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triste prévoyance qui m'a obligé d'interrompre une carrière aussi conforme à mes goûts qu'à mes études. Je n'ai point abandonné sans regret le poste honorable que le Roi m'avait confié.

On a pris ces regrets pour du repentir; je le conçois : il y a des hommes qui auraient des remords d'abandonner la fortune. Quant à moi, messieurs, j'étais bien peu fait pour tant d'éclat, d'honneurs et de richesses. Je suis rentré dans mon obscurité comme ces émigrés, mes anciens compagnons d'armes et de souffrances, que je retrouvai sur la route de Gand. Il semblait que l'exil nous était naturel; nous avions la sérénité de la bonne conscience, la satisfaction du devoir accompli: nous suivions le Roi.

« Ne voulant, messieurs, ni repousser le beau travail de votre commission, ni me séparer de ceux de mes nobles amis qui donnent leur assentiment au projet d'adresse, par la raison que ce projet n'a rien ni d'approbatif, ni de landatif, désirant ainsi ne faire aucune opposition à la majorité de la Chambre; mais d'un autre côté, ne pouvant m'empêcher de trouver le projet d'adresse insuffisant dans les circonstances graves où nous sommes, ma résolution est de m'abstenir de tout vote, afin de garder à la fois les convenances des liaisons parlementaires, et de satisfaire à mes scrupules politiques.

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Après ce discours, que la situation et la conduite postérieure de l'illustre orateur rendent plus intéressant à conserver, M. l'amiral Verhuel présenta des considérations sur les dangers et les obstacles que l'expédition d'Alger pouvait offrir, considérations motivées par l'expérience et la connaissance qu'il avait des lieux, et qu'il terminait en suppliant les ministres de ne pas s'engager légèrement dans une guerre dont il était impossible de calculer les périls et les dépenses.

. Ils assistaient tous à cette séance; mais aucun d'eux ne prit la parole, même pour répondre à M. de Châteaubriand. Était-ce aveu de leur impuissance ou résultat d'un accord avec leur parti, ou crainte de soulever plus de mécontentement dans l'autre Chambre? Il y a quelque chose de tout cela.

Quoi qu'il en soit, le projet d'adresse fut adopté séance tenante, sauf quelques légères modifications dans les termes, à l'unanimité des voix, 226 moins une seule (sans doute celle de M. de Châteaubriand), et la présenta le lendemain (9 mars) au Roi, qui se montra très satisfait de ce que la Chambre avait « parfaitement compris « et senti tout l'ensemble de son discours. »

Ici, comme après toutes les batailles d'un succès douteux, les deux partis chantèrent victoire; l'un, tout en regrettant les formes nécessaires de l'adresse, triomphait d'y voir cette maxime,

que

la monarchie était le fondement de nos institutions; l'autre y remarquait avec plus de raison que la Chambre repoussait d'une manière explicite la possibilité des coups d'État, et faisait nettement comprendre aux ministres que des mesures extra-légales n'auraient jamais son assentiment.

C'était la première fois que la Chambre des pairs s'écartait, dans ses communications avec le trône, du langage réservé de l'étiquette la plus obséquieuse. Une protestation d'attachement à la Charte, en réponse à une phrase menaçante pour cette Charte et pour l'autre Chambre, était un acte de courage inattendu de la part de celle-ci. Le Roi, malgré sa réponse étudiée, y vit une leçon indirecte, et s'en montra ensuite fort mécontent. Au fond, c'était déjà un échec pour le ministère Polignac, mais dont l'effet et la sensation se perdirent bientôt dans l'intérêt des débats et de la lutte qui commençaient dans l'autre Chambre.

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CHAPITRE II.

Ouverture des travaux de la Chambre des députés. Vérification des pouÉlection des candidats à la présidence. Nomination de

voirs,

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des vices-président, — secrétaires et questeurs.
Amendement Lorgeril.

M. Royer-Collard,
Discussion de l'Adresse.
de l'Adresse. Réponse du Roi.

Vote et présentation

Prorogation des Chambres.

L'ANCIENNE salle des députés, menaçant ruine, était démolie. On n'en avait conservé que le magnifique péristyle; et en attendant qu'elle fût reconstruite sur le même emplacement, mais sur un plan plus vaste et plus digne de sa destination, il avait été préparé sur le jardin du palais Bourbon une salle provisoire, disposée en carré long, coupé sur les quatre angles, avec des tribunes aussi vastes que celles de l'ancienne pour le public et les journalistes; fait à remarquer, en ce qu'il démentait l'intention que l'on supposait alors au ministère de supprimer ou du moins de restreindre la publicité des séances.

