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distribution des armes les plus riches entre les généraux et officiers supérieurs de l'armée, et de réserver quelques bijoux ou meubles précieux pour les offrir à la famille royale.

Des bruits ou des rapports bien opposés circulaient en Europe sur la valeur de ce fameux trésor. Estimée par quelques-uns à plus de deux cents millions (1) en espèces métalliques ou pierres précieuses, tandis que des voyageurs, qui avaient été témoins d'émentes occasionées par les délais apportés au paiement de la solde des janissaires, le regardaient comme une chimère.

La vérité est que les Algériens eux-mêmes n'en savaient rien. Ils se faisaient un scrupule religieux de constater par des recensemens exacts la population du pays et la valeur précise da trésor de l'État; on y versait tous les produits des contributions et de la piraterie, et on en retirait les sommes nécessaires aux dépenses courantes ou imprévues, sans jamais chercher à régler la comptabilité générale et à en vérifier les résultats. On n'avait eu qu'une seule occasion d'apprécier ce trésor, à l'époque (1818) où il fut transporté, à dos de mulet, de l'ancien palais du dey dans la basse ville, dans les caveaux de la Casaubah; et cette appréciation, faite d'après la charge et le nombre des voyages des mulets (2); était d'environ 60 millions de francs. Mais le déficit des recettes depuis long-temps reconnu, la diminution des produits de la piraterie et l'énormité des dépenses occasionées par les dernières expéditions dont Alger avait été menacée, et surtout par celle-ci, avait dû réduire de beaucoup le trésor.

Ea résultat, les pièces dans lesquelles étaient amoncelés ces espèces ou lingots et autres objets précieux ayant été ouvertes par le hasnedgy, ministre des finances, aux membres de la commission chargée d'en dresser l'inventaire, il s'y est trouvé, en espèces d'or,

(1) M. Shaler le porte à 52 millions de piastres fortes, ou 271,000,000 fr. (2) On avait employé 76 voyages de mulets pour le transport de l'or, et 1040 pour le transport de l'argent. En estimant à 3 quintaux la charge de chaque mulet, ce qui donnait 228 quintaux d'or et 3120 quintaux d'argent, on pouvait évaluer le total à 56,500,000 fr. en monnaies et lingots d'or ou d'argent, et en y joignant les bijoux à 60 millions.

Ann. hist. pour 1830.

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d'argent, ou en bijoux, une valeur de 48,684,527 francs 94 cent premier aperçu constaté, qui montre l'exagération des calculs et fausseté des accusations odieuses dirigées contre l'armée d'Afrique fausseté prouvée par une enquête postérieure à l'autorité du g néral en chef. (Voy. chap. XV.)

En ajoutant à ce trésor la valeur des laines et des denrées tro vées dans les magasins de la régence, portée à 3,000,000 de fr et celle de sept cents bouches à feu en bronze, estimées comm métal brut à 4,000,000 de fr., il résultait un total de 55,684,527 fr pour premiers fruits de cette glorieuse conquête, somme supérieur d'environ 7,000,000 aux dépenses qu'elle avait occasionées (1) A quoi l'on pouvait ajouter le prix estimatif de huit cents autre pièces de canon en fonte (2), celui d'une immense quantité de pro jectiles, de poudre de guerre et de munitions, ainsi que la valeu des propriétés publiques qui, dans la capitale, comprenaient 1 moitié des maisons, moitié estimée à plus de 50,000,000 de francs La plus grande partie du trésor à peine inventorié fut expédi pour la France (3), presque aussitôt que la nouvelle de la con quête portée au gouvernement par l'un des fils qui restaient au che de l'expédition.

D'après les rapports officiels adressés à cette époque au gouver

(1) Le montant total des dépenses de tout genre au compte du ministère de la guerre pour cette expédition, arrêté le 20 octobre par l'intendant en chef, s'élevait à.

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Celui des dépenses d'occupation jusqu'au 1 janvier 1831 était estimé à.

20,000,000 fr

5,000,000

Les dépenses de la marine pour cette expédition avaient été, suivant un rapport officiel du 18 septembre, de.

