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présenté dans cette session, entre autres projets d'administration publique, une loi relative à l'amortissement qui se lierait à un plan de remboursement ou d'échange, qui concilierait l'intérêt des contribuables avec celui des créanciers du trésor et le bien général de l'État.

« Messieurs, disait le Roi en terminant, le premier besoin de mon cœur est ☐ de voir la France, heureuse et respectée, développer toutes les richesses de ☐ son sol et de son industrie, et jouir en paix des institutions dont j'ai la ferme - volonté de consolider le bienfait.

◄ La Charte a placé les libertés publiques sous la sauve garde des droits de ma couronne. Ces droits sont sacrés; mon devoir envers mon peuple est de les transmettre intacts à mes successeurs.

« Pairs de France, députés des départemens, je ne doute point de votre concours pour opérer le bien que je veux faire. Vous repousserez avec mépris ⚫ les perfides insinuations que la malveillance cherche à propager. Si de cou=pables manoeuvres suscitaient à mon gouvernement des obstacles que je ne peux pas (le Roi ajouta, en se reprenant), que je ne veux pas prévoir, je trouverais la force de les surmonter dans ma résolution de maintenir la paix • publique, dans la juste confiance des Français et dans l'amour qu'ils ont - toujours montré pour leur Roi. »

Ce discours, prononcé d'une voix ferme, fut entendu avec un sentiment de satisfaction générale jusqu'au dernier paragraphe, qui souleva, dans la plus grande partie de l'assemblée, un mouvement de surprise, de stupéfaction et de mécontentement qui se fit apercevoir au milieu des acclamations d'étiquette.'

Dès le lendemain, tandis que les feuilles royalistes cherchaient à faire regarder le discours du trône comme l'expression des sentimens personnels du monarque, comme une nouvelle profession de foi, sacrée comme les sermens de Reims, et qui répondait à toutes les injures, à tous les soupçons jetés par la malveillance sur des ministres qui professaient le même attachement pour la Charte que pour l'intégrité des droits de la couronne, les feuilles libérales commentaient avec aigreur ce même discours, où elles ne voulaient voir que l'opinion et l'œuvre du ministère de la contre-révolution. Elles relevaient, en passant, le vague des déclarations sur les affaires de Grèce et de Portugal comme des concessions faites à la politique étrangère; elles jetaient des doutes et des inquiétudes sur l'expédition projetée contre Alger; mais l'objet principal de leurs attaques était le dernier paragraphe, où l'on

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assurait qu'il se trouvait, dans sa première rédaction, des expressions encore plus hostiles, que le parti modéré du Conseil était venu à bout de faire supprimer. Elles s'indignaient que le ministère osât supposer qu'il existait des manoeuvres qui menaçaient le trône, ou même les droits de la couronne; elles protestaient que l'indignation publique ne demandait que l'éloignement d'un ministère odieux, anti-national; elles ne voulaient lui susciter d'obstacles que dans les voies constitutionnelles; elles espéraient que les pairs de France et les députés des départemens rempliraient leur devoir, qu'ils répondraient au défi ministériel en disant au Roi la vérité tout entière, et que le refus du budget appuierait au besoin cette vérité. Nous passons rapidement sur ces opinious qui trouveront tout à l'heure des organes plus imposans à la tribune législative.

CHAMBRE DES PAIRS.

3 mars. La Chambre, réunie dès le lendemain de la séance royale, sous la présidence du nouveau chancelier de France (M. le marquis de Pastoret, élevé à cette dignité par ordonnance royale du 17 décembre 1829), s'occupa tout en arrivant de la nomination de ses secrétaires définitifs, qui furent MM. le comte de Bouillé, le marquis de Laplace, fils du célèbre astronome, le vicomte d'Ambray et le maréchal Maison, tous choisis dans le parti libéral ou modéré, à l'exception d'un seul (le vicomte d'Ambray), recommandé d'ailleurs par le respect qui s'attachait à la mémoire du chancelier son père. La commission, désignée dans cette même séance par le président de la Chambre pour rédiger le projet d'adresse à faire en réponse au discours du trône, réunissait, suivant l'usage adopté généralement par la noble Chambre, des membres pris dans toutes les nuances politiques. C'étaient MM. le duc de Doudeauville, le vicomte Lainé, le marquis de Latour-Maubourg, le marquis de Marbois, le comte de Panisse, le comte Siméon et le marquis de Talaru. Le ministère avait fait de vains efforts, dit-on, pour déterminer le chancelier à y faire comprendre M. le marquis de Lally-Tollendal qui tomba malade et mourut peu de