3 mars. L'assemblée réunie provisoirement sous la présidence de M. Labbey de Pompières, doyen d'âge, assisté des quatre secrétaires, les moins âgés des députés présens (ce furent MM. Berryer, de la Riboissière, Legendre et de Cormenin), procéda d'abord au tirage au sort des membres qui devaient composer les neuf bureaux et à la vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus (MM. Hernoux, Laugier de Chartrouse, Legendre, Bosc, Planelli de la Valette, Berryer, de Pignerolles et Guizot). Quelques difficultés. s'élevèrent sur les deux dernières élections, sur celle de M. de Pignerolles, relativement à la question du cens et à la possession annale, et sur celle de M. Guizot, parce que le procès-verbal ne mentionnait pas que les électeurs eussent prêté le serment requis. Mais ces observations n'eurent pas de suite. On invoqua la bonne foi des électeurs et des élus, des précédens qui avaient fait passer sur des irrégularités légères, et tous ces députés furent admis sans une sérieuse

opposition. Les partis étaient impatiens de se mettre à l'œuvre ou plutôt à l'épreuve.

Le premier essai de leurs forces dans l'organisation des neuf bureaux sut tout en faveur de l'opposition, qui en nomma tous les présidens et secrétaires, à l'exception d'un seul. Mais la plus importante épreuve fut remise au lendemain.

4 mars. A la première vue de l'assemblée il se trouvait aux côté et centre droit 150 à 160 membres, aux côté et centre gauche 175 à 180. Mais ici, comme on a eu occasion de l'observer l'année dernière, plusieurs des membres du centre droit de la réunion Agier, qui avaient déterminé la chute du ministère Villèle en 1827, ne pouvaient être regardés comme des amis du ministère Polignac, quoiqu'il eût ou affectât l'espoir de les ramener à lui... espoir que dissipa le scrutin pour les candidats à la présidence.

Le nombre des votans était de 361. Dès le premier tour les suffrages se sont ainsi partagés comme il suit :

MM. Royer-Collard, 225; Casimir Périer, 190; le général Sébastiani, 177; de Berbis, 131; Delalot, 129; Agier, 118; de Chantelauze, 116; de Lastours, 116; Humann, 112; Séguy, 100; Gauthier (de la Gironde), 47.

De ces candidats, deux seulement, MM. Royer-Collard et Casimir Périer, avaient réuni plus que la majorité des suffrages (181 voix). Au second tour du scrutin il se trouvait 372 votans. Le nom de M. Delalot sortit seul de l'urne avec deux voix de plus que la majorité. C'était un de ces membres du centre droit passés dans les rangs des constitutionnels ou libéraux. Le général Sébastiani obtint ensuite 184 voix, M. Agier 175, M. de Berbis 121, MM. de Chantelanze et de Lastours chacun 116, comme au premier scrutin, preuve indicative de la force réelle du côté droit ou ministériel.

5 mars. Enfin, au troisième tour de scrutin remis à une autre séance, où prirent part 367 votans, et où la majorité absolue n'était plus nécessaire, M. Agier réunit 206 voix, le général Sébastiani 200, M. de Berbis 170, et M. de Lastours 144; et les deux premiers furent proclamés quatrième et cinquième candidats. "

6 mars. Il n'y eut guère moins de chaleur pour l'élection des vice

présidens, où M. Dupin aîné obtint seul, au premier scrutin, la majorité absolue des voix (175).

Il faut remarquer que MM. Dupont (de l'Eure) et Girod (de l'Ain), de l'extrême gauche, qui en avaient le plus approché au premier scrutin, furent primés au scrutin de ballotage par MM. Bourdeau de Cambon et de Martignac, qui siégeaient, le premier au centre gauche, les deux autres au centre droit.

8 mars. Les secrétaires définitifs, ensuite nommés dans la séance du 8 mars, furent MM. Jacqueminot, de Preissac, Dumarrallach, et à un deuxième tour de scrutin, M. Eugène d'Harcourt, tous de l'opposition.

Le scrutin n'était pas encore fermé, lorsque arriva l'ordonnance royale qui nommait, entre les candidats présentés pour la présidence, M. Royer-Collard, dont le nom était sorti de l'urne au premier tour de scrutin. Mais, au milieu des félicitations qu'on s'adressait des deux centres et du côté gauche, on fut fort étonné d'apprendre de la bouche du doyen d'âge que M. Royer-Collard désirait ne pas être installé dans cette séance, et même qu'il avait quitté la salle.

Le secret ou la cause réelle de cette retraite était que le doyen d'âge avait mis dans le discours qu'il devait prononcer en quittant ses fonctions quelques phrases fort énergiques, et une entre autres où il disait, en parodiant le dicours de la couronne, que « la Chambre « des députés saurait transmettre ses droits intacts à ses successeurs,» phrase à laquelle le président élu jugeait peu convenable ou difficile de répondre.

La séance levée, les amis du vénérable doyen (MM. Lafayette, Dupont (de l'Eure) et Benjamin Constant) fe décidèrent avec grand peine, dit-on, à retrancher de son discours un autre passage qui ne tendait rien moins qu'à faire renouveler le serment du jeu de paume, et d'où le parti ministériel pouvait tirer avantage pour compromettre le succès bien autrement important de la discussion de l'adresse.

9 mars. Au fait, M. Labbey de Pompières se contenta d'exprimer la satisfaction qu'il éprouvait de voir monter au fauteuil, pour la

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