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No 9.

Du 15 décembre.

La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, de la guerre et diplomatique, réunis, fidèle aux principes de la souveraineté du peuple, qui ne lui permet pas de reconnaître aucune des institutions qui y portent atteinte, et voulant fixer les règles à suivre par les généraux des armées de la république, dans le pays où ils porteront les armes, décrète :

Art. 1er. Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la république, les généraux proclameront sur-le-champ, au nom de la nation française, la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités établies, des impôts ou contributions existants, de la dîme, de la féodalité; des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels; des banalités, de la servitude réelle ou personnelle, des priviléges de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse, et généralement tous les priviléges.

Art. 2. Ils annonceront au peuple qu'ils lui apportent paix, secours, fraternité, liberté et égalité, et ils le convoqueront de suite en assemblées primaires ou communales, pour créer et orga niser une administration et une justice provisoires; ils veilleront à la sûreté des personnes et des propriétés; ils feront imprimer en langue ou idiome du pays, afficher et exécuter sans délai, dans chaque commune, le présent décret et la proclamation y annexée.

Art. 3. Tous les agents et officiers civils ou militaires de l'ancien gouvernement, ainsi que les individus ci-devant réputés nobles, ou membres de quelque corporation ci-devant privilégiée, seront, pour cette fois seulement, inadmissibles à voter dans les assemblées primaires ou communales, et ne pourront être élus aux places d'administration ou du pouvoir judiciaire provisoire.

Art. 6. Dès que l'administration provisoire sera organisée, la Convention nationale nommera des commissaires pris dans son sein, pour aller fraterniser avec elle.

Art. 11. La nation française déclare qu'elle traitera comme ennemi le peuple qui, refusant la liberté et l'égalité, ou y renonçant, voudrait conserver, rappeler ou traiter avec le prince et les castes

privilégiées. Elle promet et s'engage de ne souscrire aucun traité, et de ne poser les armes qu'après l'affermissement de la souveraineté et de l'indépendance du peuple sur le territoire duquel les troupes de la république seront entrées, et qui aura adopté les principes de l'égalité et établi un gouvernement libre et populaire.

PROCLAMATION.

Le peuple français au peuple.........

FRERES ET AMIS,

Nous avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons. Nous offrons de vous faire jouir de ce bien inestimable qui vous a toujours appartenu, et que vos oppresseurs n'ont pu vous ravir sans crime.

Nous avons chassé vos tyrans. Montrez-vous hommes libres, et nous vous garantirons de leur vengeance, de leurs projets et de leur retour.

Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires qui vous ont gouvernés jusqu'à ce jour, et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu'ils existent, l'abolition de la dîme, de la féodalité; des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels; des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des priviléges de chasse et de pêche, des corvées, de la gabelle, des péages, des octrois et généralement de toute espèce de contribution dont vous avez été chargés par des usurpateurs : elle proclame aussi l'abolition parmi vous de toute corporation nobiliaire, sacerdotale et autres, de toutes les prérogatives et priviléges contraires à l'égalité. Vous êtes, dès ce moment, frères et amis, tous citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et à défendre votre patrie.

Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes; hâtez-vous d'établir vos administrations et justices provi

soires, en vous conformant aux dispositions de l'article 3 du décret ci-dessus. Les agents de la république française se concerteront avec vous pour assurer votre bonheur et la fraternité qui doit exister désormais entre nous.

N° 10.

Lebrun, Ministre des affaires étrangères au Président de la Convention Nationale.

Paris, le 20 décembre 1792.

Le parlement britannique, qui avait été prorogé jusqu'au mois de janvier, vient d'être inopinément rassemblé; et l'ouverture de sa session a eu lieu le 14 de ce mois. Cette mesure extraordinaire doit naturellement éveiller l'attention du gouvernement français, sur ses causes et ses résultats. Il est de mon devoir de ne point laisser ignorer à la Convention nationale ce que j'en ai pu découvrir.

Peu après l'immortelle journée du 10 août, et le changement introduit pour lors dans la forme de notre gouvernement, il a plu au ministre anglais de cesser toute communication avec nous et de rappeler son ambassadeur; soit parce qu'il était persuadé que les jours de contre-révolution et de notre esclavage étaient proches; soit seulement, comme l'a dit ingénieusement le célèbre orateur de l'opposition dans la première séance des Communes ; « parce qu'il crut » indécent et indigne de la majesté royale Britannique, d'avoir un >> représentant auprès d'un Conseil exécutif, dont les membres n'ont >> pas été oints de la Sainte-Ampoule au maître-autel de Rheims. » Quoi qu'il en puisse être, le conseil exécutif provisoire n'a pas cru devoir suivre le même procédé. Il a continué d'entretenir à Londres un ministre de la république française; et il l'a expressément chargé de saisir toutes les occasions pour assurer la nation anglaise que, malgré la mauvaise humeur de son gouvernement, le peuple français ne désire rien plus ardemment que de mériter son estime, et de resserrer la bonne harmonie et l'amitié qui doivent unir à jamais deux nations généreuses et libres. La Convention nationale a reçu,

