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bres (MM. de Martignac, Mestadier), comme contraire à la Charte (la Charte, criait une voix de l'extrême gauche, la Charte est défunte!), mais modifiée ou amendée par M. Gaëtan de La Rochefoucault, qui, pour abréger les opérations de la Chambre, renouvelait une proposition faite autrefois par M. Pelet de la Lozère, laquelle consistait à déclarer d'avance vice-présidens les quatre candidats qui n'auraient pas été choisis par S. A. R. Cette proposition, combattue par MM. Viennet et Villemain, comme étant une violation aux lois, exemple que les députés ne devaient pas donner au peuple, n'en fut pas moins adoptée à la presque unanimité.

Le scrutin ouvert pour l'élection des candidats, il ne se trouvait que 218 votans, dont les voix furent réparties ainsi qu'il suit : M. Casimir Périer 174; M. Jacques Laffitte 160; M. Benjamin Delessert 123; M. Dupin aîné 120; M. Royer-Collard 100; M. Benjamin Constant 85. Les quatre premiers ayant réuni la majorité absolue des suffrages, furent proclamés candidats à la présidence; et dans le ballotage auquel furent ensuite soumis MM. Royer-Collard et Benjamin Constant, le premier obtint une supériorité de vingt voix (116 contre 96) sur son concurrent, incident à remarquer pour apprécier l'opinion modérée qui devait dominer dans la Chambre.

A la réception de cette liste, le lieutenant général dit à M. Labbey de Pompières, qui la lui présentait, « quil aurait désiré que la • Chambre eût pu faire la nomination directement; mais on doit « se soumettre à la loi, ajouta-t-il, j'en donnerai toujours l'exemple. J'espère que ce sera la dernière fois que cette liste me sera pré« sentée. » Réponse accueillie par des marques de satisfaction dans tous les rangs de l'assemblée.

Il était dix heures du soir, il ne restait plus que 202 votans quand on procéda au scrutin pour la nomination des secrétaires. Il s'éleva des difficultés sur la majorité nécessaire : un membre fit observer que le nombre ou l'effectif actuel de la Chambre ne s'élevait qu'à 362 députés admis, et qu'ainsi la majorité rigoureusement exigible pouvait se réduire à 181. Et au moyen de cette interprétation, le scrutin fut déclaré valable. M. Jacqueminot y avait

obtenu 166 voix; M. Pavée de Vandoeuvre 153; M. Cuniu-Gridaine 149; M. Jars 131. Ils furent proclamés secrétaires.

6 août. Le lendemain, à l'ouverture de la séance, après quel ques rapports ajournés sur des élections, dont une, celle de M. de Vaulchier, nommé à Dôle, dans le collège qu'il présidait, fut annulée, « attendu que jamais, disait le rapporteur, le secret des votes ne fut plus audacieusement violé, » arriva un message du lieutenant général du royaume pour informer la Chambre qu'il avait nommé M. Casimir Périer président de la Chambre. Mais M. Casimir Périer, alors indisposé, n'était pas présent à la séance. On recut un moment après une lettre qu'il adressait à M. Laffitte, pour le prier de vouloir bien le remplacer au fauteuil jusqu'à ce qu'il pût exercer en personne les honorables fonctions que ses collègues venaient de lui coufier.

Je n'aurais pas hésité à m'en démettre immédiatement, disait-il, si, dans les circonstances mémorables où nous sommes placés, il n'était pas du plus bant intérêt de ne pas suspendre, par de nouveaux scrutins, les travaux de la Chambre. Elle est justement impatiente, comme la France entiere, de léguer à notre glorieuse patrie un avenir de bonheur et une liberté forte et durable, en satisfaisant aux véritables vœux et aux besoius publics, et en consolidant un pouvoir national dans les mains du prince-citoyen que les acclamations et les nécessités publiques ont appelé à venir assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation. »

Après cette lettre, remarquable par le rôle que l'auteur venait de faire dans la révolution, par la haute position qu'il prit plus tard dans le gouvernement de l'État, et en ce qu'elle renfermait l'initiative des graves résolutions déjà convenues dans des réunions particulières, M. Laffitte prit le fauteuil...

