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utiles et des représentations énergiques. On y avait hautement réclamé le droit de voter les impôts, de contrôler les dépenses et de signaler une foule d'anciens abus. La réponse du gouvernement à ces réclamations avait été négative sur tous les points. Il avait surtout repoussé la demande du budget, sous prétexte que les états ne seraient pas à même de porter un jugement convenable sur les dépenses indispensables, sans se mettre en rapport avec divers fonctionnaires publics, rapports qui relâcheraient les liens de la subordination ou de la hiérarchie administrative. Le roi lui-même, à qui l'on avait porté des représentations, paraissait peu disposé à faire des concessions... D'ailleurs quoiqu'on rendît justice aux qualités personnelles du souverain, vieillard de 75 ans, que son âge et sa piété rendaient antipathique à l'esprit du siècle, sa position comme zélé catholique, au milieu d'un peuple servent luthérien, était difficile; la grande influence dont les jésuites jouissaient à sa cour, les traitemens énormes des prêtres, le monopole du pouvoir et des places exercé presque exclusivement au profit des catholiques, entretenaient une fermentation sourde et des mécontentemens qui s'étaient déjà manifestés à l'occasion de la fête jubilaire ( le 25 juin ) de la confession d'Augsbourg, d'une manière assez grave pour exiger l'intervention de la force armée, Les révolutions de Paris et de Bruxelles qu'on apprit bientôt, la facilité avec laquelle était tombée la puissance militaire devant le courage du peuple, était d'un exemple séduisant pour ceux qui se croyaient blessés dans leurs droits; et la Saxe y céda.

Des troubles éclatèrent à Leipsick dès le 2 septembre, sous prétexte de s'opposer à l'exécution de quelques mesures de police jugées trop rigoureuses. La populace attaqua la maison du chef de la police. Leipsick n'étant pas une ville de garnison, on fit venir quelques troupes du voisinage; mais elles étaient en trop petit nombre pour faire tête à cette multitude furieuse qui commença par démolir et saccager toutes les maisons des personnes qu'on supposait tenir à la police. Ensuite les ouvriers imprimeurs dirigèrent leur farie contre l'établissement du célèbre imprimeur et libraire Brockhaus, parce qu'il employait une machine à vapeur

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pour quelques-unes de ses presses, et il ne put sauver ce bel établissement qu'en promettant aux mutins qu'il n'en ferait plus usage. Enfin les habitans, forcés de prendre les armes pour la défense de leurs propriétés, s'organisèrent eux-mêmes en garde bourgeoise, ́en administration municipale, et le corps entier des étudians se joignit à eux. On réussit à rétablir un peu de tranquillité après trois jours de confusion, de désordres et d'alarmes... Mais ce n'était que le prélude des scènes de Dresde.

Ici, depuis qu'on y avait connaissance des événemens politiques de Paris, les couleurs françaises étaient étalées dans tous les magasins; la jeunesse les portait en cravates et en écharpes. On chantait aux théâtres et dans les lieux publics la Marseillaise et la Parisienne, aux oreilles et sous les yeux de la police qui n'osait s'y opposer. Dans la nuit du 9 au 10, après qu'on eut bien excité le peuple par des chants de liberté, il se forma en dehors des barrières des rassemblemens composés de la dernière classe, qui rentrèrent tumultueusement dans la ville en brisant les réverbères et saccageant les bureaux de douanes et de police, aux cris de vive la liberté! à bas la police!... Ils arrivèrent ainsi jusqu'à l'Hôtel-de-Ville, dont ils jetèrent par les fenêtres ou livrèrent aux flammes les meubles et les papiers. Quelques compagnies de chasseurs voulurent charger; le sang coula des deux côtés; mais l'artillerie refusa son service. Heureusement encore ici un grand nombre de bourgeois se joignirent aux troupes et purent ainsi mettre un terme ou imposer de certaines formes à l'insurrection.

Cependant, à la première nouvelle de ces désordres, le prince Frédérick, neveu du roi, héritier du trône, et chéri du peuple comme partisan des réformes réclamées par la majorité des Saxons, était accouru de la campagne; il avait été conduit par des acclamations unanimes jusqu'au palais, où le roi, qui était à Pilnitz, devait, disait-on, arriver bientôt lui-même. Déjà la réunion des bourgeois avec la troupe, était une garantie du retour à l'ordre. Mais il circulait dans la ville une liste de griefs contre l'autorité, et leur redressement servait de prétexte et d'aliment à l'agitation

en armes,

populaire. L'arrivée du prince fit espérer qu'on l'obtiendrait, et la nuit (du 10 au 11 ) se passa plus paisiblement qu'on ne l'avait espéré.

Le lendemain (11), il fut nommé, comme par autorisation du roi, une commission composée en grande partie de magistratsestimés et des bourgeois les plus notables, et présidée par le prince Frédérick, chargée de prendre les mesures les plus efficaces pour le rétablissement de l'ordre. Une proclamation de S. A. R. invita tous les bons citoyens à se faire inscrire sur les rôles de la garde bourgeoise, qui fut mise sous les ordres du général de Gablentz, ainsi qu'un corps de troupes de cinq à six cents hommes, spécialement chargé de la police, et pris dans toutes les classes, ce qui retira du mouvement beaucoup d'hommes ardens, et ne contribua pas peu au rétablissement de la tranquillité publique. Cependant la bourgeoisie, une fois entrée dans les affaires politiques, et s'exprimant déjà fort librement sur le gouvernement du roi, s'assemblait dans ses sections pour délibérer sur les griefs dont elle aurait à demander le redressement, tels que l'abolition des taxes les plus oppressives, spécialement celles de police et de l'excise, la réforme de l'administration communale, l'extension du droit de séance et de vote dans la diète, le contrôle et la publicité des comptes, la réduction des dépenses du culte catholique, et plusieurs changemens importans dans la constitution.