23,500,000

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(2) D'après des rapports postérieurs, 1542 pièces à feu, dont 677 canons mortiers et obusiers en bronze, ont été prises dans Alger et dans les forts qui en dépendent.

(3) Il est arrivé à Toulon, dans le premier mois de la conquête 1830, savoir : 11 millions envoyés sur le Duquesne, 10 par le Nestor, 6 par le Scipion, 13 par le Marengo, et 3 par la Vénus. En total, 43 millions, dont 2 millions provenaient de la caisse de l'armée, et 41 du trésor d'Alger.

nement, il y avait eu depuis le jour du débarquement (14 juin) jusqu'à celui de la prise d'Alger, deux mille trois cents hommes mis hors de combat, dont quatre cents tués; d'autres récits portent ce dernier nombre à six cents, et augmentent de beaucoup celui des blessés ou malades, dont plus de huit cents furent envoyés à Mahon où l'Espagne avait permis d'établir un hôpital. Mais l'occupation d'Alger a peut-être ensuite coûté plus de monde que la conquête, à raison des maladies occasionées par les variations du climat, par les bivouacs, et surtout par la négligence et l'intempérance du soldat, malgré la surveillance qu'on pût y mettre.

Alger conquis, la présence de Husseyn-Pacha et de la milice turque ou des janissaires y devenait embarrassante pour les vainqueurs. La vie de l'ex-dey n'était même pas en sûreté au milieu des janissaires irrités, qui attribuaient leurs malheurs, les uns à son opiniâtre orgueil, les autres à sa faiblesse; et on avait jugé prudent de lui donner pour garde une compagnie de grenadiers. On le pressait donc de partir, en lui laissant le choix de sa retraite. Comme il n'était pas tenté de chercher un asile dans les États ottomans, des Anglais lui avaient suggéré l'idée de se retirer à Malte, sous la protection de la Grande-Bretagne. Il lui fut répondu que la France ne se chargerait pas de l'y transporter. Il proposa ensuite Livourne; puis il se décida enfin pour Naples qu'il avait visitée en venant de Constantinople à Alger. Le général en chef y consentit. L'amiral Duperré mit une frégate (la Jeanne Arc, capitaine Lettré) à sa disposition, et il fut embarqué le 10 juillet avec son trésor particulier (évalué de 3 à 4, 5 et même à 9 millions), son harem, qui se composait de trois femmes, avec Ibrahim-Aga, son gendre, sa famille, et une suite d'environ cent personnes des deux sexes. La frégate qui le portait mit à la voile le 11 juillet, relâcha le 13 à Mahon, où elle fit une quarantaine de dix jours, et débarqua le 3 août à Naples, où le dey a passé tout l'hiver.

Husseyn -Pacha, né à Andrinople vers 1764, fils d'un officier d'artillerie au service de la Porte, y avait reçu quelque éducation dans l'école spéciale fondée par le célèbre baron de Tott.

Son zèle et son intelligence l'avaient élevé rapidement au rang d'oda-baschi dans le corps des topschis ou canonniers; mais so caractère irascible et opiniâtre l'ayant exposé un jour à un châtiment sévère, il s'était enrôlé dans la milice d'Alger.

