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sa mission ou de ses desseins, devant l'audace des attaques des feuilles libérales, devant les associations qui se formaient dans les départemens pour le refus de l'impôt, à la première violation du pacte constitutionnel, et devant les murmures de cette redoutable opinion publique fortifiée par plusieurs arrêts de ces mêmes tribunaux où la puissance royale croyait trouver appui.

Dans l'incertitude où l'on était encore sur les projets du ministère, les félicitations du jour de l'an, où l'on ne voit ordinairement que les efforts de la servilité pour varier les formules des complimens d'étiquette, offraient cette fois quelque intérêt.

L'aspect général de la cour fut moins brillant et plus sévère que de coutume; on fut surtout frappé de la sécheresse de la réponse que le roi fit au président de la Cour royale de Paris (M. Séguier), à celui dont l'histoire a consacré ces belles paroles : « La Cour rend « des arrêts et non pas des services. » Ce digne magistrat, parlant au nom de ses collègues, venait de dire au Roi «que le plaisir de por<< ter tous les ans leurs vœux auprès du trône de S. M. payait en un << jour les travaux assidus, les devoirs pénibles des serviteurs fidè<«<les de sa justice. » Charles X lui répondit en invitant les magistrats de la Cour royale « à ne jamais oublier les importans de<< voirs qu'ils avaient à remplir, et à se rendre dignes des marques << de confiance qu'ils avaient reçues de leur roi »; réponse d'une dureté choquante dans la bouche d'un monarque qui se piquait de politesse, mais qui témoignait un profond ressentiment de l'arrêt rendu six jours auparavant (1).

Les mêmes magistrats passant ensuite chez madame la dauphine y reçurent encore un accueil plus sévère exprimé par un mot moins poli (passez), et ils ne trouvèrent à la Cour que des visages composés sur celui du maître.

D'autres complimens, surtout celui du conseil d'État, offraient une affectation de respect pour les libertés publiques en les mettant sous la sauvegarde du trône. Le Roi y répondit, comme à presque

(1) Cause de l'éditeur du Journal des Débats pour l'art. du 9 l'Ann. p. 1829, p. 264, etc,

août. Voy.

tous, par des protestations bannales de son amour et du désir de faire le bonheur de ses peuples, mais sans laisser percer aucun indice des projets de son gouvernement.

Enfin parut (le 6 janvier) l'ordonnance tant attendue qui convoquait les deux Chambres pour le 2 mars. C'était, disaient les amis du ministère, une preuve irrécusable de sa modération, de sa constitutionnalité, et une réponse authentique à ceux qui avaient pu croire de bonne foi aux projets de coups d'État. Suivant les feuilles libérales, c'était l'arrêt de mort du ministère. Au fait, l'ordonnance satisfaisait aux vœux de tous les partis, et ils se préparérent à la lutte parlementaire, comme à une bataille décisive pour eux.

Cependant au milieu de cette irritation des partis, des dissentimens qui existaient jusque dans le ministère, et des symptômes d'une grande commotion politique, alors que les capitaux commençaient à se resserrer, et plusieurs branches du revenu public à décroître, l'emprunt autorisé par la loi du 19 juin 1828 se fit à un taux inespéré, supérieur à ce qu'on avait vu chez aucune nation. Cet emprunt affecté aux dépenses extraordinaires de l'expédition de Grèce devait être de la quantité de rentes nécessaires pour produire un capital de 80 millions à 4 pour cent. Il fut adjugé, d'après soumissions cachetées, à la maison Rotschild, à 102 fr. 7 cent. et demi.

Quelques ordonnances ou actes d'administration publique rendus à cette époque ne donnent qu'une idée vague du système que le ministère entendait suivre.

La création des comités spéciaux et consultatifs de l'infanterie et de la cavalerie établie près du ministère de la guerre, et composée de généraux les plus expérimentés dans ces armes, témoignait l'intention d'y introduire tous les perfectionnemens désirables, en les rattachant plus fortement à l'autorité royale. (Ordonnance du 3 janvier.) Celle du 14 février sur l'instruction primaire semblait avoir pour objet de donner à toutes les communes du royaume des écoles et des moyens d'instruction proportionnés aux besoins de la population; mais aussi de mettre les écoles et les in

stituteurs sous une dépendance plus étroite du gouvernement, et surtout du clergé catholique.

La pensée du gouvernement se révélait plus ouvertement dans le choix de ses agens ou de ceux qu'il appelait aux fonctions importantes, et aux hautes dignités de l'État.

Ainsi la promotion de sept pairs de France, créés par ordonnance du 27 janvier (c'étaient le duc de Céreste-Brancas, le marquis de Tourzel, le marquis de Puivert, le comte de La Bourdonnaye, député de Maine-et-Loire, ex - ministre de l'intérieur, le baron de Vitrolles, le comte Beugnot, pair in petto dès le règne de Louis XVIII, et le lieutenant général comte Vallée), excita de vives réclamations; et l'on en concluait que la fournée de M. de Vildèle ne rassurait pas encore M. de Polignac.

Quant à l'autre Chambre, la plupart des élections faites depuis le 8 août dans les colléges d'arrondissement avaient été favorables aux libéraux. Mais M. de Polignac eut la satisfaction de faire passer, dans les colléges de département, deux de ses candidats, M. Berryer fils dans la Haute-Loire, et M. Dudon dans la LoireInférieure, élections faites à de faibles majorités. On peut juger du prix que M. le président du Conseil y attachait, par la disgrâce qu'encourut M. Donatien de Sesmaisons pour s'être prononcé contre la candidature de M. Dudon. Il fut rayé des contrôles de la garde royale, où il était colonel, chef d'état-major de la 1o division, disgrâce d'autant plus remarquable que sa famille jouissait d'un grand crédit à la cour, et qu'il venait d'arriver lui-même à la pairie par le décès de son beau-père (le chancelier d'Ambray ).