Le roi, qui était à Pilnitz, où il menait, comme son prédécesseur, une vie dévote, indolente et retirée, embarrassé de savoir comment il pourrait concilier avec ses goûts et ses devoirs de conscience sans doute, les sacrifices et les concessions que son peuple lui demandait d'une voix presque unanime, résolut de s'associer ou plutôt de mettre à sa place son neveu le prince Frédérick, à qui l'insurrection venait de déférer en effet tous les pouvoirs, et le nomma co-régent pour gouverner avec lui le royaume, ordonnant que toutes les affaires soumises à la décision royale fussent portées à sa connaissance, et les décisions revêtues de sa signature à côté de celle de S. M. Dans le même acte, le prince Maximilien, duc de Saxe, père du nouveau co-régent, renonçait de sa pleine

et libre volonté à la succession de la couronne de Saxe en faveur de son fils Frédéric-Auguste, qui se trouvait déjà, de fait, investi de la souveraineté.

Cette proclamation, immédiatement publiée à Dresde, et suivie du changement du ministère, y ramena la confiance et la paix. Il y eut des illuminations générales. On envoya de toutes parts et de tous les corps, au prince, des députations, qu'il assurait, à son tour, de ses dispositions à seconder leurs vœux, à donner des garanties, à travailler à la réforme des abus, aux changemens que la constitution demandait, à consacrer le reste de sa vie à la patrie. Il se trouva bientôt assez fort de la confiance qu'il inspirait pour annoncer qu'il ferait punir suivant toute la rigueur des lois, et réprimer, en cas de besoin, par la force militaire, toute résistance envers les autorités, et toute perturbation de la sûreté et de la tranquillité publique (rescrit du 5 octobre), et pour ordonner une enquête sur les crimes ou délits particuliers commis dans les derniers troubles, dont le résultat n'a toutefois été que la condamnation de quelques individus à un emprisonnement plus ou moins long, en proportion de leur culpabilité.

Peu de temps après (20 octobre), le roi et le co-régent firent ensemble un voyage à Leipsick, où ils furent accueillis, comme sur toute leur route, par des acclamations d'enthousiasme... Le reste de l'année ne se passa pas encore sans quelques agitations, entretenues par le désir des réformes dans le gouvernement; mais des commissions spéciales s'occupaient avec la plus grande activité des moyens d'y faire droit par des travaux, au premier rang desquels il faut mettre l'organisation d'une garde communale, qui comprenait tous les hommes de 21 à 50 ans, sauf quelques exceptions en faveur des ecclésiastiques, magistrats, etc., etc.; une composition nouvelle des états, et la préparation d'un budget dont on évaluait les dépenses à. 4,604,353 écus, 4,884,303.

et les recettes à.

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On en dira l'année prochaine les résultats.

La révolution opérée dans la Saxe royale amena ainsi quelques améliorations dans la constitution ou l'administration des pays sou

mis à divers branches de la même famille, comme dans celle de Saxe-Gotha, où le souverain a consenti que le résultat des délibérations des états fût soumis au conlrôle de la publicité; et dans la Saxe-Meinungen, où l'ouverture des états a eu lieu le 26 no

vembre.

HESSE.

Les deux Hesse aussi eurent leurs insurrections.

Le grand duché (Hesse-Darmstadt), dont les états étaient assemblés depuis le 3 novembre 1829, attendait le fruit de leurs travaux, dont le premier résultat fut la réduction des dépenses à six millions de florins, lorsque la mort du grand duc (Louis X), arrivée le 6 avril (1), dans la soixante-dix-neuvième année de son âge, fit passer le pouvoir aux mains du prince héréditaire, né le 26 déc. 1777, qui prit le nom de Louis XI, et ajourna les états au 16 juin...

Le nouveau règne s'annonçait par une heureuse modération dans le souverain et dans le peuple; mais sa tranquillité fut compromise dans les troubles de la Hesse-Électorale, qui éclatèrent, au commencement de septembre, par une émeute occasionée ou prétextée par la cherté du pain, attribuée au monopole de la corporation des boulangers, cause à laquelle se joignait celle de l'exagération des droits de douane et de l'accise.... Le 6 septembre, au soir, des rassemblemens et des pillages commis chez les boulangers avaient nécessité l'intervention de la police et de la gendarmerie; mais comme elle ne suffisait pas à contenir la populace, on fit venir la garde de l'électeur, qui parvint à disperser les attroupemens, non sans effusion de sang.

Une cause de trouble plus réelle, et qui datait de plus loin, était le mécontentement de la masse éclairée et des classes moyennes à raison du despotisme du gouvernement et de l'absence du prince électeur, qui vivait, séparé de l'électrice, dans une liaison scandaleuse, à son château de Wilhelmshohe, d'où il ne manifestait son autorité que par des actes arbitraires.

(1) Louis X était né le 14 juin 1753, et régnait depuis le 6 avril 1790.

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