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pays? Pourquoi prétendre alors que la prime du change constitue une protection suffisante pour permettre aux Indes d'être le marché régulateur pour les céréales, le coton, etc.?

Nous ne nions pas l'influence d'un excès d'offre de numéraire. La modification du rapport entre l'or et l'argent, la dépréciation de ce dernier métal est favorable aux débiteurs de l'Asie, mais au fur et à mesure que l'argent baisse les contrats se modifient, les consommations courantes sont grevées de la perte que fait subir le change défavorable tout comme dans les pays soumis au régime du papier monnaie, avec cette différence toutefois pour la spéculation que celle-ci peut mieux tenir compte des probabilités d'offres d'argent qu'elle ne peut prévoir la multiplication du papier-monnaie. Pour les marchandises européennes expédiées aux Indes, le vendeur facturera aux prix d'ici, au change actuel de 1 sh. 4 11/16 la roupie et non à la valeur nominale de 1 sh. 10 1/2, les acheteurs à Calcutta devront donc payer plus de roupies, et puisque les importations aux Indes sont plus considérables qu'il y a 15 ans, nous avons la preuve que les marchandises subissent dans la Péninsule l'augmentation des prix qui correspond à la baisse de l'argent.

M. Cernuschi n'observe pas les faits généraux, il prend un fait secondaire qui semble favorable à sa thèse et échafaude sur ce point des raisonnements qui ne résistent pas à l'examen. L'idée que tous les progrès réalisés aux Indes depuis 15 ans sont la conséquence de la dépréciation de l'argent est fausse et fausses aussi sont les conclusions que M. Cernuschi en tire.

L'expansion industrielle et commerciale de l'Hindoustan date de l'introduction de la politique libre échangiste par lord Northbrook, en 1875. La baisse de l'argent date de 1872, la concurrence que l'Inde anglaise fait aux producteurs de blé de l'Europe et de l'Amérique, ne date guère que de 1880. Voici les chiffres concernant l'exportation du froment :

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En 1887, le prix de l'argent a varié de 42 à 43 pence, les Indes n'ont fait que peu d'offres et les cours du blé en Europe ont été plus bas que précédemment. Et en présence de ces faits on ose affirmer que la question du change de la roupie domine le marché des céréales en Angleterre? En 1881 le change était à 1 sh. 7 7/8 en moyenne et le prix du blé de 45 sh. 4; en 1884 avec un change de 17 sh. 1/4 (baisse de 2 0/0), le froment n'était plus qu'à 35 sh. 8 ou 22 0/0 plus bas et actuellement avec la roupie à 1 sh. 4 11/16, on est pour le blé à 34 sh. 6.

Bombay, Kurrachee et Calcutta exportent dix millions de quintaux de froment par an vers la métropole. Les Etats-Unis, avec l'étalon or, y envoient 25 millions de quintaux et la Russie qui a le rouble papier expédiait pour l'Angleterre 5.400.000 quintaux en 1884-11.906.000 en 1885 et 3.710.000 en 1886. Les arrivages des Indes sur les marchés anglais représentent à peine un cinquième des importations totales et pas même un dixième de la quantité nécessaire pour les besoins de la consommation du Royaume-Uni.

L'expansion de l'industrie agricole aux Indes s'explique par la nouvelle politique économique, la suppression du droit de sortie, la multiplication des canaux d'irrigation, l'extension du réseau des voies ferrées (5202 milles en 1872, 8710 en 1880 environ 15.000 actuellement), la baisse des frets et une amélioration dans le travail. Ces progrès bien plus que la dépréciation de l'argent ont facilité les exportations.

Pour le coton, M. Cernuschi fait la même erreur que pour le blé. Il double même ses hérésies économiques d'une erreur de géographie commerciale en rangeant l'Australie parmi les pays exportateurs de coton. La brochure est écrite pour les Anglais; il faut bien montrer que les Anglais souffrent; puisqu'on ne peut citer les Anglais de l'Angleterre on déclare atteints les Anglais d'Australie!

M. Cernuschi affirme que le coton brut indien obtient une prime d'exportation par le change, donc les filateurs de Manchester doivent recevoir ce textile dans des conditions très favorables et cependant les fabricants du Lancashire se plaignent, parce que. ajoute M. Cernuschi, les fils et tissus anglais doivent lutter en Asie avec les articles de Bombay qui jouissent de cette différence de 33 0/0! Il y a là une contradiction tout au moins pour la matière première.