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Plus instruit que ses camarades, il sut bientôt se faire remarquer et obtenir de l'avancement. Attaché à son prédécesseur AliKhodgea, il avait contribué à l'élever à la dignité de dey (1817), et partagea son autorité comme premier ministre; et après son règne de quatre mois il devint son successeur d'une manière inouïe dans Alger, sans élection, sans résistance et sans effusion de sang. C'était lui qui avait conseillé à Ali-Khodgea de s'enfermer dans la Casaubah avec le trésor, et de s'y entourer d'une garde indigène (les zouaves), étrangers au corps des janissaires... Il conserva cette résidence et cette garde particulière comme son prédécesseur; mais plus habile que lui dans les ménagemens qu'il eut pour les janissaires, plus modéré dans l'emploi des moyens tyranniques dont les deys d'Alger faisaient usage pour satisfaire leur avidité dévorante, il avait régné sans trouble et sans réaction pendant douze ans, et peut-être fût-il mort sur le trône sans sa querelle avec la France. Il disait à quelques Français qui allèrent le voir avant son départ, «qu'il avait commis une grande faute en s'atti«rant la colère d'une puissance comme la France, mais que naturellement irascible et obstiné (il se reconnaissait lui-même ces « deux défauts), il avait cru pouvoir s'abandonner sans crainte à <«< ces passions dangereuses en voyant les basses intrigues, le ton a servilement abject des agens consulaires des puissances européennes, et particulièrement du consul français Deval. Je me reproche, ajouta-t-il, de ne lui avoir pas fait expier par le cordon «< sa fausseté, sa lâcheté et ses criminelles manœuvres qui ont causé « ma perte. Si je l'avais fait périr, je ne serais pas plus mal, puisque j'ai perdu le trône et que la vie m'importe fort peu :

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« j'aurais eu la satisfaction de m'être vengé (1). »

(1) Considérations sur la régence d'Alger, par M. le baron Jachereau de Saint-Denis,

Quoique résigné à son sort, Husseyn-Pacha, conservant toujours la fierté du rang qu'il venait de perdre, avait attendu vainement chez lui, dans la maison où il s'était retiré pendant deux jours, la visite du général en chef. Il dut ensuite céder à la nécessité et faire le premier pas. Il n'eut que deux entrevues avec M. de Bourmont; mais il s'y montra plein de reconnaissance pour la conduite attentive et généreuse des Français à son égard, et leur donna, dit-on, sur la conduite qu'ils avaient à tenir pour conserver leur conquête, des renseignemens et des conseils dont les événemens postérieurs ont prouvé la justesse et la sincérité (1).

Le départ de l'ex-dey fut suivi (12, 13 juillet) de celui d'une' grande partie des janissaires non mariés qui occupaient les casernes d'Alger, et qui furent embarqués au nombre d'environ quinze cents.

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(1) & Débarrassez-vous le plus tôt possible, disait-il, des janissaires tarcs. • Accoutumés à commander en maîtres, ils ne pourront jamais consentir à vivre - dans l'ordre et la soumission. Les Maures sont timides, vous les gouvernerez sans peine; mais n'accordez jamais une entière confiance à leurs discours. • Les Juifs qui sont établis dans cette régence sont encore plus lâches et plus ⚫ corrompus que ceux qui habitent Constantinople. Employez-les parce qu'ils « sont intelligens dans les matières fiscales et de commerce; mais ne les perdez « jamais de vne; tenez tonjours le glaive suspendu sur leurs têtes. Quant aux - Arabes nomades, ils ne sont pas à craindre. Les bons traitemens les rendent ▾ dociles et dévoués. Des persécutions vous les feraient perdre promptement; ils s'éloigneraient avec leurs troupeaux et porteraient leur industrie jusque dans les plus hautes montagnes, et même dans le Bilédulgerid, ou bien -ils passeraient dans les États de Tunis. Quant aux féroces Kabyles, ils ▪ n'ont jamais aimé les étrangers, ils se détestent entre eux. Évitez une guerre « générale contre cette population guerrière et nombreuse : vous n'en tireriez « aucun avantage; mais adoptez à leur égard le système le plus constamment suivi par les deys d'Alger; c'est-à-dire divisez-les, et profitez de leurs que▪relles,

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Quant aux gouverneurs de mes trois provinces, dont j'ai eu lieu d'être mé⚫ content dans cette dernière campagne, changes les.» (Ibid.)

Ici Husseyn-Pacha entrait dans quelques détails sur les trois beys, sur celui de Tittery qu'il signalait comme un fourbe et un traître, sur celui de Constantine qui était sans courage et sans caractère, sur celui d'Oran, honnête homme, mais mahométan rigide aimé dans sa province, et ennemi des chrétiens: portraits sévèrement tracés, mais dont on a été forcé de reconnaître la fidélité.

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