Jamais séance n'avait offert un tel intérêt, de telles questions, pour la solution desquelles l'impatience populaire, qui grondait au-dehors, ne laissait qu'un moment.

On avait commencé la séance par déposer sur le bureau une proposition tendant à mettre en accusation les ex-ministres auteurs des ordonnances du 25 juillet : l'auteur (M. Eusèbe de Salverte ) voulait en donner les développemens; mais il s'aperçut que, malgré l'importance de cette affaire, la Chambre en avait une plus urgente, et il remit sa proposition à huit jours.

M. de Corcelles fit ensuite la motion que tous les membres arrivés à Paris depuis le 31 juillet fussent invités à signer la proclamation portée ce jour-là au lieutenant général, et lue à l'Hôtel-deVille. La proposition n'eut pas de suite: on était impatient d'en venir à celle qui contenait les destinées de la France.

C'est M. Bérard qui a eu le redoutable honneur d'y attacher

son nom.

Toutes ses expressions méritent d'être recueillies, car on peut croire qu'elles n'étaient pas l'ouvrage ou la pensée d'un seul homme.

"

Messieurs, dit l'honorable député, un pacte solennel unissait le peuple français à son monarque. Ce pacte vient d'ètre brisé; le violateur du contrat ne peut à aucun titre en reclamer l'exécution.

Charles X et sou fils prétendent en vain transmettre un pouvoir qu'ils ne possèdent plus; ce pouvoir s'est éteint dans le sang de plusieurs milliers de victimes.

« L'acte d'abdication dont vous avez eu connaissance est une nouvelle perfidie: l'apparence de légalité dont il est revêtu n'est qu'une déception; c'est an brandou de discorde qu'on voudrait lancer au milieu de nous.

«Les véritables ennemis de notre pays, ceux qui, par la flatterie, ont poussé le dernier gouvernement à sa ruine, s'agitent de toutes parts; ils revêtent toutes les couleurs, ils, proclament toutes les opinions. Un désir anticipé de la liberté indéfinie s'empare-t-il de quelques individu généreux, ces ennemis s'empressent d'exploiter un sentiment qu'ils sont incapables de comprendre, et des royalistes-ultrà se présentent sous l'habit de républicains régicides. Quelques autres affectent, pour le fils oublié du vainqueur de l'Europe, un hypocrite attachement qui se changerait en haine s'il pouvait être question d'en faire un chef de la France.

"

L'inévitable instabilité des moyens actuels de gouverner encourage les fauteurs de discordes : bâtons-nous de la faire cesser.

« Une loi suprême, celle de la nécessité, a mis au peuple de Paris les armes à la main, afin de repousser l'oppression; cette loi nous a fait adopter pour chef provisoire, et comme unique moyen de salut, un prince ami sincère des institutions constitutionnelles la même loi veut que nous adoptions sans délai un chef définitif de notre gouvernement.

Mais quelle que soit la confiance que ce chef nous inspire, les droits que nous sommes appelés à défendre exigent que nons établissions les conditions auxquelles il obtiendra le pouvoir. Odieusement trompés à diverses reprises, il nous est permis de stipnler des garanties sévères. Nos institutions sout incompatibles, vicieuses même sous beaucoup de rapports. Il nous importe de les étendre et de les améliorer.

Le prince qui se trouve à notre tête a déjà été au-devant de notre juste exigence. Les principes de plusieurs lois fondamentales ont été proposés par la Chambre et recounus par lui; d'autres principes, d'autres lois ne sont pas moins indispensables, et seront également obtenus.

« Nous sommes les élus du peuple, messieurs; il nous a confié la défense de

ses intérêts et l'expression de ses besoins. Ses premiers besoins, ses plus chers intérêts sont la liberté et le repos. Il a conquis sa liberté sur la tyraunie; c'est à nons à assurer son repos, et nous ne le pouvons qu'en lui donnant un gouveruement stable et juste.

