, Bretagne, Gascogne,

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De 1880 à 1883, le nombre des navires s'accroît de 37 0/0 en France, de 45 0/0 en Allemagne, de 27 0/0 en Italie; le tonnage, de 68 0/0 en France, de 73 0/0 en Allemagne, de 39 0/0 en Italie.

Normandie 2.537.712 francs. Le contrat du 30 juin 1886 avec la Compagnie des Messageries maritimes n'exigera pas un effort aussi considérable; les steamers actuels donnent généralement la vitesse requise. La prime à la construction, qui, en 1885, a été de 1.129.800 fr., n'a atteint, en 1886, sans les transatlantiques, que 360.000 francs.

« La plus grande force de notre marine, ajoute M. Félix Faure, eu pour conséquence de permettre à notre pavillon de prendre une plus large part dans notre trafic maritime, ainsi qu'on pourra en juger par le tableau suivant :

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« On remarquera la part plus importante du pavillon français << dans nos exportations; c'est ce qu'il importe surtout de main<< tenir, car chacun sait qu'il y a un intérêt national de premier « ordre à ce que les marchandises parviennent à destination sous le << pavillon national »>.

L'appréciation de M. Ford est moins optimiste. La marine engagée dans les voyages à long cours a été encouragée en apparence, un peu aux dépens des autres branches de la marine francaise et notamment du cabotage. Le but qu'on se proposait d'atteindre n'était pas simplement d'augmenter le nombre et le tonnage des navires; c'était un effort en vue de l'extension du commerce étranger. « Les demandes d'un peuple civilisé ne sont limitées que par ses moyens; mais multiplier le nombre de ses navires, ce n'est pas étendre directement le pouvoir d'acheter la satisfaction des besoins, cela n'augmente pas la quantité de marchandises à échanger, pas plus que la multiplication des machines à travailler le coton n'augmente la masse de coton. Des navires sont des instruments de production, des outils; mais en dehors de leur construction, il servent plutôt à distribuer les marchandises fabriquées; en étendant le marché, peut-être exercent-ils une influence indirecte sur la production ».

4o SÉRIE, T. XL. 15 décembre 1887.

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