Quoi que le ministère fît pour dissimuler la difficulté de sa situation par des mesures d'intérêt général et par les préparatifs de l'expédition d'Alger, ses embarras et ses dissentimens secrets croissaient à mesure qu'approchait l'époque de l'ouverture des Chambres, au point que, peu de jours auparavant (28 février), il fut question d'un changement total du cabinet, dont M. le comte Roy, compris dans la nouvelle promotion de chevaliers des ordres (21 janvier) était l'agent. On assurait que, dans cette combinaison nouvelle, le duc de Mortemart devait avoir les affaires étrangères; l'amiral de

Rigny, la marine; M. de Belleyme, l'instruction publique ; le comte Roy, les finances; M. de Martignac, l'intérieur, et M. de Vatimesnil, les sceaux, etc. Ce changement, désiré par les politiques timides, n'eut sans doute été qu'un ministère de transition, et le bruit qui s'en répandit n'est dû peut-être qu'aux dissentimens sérieux qui s'élevèrent dans le sein du Conseil sur la rédaction du discours que le roi devait prononcer à l'ouverture de la session, discours que l'opposition attendait comme une occasion de porter aux pieds du trône l'expression de l'opinion publique.

Il y a lieu de croire qu'une considération plus mûre et plus sérieuse de l'état des choses avait fait reculer la cour et M. de Polignac devant les projets qu'annonçait la brusque irruption du ministère du 8 août. La violence de la presse périodique et l'animosité des partis en étaient venues au point de faire craindre une guerre civile à tous ceux qui avaient quelque chose à perdre, et qui ne s'étaient pas mis dans la nécessité de la désirer. Le ministère, ou du moins la partie modérée encore en majorité dans le Conseil, se flattait de lui ramener un bon nombre de députés, ceux de la défection surtout, que certains débats de la dernière session, que l'anarchie, signalée par M. de Martignac et le caractère des associations pour le refus de l'impôt, avaient effrayés. Le ministère ne voulait présenter d'abord que des lois d'une utilité incontestable au travers desquelles il jetterait ensuite le rapport, ou du moins des modifications à la dernière loi sur la presse périodique et sur la formation des listes électorales et le budget où il devait proposer des économies considérables. M. de Polignac en avait donné l'exemple, en faisant dans son département des réductions au delà múme de celles que la dernière commission avait demandées. Avec ces ménagemens, le ministère se flattait d'obtenir une majorité suffisante pour arriver, sans violence et sans crise, à la fin de cette session, après laquelle les changemens obtenus dans les lois, la gloire militaire qu'on allait chercher dans l'expédition d'Alger, et les moyens d'influence qu'on se flattait d'exercer par une administration plus homogène et plus dévouée, pourraient faire hasarder de nouvelles élections.....

Malheureusement pour le succès de ce plan, le zèle indiscret des écrivains qui regardaient le 8 août comme l'époque d'une restauration nouvelle trahissait trop évidemment la secrète pensée du ministère et de la Cour, en proposant des mesures et des changemens en matière de presse périodique ou d'élections, dont la pensée se réalisa dans les fatales ordonnances de juillet.

C'est au milieu des irritations de cette polémique ardente où l'on mettait en question d'un côté les droits du trône, de l'autre les libertés publiques qu'arriva l'époque de la session législative.

2 mars. Le Roi en fit l'ouverture en personne dans la grand'salle du Louvre, en présence de la famille royale (1) et du corps diplomatique, avec un appareil plus pompeux qu'à l'ordinaire, comme pour donner plus de puissance aux paroles qu'il allait prononcer.

S. M. annonçait d'abord le maintien de l'accord établi entre elle et ses alliés pour le bonheur des peuples, la fin de la guerre en Orient, la garantie donnée à l'indépendance de la Grèce par le choix du prince appelé à régner sur elle (2), et « les négociations « entamées de concert avec les alliés de la France pour amener, a entre les princes et la maison de Bragance, une réconciliation né<< cessaire au repos de la Péninsule. »>

Quant aux affaires qui affectaient directement l'honneur ou les intérêts de la France, le Roi déclarait son intention de ne pas << laisser plus long-temps impunie l'insulte faite au pavillon français par le dey d'Alger, et d'en obtenir une réparation éclatante qui, « en satisfaisant à l'honneur de la France, tournerait, avec l'aide du « Tout-Puissant, au profit de la chrétienté. »

S. M., parlant ensuite de la présentation du budget de 1831, faisait observer que les produits de 1829 avaient surpassé les évaluations, que la situation générale des finances démontrait la possibilité d'alléger les charges de l'État; elle annonçait qu'il serait

(1) On a remarqué que le Roi en arrivant sur l'estrade du trône avait laissé tomber son chapeau qu'il tenait à la main, et que M. le duc d'Orléans, s'étant empressé de le relever, avait mis un genou en terre pour le présenter à S. M. - Cet insident, recueilli par un journal du temps, a pu être regardé cinq mois après comme un étrange pronostic.

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(2) Le prince Léopold de Saxe-Cobourg, qui n'a point accepté.

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