à diverses reprises, des témoignages éclatants de la réciprocité de cette bienveillance, et de la part sincère que le peuple anglais prenait au succès de nos armes et au triomphe de la liberté française. Mais ces mêmes événements glorieux agissaient dans un sens très opposé sur le ministère de Saint-James. Bientôt la crainte ou la jalousie de nos victoires, les sollicitations de nos lâches rebelles, les belles intrigues des cours ennemies, et un secret ombrage que lui inspiraient les nombreuses adresses des félicitations qui nous venaient de toutes les parties de l'Angleterre, le décidèrent à des mouvements militaires plus prononcés, et à un prompt rassemblement du parlement.

La Convention nationale verra par le discours d'ouverture que les mesures hostiles ayant pour but principal et ostensible de s'opposer à la fermentation populaire qui s'est manifestée depuis quelque temps en Angleterre, sont aussi, jusqu'à un certain point, dirigées contre la France. C'est ce qu'annoncent plusieurs inculpations dont on ne peut méconnaître l'application, malgré le vague dans lequel on les a présentées. Quand le moment sera venu de répondre à ces inculpations, il sera facile au gouvernement français de se justifier pleinement; il ne craindra pas d'en appeler au jugement de l'Europe entière, au témoignage de Pitt lui-même. On verra alors qui l'on doit accuser d'avoir semé, avec un or corrupteur, les méfiances, les troubles et le désordre. Certes, si les agents, même non accrédités, que nous entretenons en Angleterre, avaient pu être légitimement soupçonnés de ces manœuvres qui n'appartiennent qu'à la faiblesse ; si leur conduite n'avait pas été tout à-la fois circonspecte et loyale, d'autres membres du ministère anglais n'auraient pas désiré de les voir confidentiellement, de communiquer avec eux, de leur accorder des conférences secrètes.

Je mettrai sous les yeux des comités qu'il plaira à la Convention nationale d'indiquer, les détails exacts de ces conférences; les plaintes, les objections, les réponses, les offres et propositions qu'on s'y est fait réciproquement; les instructions qui ont été données à nos agents dans ces circonstances délicates; enfin, l'état des armements qui ont été ordonnés. Il en résulte que, jusqu'ici, ces armements n'ont rien qui doive nous alarmer, puisqu'ils n'excèdent que de quatre vaisseaux de ligne, ceux qui ont eu lieu dans les années précédentes; puisque, sur seize vaisseaux en armement,

il y en a au moins dix connus sous la dénomination de gardes-côtes, c'est-à-dire les plus vieux et détériorés de la marine anglaise ; puisque enfin le Roi a déclaré que «< ces armements ne nécessite>> raient aucun impôt extraordinaire; et qu'il suffirait, pour y sub>> venir, des fonds destinés à l'amortissement annuel de la dette >> nationale. » Il en résulte encore que les griefs qui servent de prétexte à ces armements, se réduisent à trois principaux ; savoir : 10 L'ouverture de l'Escaut.

2 Votre décret du 19 novembre.

3o Les intentions que l'on suppose à la république française, relativement à la Hollande.

On a répondu sur le premier point par des arguments fondés sur le droit de la nature, sur le droit des gens, sur tous les principes de justice et de liberté que la nation française a consacrés, et dont elle ne pouvait refuser aux Belges la jouissance pleine et entière. On a répondu que « des traités arrachés par la cupidité, consentis par le » despotisme, ne pouvaient lier les Belges affranchis et libres. >> On a répondu par le silence que l'Angleterre avait elle-même gardé en 1784 et 1785, lorsque la même question a été agitée hostilement par l'empereur Joseph II.

On a répondu au second grief par l'exposition franche des véritables intentions qui animaient la Convention nationale, lorsqu'elle a rendu ce décret bienfaisant. Il est deux cas bien distincts, où ce décret peut et doit trouver son application: soit envers les peuples qui sont sous la domination des puissances avec lesquelles nous sommes en guerre; soit par rapport aux pays gouvernés par des puissances absolument neutres. Il ne peut y avoir de difficultés dans le premier cas: le décret y trouve son application directe et dans la plus grande latitude, sans qu'aucune puissance étrangère puisse le trouver mauvais. Dans la seconde hypothèse, il est clair que l'intention de la Convention nationale n'a jamais été de s'engager à faire, de la cause de quelques individus étrangers, la cause de toute la nation française. Mais, lorsqu'un peuple asservi par un despote, aura eu le courage de briser ses fers; lorsque ce peuple, rendu à la liberté, se sera constitué de manière à faire entendre clairement l'expression de la volonté générale ; lorsque cette volonté générale appellera sur lui l'assistance et la fraternité de la nation française ; c'est alors que le décret du 19 novembre trouve une application si naturelle, que nous doutons qu'elle puisse

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