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veut la

guerre.

L'avoyer Ce président de la république bernoise, magistrat Steiguer habile, énergique, mais passionné, voulait, contre l'opinion d'hommes plus calmes, tirer vengeance de l'affront fait au nom suisse. A la puissante raison d'honneur national, l'avoyer de Berne en ajoutait une autre qui le touchait de plus près, et qui était peut-être le véritable mobile de sa conduite : il savait que les habitants du pays de Vaud et de l'Argovie, justement mortifiés de ne jouir d'aucuns droits politiques et d'être sujets de la bourgeoisie de Berne, avaient accueilli avec enthousiasme les rayons d'espérance que la révolution française leur avait apportés. On ne peut disconvenir en effet que, si le tiers-état de France fut fondé à réclamer une part dans l'administration, ces deux provinces ne l'étaient pas moins à vouloir que la classe éclairée de leurs concitoyens, secouât des préjugés mille fois plus vexatoires encore que les priviléges de la noblesse française, car celle-ci pouvait du moins s'acquérir en servant bien l'état, tandis que les patriciens de Berne étaient à la fois plus exclusifs et plus orgueilleux.

Abus de De tous les gouvernements, le plus abusifest sans conl'oligar-tredit celui qui donne aux bourgeois d'une seule ville,

chie.

le droit de souveraineté sur un pays entier. Que penseraient en effet la noblesse et les citoyens de France et d'Allemagne, si les bourgeois de Paris et de Vienne prétendaient être souverains de ces peuples, et seuls susceptibles de remplir les dignités de l'État? De semblables abus ont pu s'introduire dans les siècles d'ignorance ou de féodalité; mais ils n'ont jamais résisté à la raison et aux saines lumières. Les fiers et redoutables Romains eux-mêmes, auxquels Montesquieu n'a pas craint de

comparer le sénat de Berne, ne furent-ils pas obligés de concéder le droit de cité à la majeure partie des peu. ples Latins?

Cette privation des droits les plus sacrés, paraissait d'autant plus pénible aux habitants des pays de Vaud et d'Argovie, que, nulle part, en Suisse, l'instruction n'est aussi généralement répandue que dans ces deux provinces (1); et que toutes deux ont fourni des hommes distingués par leur talents et leurs vertus.

Le gouvernement de Berne, pour se justifier, vantait la douceur et la paternité de son administration : les Vaudois et les Argoviens, au contraire, soutenaient que, s'ils jouissaient de la tranquillité, ils en étaient plutôt redevables à un concours de circonstances indépendantes de sa volonté, qu'à sa sollicitude. En effet, la neutralité dont jouissait, depuis deux siècles, le sénat de Berne, était moins le résultat de sa politique, que de la position géographique du canton et du système des grands états voisins. Si les impôts étaient modérés, c'est que cette neutralité dispensait l'État d'entretenir aucune troupe permanente : les routes se réparant par corvée, les dépenses à la charge du fisc se réduisaient au salaire d'un très petit nombre de fonctionnaires. Or, ces dépenses étaient si modiques, que depuis plus de cent ans, l'excédent des recettes formait un capital assez considérable, pour que la rente seule suffît à l'acquittement des charges publiques; et que,

(1) Nous ne prétendons pas que la ville de Berne soit moins éclairée que le pays de Vaud : il y a d'excellents administrateurs dans cette capitale; mais les habitants des campagnes sont moins instruits que ceux des nombreuses petites villes du canton de Vaud.

Fermen

dans le

chaque année, le trésor pût se grossir successivement du produit de l'impôt.

En examinant les choses de plus près, on voit donc que les pays de Vaud et Argovie, sous la sujétion du du canton de Berne, ressemblaient à des fermes bien exploitées ; mais outre que le plus grand profit tournait à l'avantage du propriétaire, il y avait dans cette ferme des maîtres et des valets, et ce dernier rôle était le lot exclusif des Vaudois, abus qui ne devait pas manquer d'être renversé à la fin du 18° siècle.

Dès l'année 1791, des germes de mécontentement tation s'étaient manifestés dans le pays de Vaud, et le goucanton vernement avait été obligé d'employer la force pour de Vaud. les étouffer. Accusés de haute trahison, plusieurs Vau

dois furent jugés par un tribunal suprême, et condamnés, les uns au bannissement, les autres à un emprisonnement limité. Le capitaine Laharpe, principal moteur, avait été condamné à mort par contumace (1).

