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le titre de commissaire provisoire. Le service de la police et des postes n'était pas moins urgent. La préfecture du département fut remise provisoirement à M. Alexandre de Laborde, celle de la police à M. Bavoux, la direction des postes à M. Chardel, et celle des lignes télégraphiques à M. Marschal; de sorte que tous les courriers purent partir dans la nuit, ainsi que les diligences qui portaient avec le drapeau tricolore arboré sur leur impériale, la nouvelle de la révolution, et la révolution elle-même, dans les provinces livrées, depuis trois jours, aux angoisses de l'incertitude, mais qui s'éprirent presque toutes de l'élan et de l'enthousiasme qui venait de soulever la population parisienne.

La commission municipale était tout occupée de ses grands intérêts, lorsque arrivèrent à l'Hôtel-de-Ville trois commissaires envoyés de Saint-Cloud. Nous avons déjà dit le résultat de la délibération du dernier Conseil qui s'y était tenu après l'entrevue de M. de Semonville avec le Roi; elle n'avait pas été longue : tous les ministres avaient un égal empressement à déposer leur pouvoir. Il avait été rédigé une ordonnance contre-signée par le garde des sceaux, M. de Chantelauze, qui nommait M. le duc de Mortemart ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, et président du conseil des ministres. Deux autres ordonnances, contre-signées par le duc de Mortemart en sa nouvelle qualité, donnaient le département des finances à M. Casimir Périer, et celui de la guerre au lieutenant général comte Gérard. Une quatrième enfin rapportait les ordonnances du 25 juillet, et rétablissait l'ouverture de la session législative au 3 août...

Quelques jours, quelques heures plus tôt peut-être, cette concession aurait satisfait l'opinion publique et prévenu la catastrophe qui menaçait la dynastie; mais, soit illusion, soit espérance de ré. parer la défaite, et comme si l'on eût voulu s'assurer de l'esprit des troupes ou de la réalité des événemens, les réparations qu'on accordait à la nécessité ne furent complétement décidées ou publiées qu'après le retour du dauphin à Saint-Cloud. Quoiqu'on pût espérer encore de l'opinion de quelques provinces et de l'appui de l'armée, force était de céder à la nécessité du moment, et MM. de

Semonville et d'Argout, qui étaient restés à Saint-Cloud pour attendre la décision royale, auxquels M. de Vitrolles fut adjoint, reçurent la mission d'annoncer à la commission municipale le rapport des ordonnances et le changement du ministère.

Arrivés à l'Hôtel-de-Ville vers dix heures du soir, ainsi que nous l'avons dit, ils furent introduits comme des missionnaires de paix; ils annoncèrent, au nom de Charles X, le rapport des ordonnances et la nomination d'un nouveau ministère, où les membres de la commission municipale avaient plusieurs amis; ils venaient, direntils encore, parler à la commission dans l'intérêt du Roi Charles X et de son auguste famille... Ils furent interrompus par un des membres: « Il est trop tard! s'écria M. Mauguin; réponse qui parut affecter désagréablement M. Casimir Périer, mais qui fut appuyée par M. de Schonen, et répétée avec plus de force par M. Audry de Puyraveau ; mot terrible qu'on à aussi attribué à M. Lafayette, mot qui précipitait du trône une dynastie, et qui retentira dans l'histoire; il interdisait toute réplique : il termina la conférence.

Le général siégeant dans une salle voisine, au milieu de son état-major, entouré des héros du jour, des jeunes élèves de l'École Polytechnique, des députés des barricades, des hommes les plus ardens du parti libéral, recevait en même temps des propositions bien opposées. Déjà s'élevaient des voix qui demandaient la république, d'autres le fils de Napoléon avec une constitution basée sur les principes de la déclaration des représentans des cent jours; la plupart le suppliaient de ne pas permettre qu'on donnât un chef à la nation sans l'avoir consultée dans des assemblées primaires...

La nuit se passa à l'Hôtel-de-Ville à prendre les mesures les plus urgentes pour l'organisation de la garde nationale et des douze mairies; il fut arrêté que les scrutateurs définitifs des colléges, aux dernières élections, rempliraient les fonctions municipales, et qu'on prendrait pour maires et adjoints ceux qui auraient eu le plus de voix dans chaque arrondissement.

30 juillet. Le lendemain (vendredi), la capitale offrait un spectacle triste et touchant, autant que celui des jours précédens avait été grand et terrible: une foule de vieillards, de femmes et d'enfans

allaient reconnaître dans les hôpitaux, sur les places publiques, à la Morgue et dans divers endroits où on les avait déposés, les blessés ou les morts; on ouvrait dans toutes les mairies et dans les bureaux des journaux des souscriptions pour venir au secours des veuves, des orphelins ou des blessés, et la charité nationale a surpassé dans cette circonstance tout ce qu'on avait espéré, tout ce qu'on avait vu jusqu'alors: on creusait dans diverses rucs ou dans quelques places publiques, au marché des Innocens et sur la place du Louvre, des fosses profondes, où furent descendus les restes des braves morts pour la défense des lois; on vit même au Louvre un vicaire de Saint-Germain-l'Auxerrois, M. l'abbé Paravey, venir en habits sacerdotaux bénir la terre sépulcrale, et joindre les prières de la religion aux honneurs civiques, sans se laisser effrayer des cris de proscription qui se renouvelèrent, dans d'autres quartiers, contre les prètres. La cérémonie était sans faste, mais touchante par le recueillement de la foule, qui contemplait, dans un silence religieux, le triste résultat des discordes civiles. On éleva sur ces tombeaux une croix de bois, surmontée du drapeau tricolore, avec l'inscription: Aux Français morts pour la liberté! monument simple, mais qu'on ne passait point sans éprouver une émotion profonde, et que la piété des parens et des citoyens alla couvrir, pendaut plusieurs mois, de fleurs et de couronnes funèbres.

