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P'intérim de la guerre (Ordonnance du 18 avril), nouvelle preuve de l'intérêt que le gouvernement mettait au succès de l'entreprise, et M. de Polignac à se populariser dans l'armée.

M. de Bourmont partit de Paris le 19 avril, fut suivi le 23 par le ministre de la marine qui allait inspecter les préparatifs en ce qui concernait son département, et quelques jours après (le 25) par M. le dauphin lui-même. On crut que ce n'était pas trop de la présence de l'héritier du trône pour encourager les soldats et les marins, prévenir ou écarter les difficultés, les préventions, les jalousies ou les obstacles réels qui pouvaient compromettre le succès d'une expédition à laquelle on semblait attacher le triomphe de la prérogative royale et le salut de la monarchie.

Le prince grand-amiral, arrivé à Toulon le 3 mai, visita l'arsenal de la marine, les chantiers de construction, tous les travaux du port, et se rendit le lendemain en rade à bord du vaisseau amiral la Provence, d'où il jouit du spectacle le plus imposant. Il ne s'y trouvait pas moins de cent bâtimens de guerre, et quatre à cinq cents navires de transport, tous pavoisés (1): d'autres bâtimens de commerce faisaient flotter au loin leurs différentes couleurs, et les rivages de la rade étaient couverts de troupes et d'une multitude immense qui mêlaient leurs acclamations aux salves de l'artillerie.

Le prince assista ensuite, de la hauteur du tertre du polygone, à un exercice du débarquement tel qu'il devait être opéré sur la côte d'Afrique avec des bateaux plats et des radeaux d'une construction nouvelle, chargés d'artillerie ou montés par des troupes de différentes armes avec leurs bagages et leurs chevaux, débarquement qui s'exécuta de manière à ce que les troupes furent rangées en bataille et les canons mis en batterie sur le rivage en moins de six minutes.

vapeur,

environ

(1) 11 vaisseaux de ligne, 23 frégates, 7 corvettes de guerre, 26 bricks, 26 corvettes de charge gabarres ou bombardes, 7 bateaux à 103 bâtimens de guerre, montés par 27,000 marins de toutes classes, et 377 de transport, 140 bateaux catalans, 55 chalans, 30 bateanx plats on radeaux. Voyez-en l'état détaillé à l'Appendice.

Rien ne manquait à la beauté de cette fête militaire. Jamais expédition, pas même celle d'Égypte, n'avait été préparée avec tant de célérité, de puissance et de luxe militaire; jamais la marine française n'avait paru si riche de talens et de moyens. L'armée de terre aussi brillait de jeunesse et d'ardeur; et quoi que les feuilles libérales aient dit de ses dispositions, quoique le chef qu'on lui imposait eût d'abord trouvé peu de confiance et de sympathie, toutes les craintes et les préventions, tous les souvenirs et les pressentimens sinistres parurent céder aux illusions de la victoire et de la conquête. La population, témoin de cette magnifique revue des forces de l'expédition, dont le succès pouvait avoir une si grande influence sur la prospérité de ces provinces, la secondait de tous ses vœux, et les opinions politiques se taisaient devant de si puissans intérêts. Aussi le prince, qui reprit bientôt la route de Paris (le 5 mai), en reporta-t-il, au sein de la cour, une satisfaction et une confiance funeste qui contribuèrent sans doute à précipiter les mesures qui amenèrent la chute de sa dynastie (1).

Le 11 mai, après la publication d'un ordre du jour où le général en chef annonçait en termes vagues à l'armée les motifs et le but de l'expédition, et lui recommandait surtout l'observation de la discipline et la modération dans la victoire; l'embarquement commença et fut terminé le 16 en moins de six jours, malgré le mauvais temps, dans l'ordre le plus parfait, et au milieu des signes répétés d'un enthousiasme universel.

L'armée, composée de trois divisions d'infanterie, chacune de 9 à 10,000 hommes, commandées par les lieutenans généraux baron Berthezène, comte Loverdo et duc d'Escars, d'une excellente artillerie de 180 bouches à feu de siége ou de campagne sous les ordres du vicomte de La Hitte, d'un détachement du corps du génie sous ceux du baron Valazé et d'un régiment de chasseurs, offrait, avec

(1) M. le danphin était de retour à Paris le 15 mai. L'ordonnance portant dissolution de la Chambre élective, et convocation des colléges électoraux est da 16. Il n'est pas inutile de faire observer que M. le dauphin l'avait annoncée à M. de Bourmont.

le personnel de l'administration, un effectif de 37,507 hommes (1), sans y comprendre le corps de la marine, non moins remarquable que l'armée de terre par sa discipline et sa belle tenue; et pour assurer d'autant mieux le succès de l'expédition, il fut ordonné qu'il serait formé, après son départ, une division de réserve destinée à réparer les pertes que l'armée pourrait faire.