L'auteur du Pair bi-métallique ignore-t-il que les réformes de Lord Northbrook et de Lord Lytton ont augmenté considérablement la consommation des cotonnades dans la Péninsule? Oui, le libre échange a transformé la filature à Bombay et porté le nombre des broches de 524,000 en 1873 à 1,698,000 en 1886 (2,261,000 pour l'Inde). Avec le régime de la libre concurrence, la production se tranforma complètement, les industriels appliquèrent largement le système de la division.

du travail et, grâce à la suppression des douanes, s'outillèrent dans les conditions les plus économiques. L'exportation vers la Chine et le Japon augmenta de 7,900,000 livres de filés en 1876-77, avec l'argent à 53 pence, à 15,600,000 livres en 1877-78 avec l'argent à 55 pence. Elle était en 1881-82 de 30,786,000 livres. En mars 1882 tous les droits de douane sont supprimés et en 1882-83 l'exportation des filés progresse de 50 0/0, elle passe à 45,223,000 livres; en 1885-86, elle était de 78,238,000 livres. Pour les tissus l'exportation montait de 15 1/2 millions de yards en 1876-77 à 51,558,000 yards en 1885-86. Mais pendant cette période les importations aux Indes, du Royaume-Uni, n'ont pas baissé. Elles n'étaient que de 775 millions de yards de calicots écrus en 1878-79 et montèrent à 1098 millions de yards en 1881-82 et à 1105 millions en 1885-86, et ces importations, nous le répétons, se paient en Europe au cours du jour des marchandises ici, c'est-à-dire en or.

Malgré toutes les difficultés indiquées dans la brochure de M. Cernuschi et qui, d'après lui, seraient absolues comme les droits prohibitifs, les Indes restent le grand débouché pour les cotonnades anglaises. En réunissant toutes les sortes, nous trouvons une exportation totale pour l'Hindoustan de 2,237 millions de yards (46 0/0 de l'exportation générale de cotonnades du Royaume-Uni) en 1886 contre 1,796 millions de yards (41 0/0 du total) en 1885, soit une augmentation pour 1886 de 25 0/0 environ, malgré une réduction de 3 pence ou 7 0/0 dans la valeur de la roupie. Les exportations totales de tissus de coton des Iles Britanniques ont monté de 3,252 millions en 1870 à 4,495 1/2 millions en 1880 et à 4,850 millions de yards en 1886, tandis que pour les tissus de laines les expéditions ont baissé de 310 millions de yards en 1875 à 273 millions de yards en 1886. Et cependant la laine exotique vient principalement des colonies anglaises (Australie et Cap) qui ont l'étalon d'or.

Malgré la protection apparente, la prime d'exportation dont profiterait, d'après M. Cernuschi, le coton brut indien, les importations en Angleterre ont été :

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En 1875, les expéditions des Indes étaient de 1,534,000 balles, malgré la baisse du change elle ne furent que de 1,227,000 balles en 1876, de 997,000 en 1877. Alors que les pays à étalon d'or, comme les Etats-Unis exportent de plus grandes quantités de coton qu'à l'époque de la frappe libre de l'argent en Europe, les nations qui possèdent de la monnaie dépréciée comme les Indes et le Brésil en expédient moins et néanmoins les bi-métallistes affirment que grâce à la baisse du change le coton brut indien repousse la concurrence des Etats-Unis, de l'Egypte, etc. Le thé, que M. Cernuschi cite également, montre encore mieux combien le raisonnement des partisans du double étalon monétaire est mauvais. En effet, le blé et le coton sont fournis principalement par les pays qui ont la monnaie d'or et qui, nous venons de le voir, ont gardé pour ces articles la prépondérance, nonobstant la baisse du change à Bombay et à Calcutta. Mais la vente du thé était un monopole de la Chine et du Japon, pour l'Europe de la Chine exclusivement. Le commerce se sert dans ces empires de l'Extrême-Orient de l'argent comme médium monétaire. Si donc la puissance d'achat de la roupie avait varié sous l'influence de la dépréciation du métal argent, il devrait en avoir été de même du taël chinois et si les progrès de l'lnde étaient la conséquence de la baisse du change, les produits chinois n'auraient pas dû craindre la concurrence des articles similaires de la Péninsule.