• Vainement on voudrait prétendre qu'en agissant ainsi nous outre-passons nos droits : je détruirais une pareille objection, si on avait à la faire, en rappelant la loi que j'ai déjà invoquée, celle de l'impérieuse, de l'invincible uécessité.

■ Dans cet état de choses, prenant en considération la situation grave et pressante dans laquelle se trouve le pays, l'indispensable besoin qu'il éprouve de sortir d'une position précaire, et les vœux universels émis par la France pour obtenir le complément de ses institutious, j'ai l'honneur de vous proposer les résolutions suivantes :

• La Chambre des députés, prenant en considération, dans l'intérêt pu⚫blic, l'impérieuse nécessité qui résulte des événemens des 26, 27, 28 et 29 jaillet dernier et jours suivans, et de la situation générale de la France, • déclare, 1o que le trône est vacant, et qu'il est indispensablement besoin d'y ⚫ pourvoir.

La Chambre des députés déclare, 2o que, selon le vœa, et dans l'intérêt « do people frauçais, le préambule et les articles suivans de la Charte con⚫stitutionnelle doivent être supprimés ou modifiés de la manière qui va être - indiquée. »

Ici M. Bérard exposait les changemens, modifications et suppressions qu'il jugeait convenable de faire à la Charte, dont voici les principales:

Suppression de l'article 6, qui déclare la religion catholique religion de l'État;

Des derniers mots de l'article 14, et la sûreté de l'État, où les derniers ministres avaient prétendu voir le droit ou la justification des ordonnances du 25 juillet. On proposait de les remplacer par ceux-ci : le tout sous la responsabilité de ses ministres ;

Attribution de l'initiative des lois (art. 16) à chacune des deux Chambres, comme au Roi;

Admission des pairs avec voix délibérative à 25 ans ( au lieu de 30 exigés par l'art. 28);

Abrogation de l'art. 31, qui ne permettait aux princes du sang de prendre séance à la Chambre des pairs que de l'ordre du Roi ; Publicité des séances de la Chambre des pairs, sauf la formation en comité secret sur la demande de cinq membres, disposition ap plicable à la Chambre des députés;

Suppression de l'art. 36, sur le nombre des députés;

Élection des députés pour cinq ans (art. 37);

Admission des députés à 25 ans (art. 38), au lieu de 40;

Age des électeurs réduit à 25 ans (art. 40).

Deux autres modifications avaient pour objet, quant au cens d'électeur et d'éligible, de laisser à la loi le soin de déterminer des conditions qui, de leur nature, sont nécessairement variables. Elles excitèrent quelques murmures.

Nomination des présidens des colléges électoraux par les électeurs (art. 41);

Et du président de la Chambre des députés par la Chambre, pour toute la durée de la législature (art. 43).

Modification de l'art. 63, en ce qu'il donne à la couronne le pouvoir de créer des tribunaux ou commissions extraordinaires sous la dénomination de cours prevôtales.

A ces modifications, dont on ne rapporte ici que les plus importantes, l'honorable M. Bérard proposait d'ajouter une déclaration qui rappelle en partie les promesses de la proclamation du 31 juillet ou le Programme de l'Hôtel-de-Ville :

« De pourvoir successivement par des lois séparées et dans le plus court délai possible,

• 1o A l'extension du jury aux délits correctionnels, et notamment à ceux de la presse.

« 2o A la responsabilité des ministres et des agens secondaires du pouvoir.

30 A la réélection des députés promus à des fonctions publiques.

. 4° Au vote annuel du contingent de l'armée.

• 5o A l'organisation de la garde nationale, avec intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers.

6o A un Code militaire assurant d'une manière légale l'état des officiers dé tous grades.

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7° A l'administration départementale et municipale, avec intervention des citoyens dans leur formation.

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8° A l'instruction publique et à la liberté de l'enseignement.

9° A l'abolition du double vote et à la fixation des conditions électorales et d'éligibilité.

Et en outre que toutes les nominations et créations nouvelles de pair faites sous le règue du roi Charles X sont déclarées nulles et non avenues,

La proposition se terminait ainsi :

Moyennant l'acceptation de ces conditions et propositions, la Chambre

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