Il faudrait encore, pour donner une juste idée de l'importance attachée à cette expédition, décrire l'abondance des approvisionnemens et des munitions, le luxe des équipages, et surtout de ce nombreux et brillant état-major auquel on avait adjoint, sous différens grades, des ingénieurs géographes, des interprètes, des peintres dessinateurs, des ouvriers imprimeurs, et jusqu'à des jour@nalistes historiographes chargés de faire d'abord un journal (l'Estafette d'Alger), consacré à donner les détails de l'expédition. Une foule de jeunes gens des plus nobles familles et d'étrangers, un prince de Schwartzemberg, un aide de camp du grand-duc Michel, le colonel Philosophoff, un capitaine de la marine anglaise, M. Mansell, avaient sollicité et obtenu l'honneur de faire cette

(1) Voici un état publié dans le Temps, sinon comme officiel, au moins comme exact, de l'effectif de toutes les arnres au moment du départ.

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campagne; et ce qu'on peut regarder comme un acte d'ambition ou de dévouement héroïque, c'est que le général en chef emmenait ses quatre fils engagés avec lui dans la gloire ou les périls de cette expédition.

Au moment où s'opérait l'embarquement, deux bricks, qui faisaient partie de la station navale devant Alger (l'Aventure et le Silene), poussés par un vent de nord-ouest, échouèrent dans la nuit du 14 au 15 mai près du cap Bengut, à 36 milles environ 'du cap Caxine; et leurs équipages, dans l'impuissance de se défendre et sans espoir d'être secourus, n'eurent d'autre moyen de salut que d'abandonner les bâtimens, et de se jeter désarmés sur cette côte inhospitalière, où tous auraient péri sans l'adresse d'un matelot maltais qui, sachant l'arabe, fit accroire aux Bédouins que les deux équipages étaient anglais. Ce généreux mensonge, soutenu avec le plus intrépide sang-froid, malgré les menaces de ces barbares, sauva les malheureux naufragés d'un massacre immédiat et gépéral, mais n'empêcha point qu'ils ne fussent tous dépouillés, traînés dans les montagnes et traités avec une cruauté féroce. Vingt · d'entre eux furent même massacrés au premier signe d'indignation qu'ils laissèrent échapper; leurs têtes envoyées à Alger furent exposées aux murs de la Casaubah : les autres, réclamées par des officiers du dey qui espérait en tirer des renseignemens sur l'expédition, y furent conduits et jetés au bagne jusqu'au moment où la chute de cette monstrueuse puissance brisa les fers des esclaves chrétiens.

25 Mai. Tout était prêt : l'armée entière et son immense matériel étaient embarqués. La flotte, retenue au mouillage depuis dix jours, n'attendait qu'un vent favorable, celui d'ouest, qui commença à se faire sentir. La première escadre, composée des vaisseaux de ligne et des grandes frégates portant l'état-major général, et la première division en profita pour mettre à la voile le même jour à cinq heures du soir; la seconde escadre, celle de convoi, appareilla le lendemain matin; la troisième encore, retardée par la violence des vents, ne put sortir de la rade que le lendemain (27), 45 heures après le départ de la première. Celle-ci n'était encore

qu'à une vingtaine de lieues au large (le 26), lorsqu'elle rencontra deux frégates qui se dirigeaient vers les côtes de France: l'une (la Duchesse de Berry, capitaine Kerdrain), faisait partie de la station d'Alger; l'autre était une frégate turque (le Necsind-Jeffet), montée par Tahir-Pacha, grand-amiral de l'empire ottoman, que le grand-seigneur envoyait au dey d'Alger pour le déterminer à donner des satisfactions à la France (1). Mais la croisière française lui ayant interdit l'entrée du port, Tahir-Pacha s'était décidé à se rendre en France sous l'escorte d'un bâtiment de guerre. A la rencontre de la flotte française, il fit demander par le capitaine Kerdrain la permission de communiquer avec les commandans de l'expédition. Le vice-amiral Duperré lui fit rendre les honneurs dus à son rang de grand-amiral, et le présenta au général Bourmont. Ils eurent ensemble un entretien sur l'expédition que Tahir-Pacha avait mission de prévenir; mais il ne pouvait en résulter aucun changement dans les mesures prises. Tahir-Pacha continua sa route pour Toulon (2), toujours sous l'escorte du capitaine Kerdrain, pendant que la flotte française se dirigeait en bon ordre sur les côtes d'Alger qu'elle aperçut dès le 29 au soir. Elle n'était plus, le lendemain matin (30), qu'à cinq ou six lieues nord du cap Caxine; les épuipages se préparaient au débarquement lorsqu'elle fut assaillie et dispersée en partie par un vent d'est si violent, que le vice-amiral jugeant impossible d'approcher de la côte, et même de se maintenir sur le méridien d'Alger, se décida à reprendre le large et à chercher un abri et un point de ralliement sous le vent des îles Baléares, dans la baie de Palma. Le gros de la flotte y arriva le 2 juin.

(1) Husseyn-Packa a dit, après sa chute, qu'il savait que le but secret de la mission de Tahir était de le faire déposer ou même étrangler pour faciliter l'accommodement, et que lui, dey, ne l'aurait pas reçu dans le port d'Alger, quand même la croisière française l'aurait laissé passer.

(2) La mission de Tahir-Pacha n'a eu aucun résultat, et après avoir été retenu quelques jours en quarantaine, il a remis à la voile pour Constantinople, fort mécontent, dit-on, de la réception et des difficultés qu'on lui avait faites.

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