jours après. Selon des bruits répandus sur les premières séances de la commission et sur des opinions émises daus des réunions privées, la majorité des pairs se prononçait contre le système du ministère et contre l'inconvenance parlementaire du dernier paragraphe du discours de la couronne; mais il régnait une grande divergence d'idées sur la réponse qu'il convenait d'y faire; et dans cet état des esprits et des choses, les plus modérés de l'opposition pensèrent et firent entendre à leurs collègues qu'il serait plus sage et plus séant à la dignité de la pairie d'éviter une discussion orageuse dont l'issue n'était pas bien assurée, de ne répondre au paragraphe où le gouvernement semblait se réserver à lui seul le droit de surmonter des obstacles qui le menaçaient, qu'en rappelant au ministère l'obligation de ne pas sortir des voies parlementaires et constitutionnelles. Telle était la situation du ministère et la faiblesse de son parti, qu'il s'estima heureux d'échapper à une censure directe, et qu'il fut convenu qu'aucun de ses partisans n'élèverait la voix pour s'opposer au projet d'adresse qui fut présenté à la Chambre dans la séance du 9 mars par M. le comte Siméon.

Il suffit de comparer les paragraphes avec ceux du discours de la couronne pour y voir une leçon et même un blâme sévère sous les formes du dévouement le plus respectueux.

• Le premier besoin du cœur de V. M., dit cette adresse, est de voir la France jouir en paix de ses institutions. Elle en jouira, sire. Que pourraient en effet des insinuations malveillantes contre la déclaration si expresse de votre volonté, de maintenir et de consolider ces institutions? La monarchie en est le fondement; les droits de votre couronne y resteront inébraulables : ils ne sont pas moins chers à votre peuple que ces libertés. Placées sous votre sauvegarde, elles fortifient les liens qui attachent les Français à votre trône et à votre dynastie et les leurs rendent nécessaires. La France ne veut pas plus de l'anarchie que son Roi ne veut du despotisme.

Si des manœuvres coupables suscitaient à votre gouvernement des obstacles, ils seraient bientôt surmontés, non pas seulement par les pairs défenseurs hé. réditaires du trône et de la Charte, mais aussi par le concours simultané des deax Chambres, et par celui de l'immense majorité des Français; car il est dans le vœu et dans l'intérêt de tous que les droits sacrés de la couronne demeurent invariables et soient transmis inséparablement des libertés nationales aux successeurs de V. M. et à nos derniers neveux, héritiers de notre confiance et de notre amour. »

Le reste du projet n'était que la paraphrase ou la contre-épreuve

du discours royal; mais on doit pourtant remarquer qu'au paragraphe de la Grèce la réponse ne s'était exprimée que bien vaguement sur le choix du prince ou sur le désintéressement des puissances, et qu'en ajoutant le mot de légitimité sur les affaires de Portugal, elle jetait quelque doute sur l'opinion de la Chambre à l'égard de don Miguel, qu'elle ne prenait aucun engagement sur la guerre d'Alger; et quant au remboursement de la rente, déjà rejeté par la noble Chambre sous le ministère Villèle, elle insistait sur la nécessité de combiner le triple intérêt des contribuables, des capitalistes et de l'État, sans s'écarter jamais du respect pour les droits de chacun et des principes de justice qui avaient fondé et élevé si haut le crédit.

Lecture faite de ce projet d'adresse, M. le vicomte de Châteaubriand prit la parole, non qu'il voulût, disait-il, y proposer aucun changement, car ce projet lui paraissait grave, plein de mesure, de convenance, de dignité. Il lui semblait fort surtout par les choses qu'il ne disait pas, et que l'illustre orateur se décidait à dire :

« Je l'avoue, dit S. S., c'est à mon corps défendant, et après de longues hésitations, que je me suis résolu à monter à cette tribune. Jamais je n'ai tant désiré la paix, jamais je n'ai été moins disposé à me jeter au milieu des orages; il a fallu six mois entiers de provocations, il a fallu m'entendre traiter d'apostat et de renégat, par ordre ou par permission, pour qu'enfiu je me crusse obligé de m'expliquer. Au reste, je pardonne de grand cœur à ceux qui m'ont prodigué les outrages.