Les hostilités avaient cessé; mais on n'était pas sans inquiétude encore sur le succès de la révolution. La garde royale, les gardesdu-corps, les élèves de l'école de Saint-Cyr, quelques bataillons de ligne et des débris de la gendarmerie étaient réunis à SaintCloud, gardaient les têtes de pout, la route et les hauteurs. Les troupes du camp de Saint-Omer étaient en marche; vingt-cinq à trente mille hommes allaient être réunis. Aussi élevait-on des barricades sur toutes les avenues de la capitale par où l'on pouvait craindre une attaque, et continuait-on dans l'intérieur toutes les précautions de défense employées dans les trois journées.

Malgré le mauvais succès de la démarche faite la veille au soir auprès de la commission municipale, M. le duc de Mortemart s'était rendu dès le matin à Paris, pour faire une nouvelle tentative

en faveur de Charles X, et comme pour prendre possession de la triste charge qu'il n'avait acceptée qu'après de vives instances de ce malheureux Roi. Il était allé s'établir au Luxembourg où se réunirent bientôt environ vingt pairs entre lesquels on distinguait MM. de Broglie et de Choiseul qui s'étaient déjà prononcés pour la révolution, et M. de Châteaubriand qui appuyait vivement l'idée d'une conciliation. M. de Şussy se chargea de porter les ordonnances nouvelles en minute autographe à l'Hôtel-de-Ville; mais elles n'y furent pas mieux reçues que les propositions de la veille. Repoussé de ce côté, on tenta encore d'y ramener la réunion des députés et d'autres citoyens distingués qui se tenait chez M. Laffitte.

Les plus modérés ou les plus timides inclinaient à penser que la commission municipale avait été trop prompte à rejeter les offres ou communications envoyées de Saint-Cloud. Ils étaient d'avis qu'on revint à Charles X, en exigeant des garanties contre une violation nouvelle de la Charte; d'autres, qu'on lui demandat une abdication en faveur du dauphin ou du duc de Bordeaux, en donnant un conseil de régence à celui-ci. La république avait des partisans, surtout dans les écoles et dans les classes inférieures du peuple. Mais les souvenirs de 93, du Comité de salut public et du Directoire, effrayaient presque tout le monde. Un membre (on assure que ce fut M. Laffit!e) mit en avant l'idée d'appeler au trône le duc d'Orléans, comme le scul moyen d'éviter une troisième restauration odieuse au peuple, ou la république et l'anarchie, qu'une pareille résolution devait amener. On observera que nous ne rapportons ces détails d'une discussion si délicate, que d'après des révélations de parti faites dans l'intention d'incriminer ou de recommander les personnes dont on a cité les opinions. Il nous suffit d'ajouter que la mission de M. de Mortemart fut bientôt perdue de vue dans la précipitation des événemens.

Enfin, après quelques hésitations, il fut convenu qu'on proposerait la lieutenance générale du royaume au duc d'Orléans, qu'on lui demanderait de rendre à la France la cocarde et le drapeau' tricolores, et que les députés se réuniraient à une heure dans la salle ordinaire des séances pour y prendre une résolution à cet

égard, et lui donner un caractère sinon légal, du moins plus authentique.

A l'instant même, deux membres de la réunion (MM. Dupin aîné (1) et Persil), se rendirent à pied à Neuilly, résidence ordinaire du prince et de sa famille pendant l'été. Ils le trouvèrent fort inquiet des événemens. Dans le voisinage, ou à si peu de distance de Saint-Cloud, il n'avait eu aucune communication avec la Cour, et l'histoire doit dire qu'il ne cèda qu'avec une répugnance marquée aux offres qu'on lui portait.

De retour à Paris, les commissaires se rendirent à la Chambre des députés, où M. Dupin aîné fit, en comité secret, le rapport de sa mission et des dispositions du prince. L'honorable membre termina par la proposition formelle que, dans la soirée même et sans désemparer, la question de gouvernement fût décidée, et la lieutenance générale du royaume déférée au duc d'Orléans. La délibération fut courte; le résultat en était convenu d'avance, il ne s'agissait que de lui donner une forme légale, de rédiger un message, et de nommer une députation pour la porter à S. A. R. Le message fut rédigé, la députation désignée, et le général Sébastiani, qui s'était trouvé à toutes les réunions, en fut le président. Quelques instans après, des placards imprimés au bureau du National, et affichés dans tout Paris, proclamaient la nécessité d'appeler le duc d'Orléans à la direction des affaires, pour éviter la guerre civile et assurer les libertés publiques.

Pendant que les députés prenaient cette importante résolution, la commission municipale arrêtait et faisait publier une proclamation aux habitans de Paris, proclamation dont l'objet était de leur annoncer son installation; elle les félicitait de leur énergie dans le combat, de leur modération généreuse dans le triomphe; elle leur promettait un gouvernement où seraient assurés les droits de toutes les classes. Les mots par lesquels elle commençait : Charles X a cessé de régner sur la France, annonçaient toute la portée de la révolution. Cette proclamation était signée de MM. de Lobau, Audry

(1) M. Dupin était depuis douze ans avocat et membre du Conseil de la maison d'Orléans,

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