Dans l'enquête anglaise sur la valeur des métaux précieux, les négociants ont déclaré que les fluctuations du change chinois ont été plus défavorables aux exportateurs européens que celles du change indien. Néanmoins les exportations de thés de la Chine diminuent et celle des Indes ont plus que triplé depuis 15 ans. L'Angleterre recevait de la Chine, il y a 15 ans, 164 millions de livres de thés, actuellement 140 millions par an; ses importations de l'Inde étaient en 1872 de 17 millions, maintenant de 70 millions de livres.

Nous croyons avoir démontré la fausseté de l'affirmation sur laquelle repose le raisonnement de M. Cernuschi. Il n'admet pas l'influence dominante de la loi de 1873 dans la baisse des prix, mais il prétend que la frappe libre de l'argent aura une influence directe en hausse sur les produits asiatiques, que le blé montera de 25 0/0 sur tous nos marchés.

Dans tout son travail, M. Cernuschi confond le vrai et le faux, le juste et l'injuste, le possible et l'impossible. Comme tous les partisans du double étalon monétaire, il a peur du progrès. Il ne veut pas de l'étalon unique, parce que le système contraire a été généralement appliqué. Devons-nous donc maintenir tout ce que l'expérience a condamné ? Le passé avait à côté du double étalon monétaire, le seigneuriage avec le droit de brassage, les affaiblissements successifs des livres d'argent, puis le mercantilisme et la balance du commerce, les corporations. Aujour

d'hui tout cela est condamné. Il est vrai que le socialisme d'Etat condamne les lois libérales, le laisser faire, le laisser passer et veut rétablir les abus du passé, régler la liberté. Mais, nous économistes, devons nous admettre ces erreurs?

De même que nous combattons les droits de douane établis pour neutraliser l'abondance des produits, de même nous devons combattre la demande de protection contre la grande production de l'argent.

L'industrie européenne a pris un développement considérable depuis 1860. Pour faciliter de nouveaux progrès. il fallait étendre le cercle des consommateurs en réduisant les prix de revient, en supprimant les droits de consommation. Les gouvernements ont fait le contraire. Pour la question monétaire aussi la forte production de l'argent impose une réforme, l'application des principes économiques, l'adoption de l'étalon d'or.

Dans l'antiquité et au moyen âge, l'or et l'argent jouaient parmi les métaux le premier rôle, la production cependant en était petite, les moyens de transport coûteux, aussi étaient-ils suffisamment à l'abri des changements de valeur. Depuis 1850 il n'en est plus ainsi. Notre système commercial a été transformé. L'emploi du crédit, les virements de compte, la spéculation agissent sur la valeur des marchandises comme s'il y avait un emploi d'espèces métalliques; l'usage direct de la monnaie diminue, les facilités de communication permettent de faire circuler les métaux précieux, de les envoyer là où le besoin s'en fait sentir. D'autre part, la découverte des mines d'or de la Californie et de l'Australie et des mines d'argent du Nevada ont augmenté l'offre au moment où la demande devenait moins active.

En matière de monnaies, comme en toutes autres matières, il n'est pas possible d'arriver à la perfection, mais nos législateurs doivent y tendre. Etant admis qu'aucun produit n'est à l'abri d'une variation dans sa valeur et que la monnaie pour être parfaite ne devrait jamais changer de valeur, nous devons rechercher la marchandise intermédiaire qui peut servir le mieux de mesure dans les échanges.

Les anciens qui n'avaient à leur disposition que peu de métaux précieux pouvaient employer l'or et l'argent, malgré les inconvénients du double étalon. Actuellement l'argent est devenu très encombrant et ce défaut n'est nullement compensé par une moindre instabilité de la valeur. De plus, la production de l'or est largement suffisante pour les besoins du commerce et mieux que le métal blanc, il remplit les conditions nécessaires à la monnaie. Pourquoi donc ne pas l'accepter franchement et billonner l'argent? Nous ne serions plus exposés alors aux conséquences de deux instabilités successives.

L'Angleterre a marché avec le progrès. En 1816, elle a adopté pour

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