Si cet acte de sévérité avait contenu l'effervescence, il avait aussi aiguisé les haines, et servi d'aliment aux passions. La conquête de la Savoie par l'armée française, parut offrir aux Vaudois comprimés, l'occasion de secouer le joug: les esprits étaient exaltés, et nulle part, sans doute, le système de propagande ne pouvait compter de plus chauds partisans.

Le sénat de Berne aurait pu fixer à cette époque le sort de la Suisse et le sien, en cherchant à concilier tous les intérêts: mais le parti de l'avoyer Steiguer était aussi exalté que celui des dissidents de la haute noblesse

(1) C'est le brave général de division Laharpe qu fut tué au passage du Pô, en 1796.

de France; il voulait tout ou rien. En penchant pour la guerre, il espérait concourir à la contre-révolution, et servir, à la fois, les patriciens Bernois et la vengeance nationale. Il eût été prudent d'apaiser les mécontents, par d'adroites concessions qu'on fut obligé d'accorder plus tard à la force

Indépendamment des questions générales débattues à la diète helvétique, il est certain qu'il fut mis en délibération de déclarer la guerre à la France: si cet avis ne prévalut pas, c'est que le but et les moyens de la coalition, cachés Spar l'Autriche et la Prusse comme un secret d'État, ne furent jamais communiqués à la diète; que loin de lui faire des propositions d'alliance ou de subsides, la cour de Vienne approuva, le 29 août, la rẻsolution de neutralité prise au mois de mai; et que, d'un autre côté, le cabinet de Turin, timide et circonspect, > paraissait se fixer à une neutralité armée dans ses possessions transalpines.

Genève.

Dans cet état de choses, il ne fallait qu'une étincelle État de pour allumer un grand incendie et cette étincelle jaillit de Genève, petite république trop connue par l'esprit de faction qui divise ses habitants, et qui en moins d'un siècle, a failli causer plusieurs fois leur

ruine.

Cette ville, alliée des Suisses, entrepôt général du commerce de l'Helvétie méridionale et de la France, était gouvernée par un sénat aristocratique, dont un arrêt sévère, peut-être même injuste, avait banni un citoyen qui, graces à la révolution, venait d'obtenir en France le portefeuille de l'intérieur, et d'entrer par-là même au Conseil exécutif.

Clavière, puisqu'il faut le nommer, avec plus d'es

Provo- prit d'intrigue que de véritable génie, était d'ailleurs cations trop vindicatif pour suivre la maxime généreuse de de Cla- Louis XII. Ministre français, il épousa la querelle du

vière.

citoyen de Genève : et, au lieu d'user de son ascendant sur le Conseil exécutif pour entretenir la bonne harmonie entre les deux républiques, il fut charmé de trouver dans les plaintes des mécontents de Genève, l'occasion d'humilier la faction dont il avait à se plaindre, au risque de causer la ruine de sa patrie.

Sans déclaration préalable, et sous prétexte de favoriser l'élan démocratique de quelques affiliés du club des Jacobins, mais en effet pour rançonner cette ville, Servan mandait au général Montesquiou: Il sera beau d'aller briser les fers que le despotisme avait forgés pour accabler les Genevois, s'ils voulaient établir les droits de Phomme. (Voyez pièces justificatives, no 12.)

Outre que cette agression inutile répugnait à Montesquiou, il fallut du temps pour rassembler dix à douze bataillons disséminés dans les vallées, et l'artillerie nécessaire à cette expédition. Le sénat de Genève informé à temps, voulut conjurer l'orage en invoquant le secours de Berne et de Zurich. Bien que le corps hel vétique eût assuré le général Montesquiou de la ferme résolution de maintenir la plus stricte neutralité, si les Puissances ne commettaient aucune aggression contre le territoire de la Confédération, ces deux cantons se croyaient en droit de prendre toute précaution intérieure, et pensaient que le sort de la Suisse était attaché à l'indépendance de Genève : engagés de plus par leurs traités, à venir à son secours, ils y envoyèrent aussitôt deux bataillons, avec l'ordre de la défendre jusqu'à l'extrémité. Berne alla plus loin ; elle rassembla

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