« Je désire quatre choses pour mon pays, messieurs; la religion sur les autels de saint Louis, la légitimité sur le trône d'Henri IV, la liberté et l'honneur pour tous les Français.

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Je n'ai point douté que les ministres du jour n'eussent l'intention de maintenir ces quatre choses; mais j'ai pensé, dès le premier instant, que, par la nature même de la composition du Conseil, ils inquièteraient les intérêts pablics; j'ai pensé qu'en voulant trouver la France ancienne dans la France nouvelle, ils pourraient mettre la réalité en péril pour saisir ou pour combattre des chimères.

»

Le noble pair passait légèrement, mais en jetant quelque blâme sur la disgrâce de M. Donatien de Sesmaisons, sur le choix qu'on faisait d'un prince dévoué à l'Angleterre pour s'asseoir sur le trône de la Grèce, sur l'hésitation du ministère dans l'affaire du Portugal, et sur le projet de l'expédition d'Alger pour laquelle on avait cru devoir solliciter la permission de l'Angleterre.

Arrivé aux affaires de l'intérieur, M. de Châteaubriand s'étonnait et s'affligeait des bruits qui circulaient et que confirmait le discours du trône; mais le ministère actuel ne lui semblait pas assez fort pour hasarder des coups d'État, et en considérant l'état actuel de la France, il n'y voyait pas de raison d'ébranler le trône par des mesures extraordinaires, de se lancer aveuglément dans une carrière semée d'abîmes.

« Je le répète, disait l'illustre pair, la France, avant le 8 août, était tombée dans le plas profond repos; le Roi, entouré d'amour et de respects, n'avait plus qu'à jouir du spectacle des bienfaits qu'il avait répandus sur ses peuples. Toot principe de mouvement était détruit dans les masses; elles avaient obtena ce qu'elles avaient demandé : la liberté et l'égalité par et devant la loi. Où étaient-ils, ces grands ennemis de la légitimité, contre lesquels la résistance des anciens ministres se trouvait insuffisante? Chose désirable, en effet, pour les vrais partisans de la liberté, qu'une usurpation, républicaine ou monarchique, dont le premier acte forcé serait d'ôter à la France la liberté de la presse et la liberté de la parole. Il y a une force dont j'oserai me vanter, parce que, le cas échéant, je ne tirerais pas cette force de moi, mais de la nature des choses; qu'on mette devant moi une usurpation quelconque, et qu'on me laisse écrire: je ne demande pas un an pour ramener mon Roi, ou pour élever mon échafaud. La liberté est la première alliée de la légitimité: que celleci la mette de son côté, et elle se peut rire de toutes les ambitions conjurées contre elle.

« Cette liberté est aussi, messieurs, la première sûreté de votre existence aristocratique. Les priviléges de l'autre Ghambre sont la plus forte garantie des vôtres. Ces faiseurs de théories qui, dans l'état actuel des mœurs, supposent qu'une Chambre béréditaire pourrait se maintenir seule au milieu de la nation et remplacer la représentation nationale, sont ou les plus aveugles, ou les plus insensés des hommes.

-Nobles pairs, toute révolution venant d'en bas est aujourd'hui impossible; mais cette révolution peut venir d'en haut; elle peut sortir d'une administration égarée dans ses systèmes, ignorante de son pays et de son siècle. Je renferme mes pensées; je contiens mes sentimens; je ne développe rien ; je n'approfondis rien; je ne lève point le voile qui couvre l'avenir; je laisse ce discours incomplet, parce que mon attachement à la légitimité arrête et brise mes paroles. Royaliste, je n'hésite point sur les rangs où je dois me placer anjourd'hui; je demanderais seulement qu'on m'indiquât le poste où je devrais consommer mon sacrifice, si un seul mot de Charles X ne pouvait dissiper les périls et les ténèbres que l'on a répandus sur la France.

Tout ce que je ne dis point ici, messieurs, je désirais le dire à S. M., en la suppliant de m'accorder la douloureuse permission de déposer à ses pieds ses bienfaits. Qui sait ce qu'une voix fidèle, émue, sortant du cœur et des entrailies d'un royaliste, aurait pu produire? Cette voix, il ne m'a pas été accordé de la faire entendre. Après le Roi, messieurs, je ne connais pas de juges plus élevés et plus respectables que mes nobles collègues. C'est donc aux pairs de France, aux premiers soutiens du trône que j'ai osé confier une faible partie de mes craintes et de mes sentimens.

Les dernières lignes da discours de la couronne ne justifient que trop la

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