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paraître étrange à personne : c'est alors que nous donnons à la nation nouvellement libre un appui que nous-mêmes aurions désiré; et que, peut-être nous aurions dû espérer de trouver chez une autre nation libre.

On a ajouté à cette réponse générale, une observation qui a plus particulièrement rapport au reproche qu'on nous fait à l'égard dé la Hollande : c'est qu'il serait à desirer que jamais le ministère britannique ne se fût plus mêlé du gouvernement intérieur de cette république qu'il a aidé à asservir, que nous ne voulons en mêler nous-mêmes.

Du reste, citoyen Président, j'ai chargé en dernier lieu le ministre de la république française à Londres, de demander une nouvelle conférence à lord Grenville, qui a, dans le pays, le département des affaires étrangères; et, après lui avoir rappelé toute la futilité des griefs qu'on veut nous opposer, je l'ai autorisé à lui déclarer, au nom de la république française, que, « si contre toute >>> attente, l'intention du ministère de Saint-James était d'amener >> une rupture à tout prix; comme alors nous aurions épuisé toutes >> les explications propres à démontrer la pureté de nos vues, et >> notre respect pour l'indépendance des autres puissances: comme >>> il serait évident que cette guerre ne serait plus qu'une guerre >> du seul ministère britannique contre nous, nous ne manquerions » pas de faire un appel solennel à la nation anglaise : que nous >> porterions au tribunal de sa justice et de sa générosité, l'examen >> d'une cause dans laquelle on verrait une grande nation soutenir >> les droits de la nature, de la justice, de la liberté, de l'égalité, >> contre le ministère qui n'aurait engagé cette querelle que par >> des motifs de pure convenance personnelle : qu'enfin, nous éta>> blirions la nation anglaise juge entre nous et lui; et que l'examen » de ce procés pourrait amener des suites qu'il n'aurait pas pré

>> vues.

>> J'attends, citoyen Président, le résultat qu'aura eu cette dé» claration; et je m'empresserai d'en faire part à la Convention »> nationale. >>

Le lecteur jugera toutes les erreurs politiques contenues dans cette pièce remplie d'abstractions, de doctrines et de subtilités, et où la science de l'homme d'Etat ne brille pas.

No. 11.

Discours prononcé par le grenadier Belleville, à la barre de la Convention, dans la séance du 7 janvier 1793.

Citoyens Représentants, il n'y a point de Français qui ne conserve dans son cœur le souvenir des insultes que les petits despotes d'Italie se permirent contre nous dans les premiers jours de notre révolution. Entre ceux dont les vexations furent les plus impérieuses, le roi de Naples devait se distinguer, comme Bourbon, et comme mari d'une Autrichienne. Aussi, il ne se borna pas à renvoyer de ses États plusieurs Français, à faire des préparatifs pour s'allier avec cette foule d'autres tyrans qui craignaient pour leur injuste autorité; il fit, de plus, intriguer par son ministre à la Porte-Ottomane, et répandre des calomnies atroces contre l'ambassadeur de France, nommé pour remplacer le traître Choiseul. Louis Capet et ses dignes ministres, loin de punir d'aussi coupables attentats, avaient dévoré ces outrages; peut-être les avaients-ils provoqués: mais le jour de la vengeance est arrivé. Pendant que nos braves bataillons repoussaient les hordes des barbares auxquels on avait ouvert le territoire français; tandis que les rois de Sardaigne, de Prusse et de Hongrie étaient humiliés et vaincus par les troupes de la république, le Conseil exécutif a ordonné au contreamiral Latouche de prendre une division de dix vaisseaux dans l'armée navale de la Méditerranée; de se présenter devant Naples, et de demander au roi des Deux-Siciles des réparations pour ses démarches passées, et des explications pour sa conduite future. Les instructions rédigées par le citoyen Monge, et dictées par la fierté républicaine, ont été remises en de dignes mains. Le citoyen Latouche, dans le mois le plus redouté des marins, a bravé les orages; il est arrivé devant Naples, le 16 décembre, à midi. L'escadre, dans le plus bel ordre, a déployé aux yeux des Napolitains étonnés, le spectacle à la fois le plus imposant et le plus formidable.

On avait fait, à Naples, des préparatifs immenses: la rade était bordée de quatre cents canons. Tous autres que des Français auraient hésité à s'enfoncer dans un golfe dangereux, et à venir affronter les

accidents de la mer et les efforts de l'art. Mais la patrie avait parlé ; les ordres étaient précis; le général, les officiers, les citoyens de l'escadre n'ont rien vu de plus. A l'ouverture du golfe, un capitaine du port vint, de la part du roi de Naples, offrir l'entrée à l'escadre, au nombre seulement de six vaisseaux, en observant << qu'on ne pourrait se dispenser de regarder comme un acte » d'hostilité, l'arrivée devant Naples, d'un plus grand nombre de >> bâtiments de guerre. » Le contre-amiral répondit qu'il ne divise>> rait point son escadre; qu'il allait jeter l'ancre sous les fenêtres » du palais du Roi; qu'un seul citoyen descendrait à terre pour >> lui porter une lettre, et lui faire connaître les intentions de la >> république : mais que, si on osait tirer un seul coup de canon, » il en rendrait mille pour un, et ne sortirait de devant Naples » qu'après l'avoir détruite. » Le capitaine du port vit le vaisseau du contre-amiral Latouche. Le branle-bas général du combat était fait; chacun était à son poste; les mèches étaient allumées; tous les vaisseaux étaient également prêts à lancer la destruction et la mort. Le général fit observer « que, quoiqu'il vînt avec des senti>>ments de paix pour le peuple de Naples, il était cependant déter>> miné, sur le moindre refus du Roi, à venger l'honneur national, » et à faire un usage terrible des forces qui lui étaient confiées. >> « Je fus chargé de porter au roi de Naples la lettre du contre>> amiral. » Dans les termes les plus énergiques, il demandait au Roi « que le ministre de la république fût reconnu; que la neu>>tralité fût promise; que la note proclamée à Constantinople fût » désavouée; que le ministre insolent qui avait osé la répandre, » fût puni et rappelé ; qu'il fût envoyé auprès de la république un >> ambassadeur qui renouvelât ce désaveu, entretînt la bonne har>> monie entre les deux puissances, et préparât un nouveau traité, >> qui pût être également utile au commerce des deux peuples. » Le contre-amiral m'ordonna de faire observer que le refus d'une seule de ses demandes serait regardé comme une déclaration de guerre; qu'un moment après, son feu s'ouvrirait; que, dans un jour, Naples ne serait plus qu'un monceau de ruines. Dans les instructions qui me furent données, le citoyen Latouche m'avait imposé l'ordre le plus absolu « de ne souffrir de la part du roi de » Naples aucun mouvement même, dont pût avoir à s'offenser la >> majesté du peuple souverain, dont j'allais manifester les volontés.>> Le citoyen Mackau, ministre de France à Naples, et qui, dans

cette circonstance, a montré toute l'énergie d'un républicain, m'accompagna au palais. La lettre fut remise au Roi, qui, dans l'instant, consentit à toutes les demandes du contre-amiral français. Il accueillit, au milieu de toute sa cour le soldat de la république, avec beaucoup d'égards; il fit inviter le commandant et les officiers de l'escadre à descendre à terre, et fit offrir pour les équipages tous les rafraîchissements dont ils auraient besoin.

Dans sa réponse, le roi de Naples, en accédant à tout, avait inséré l'offre de sa médiation. J'observai «que je ne pouvais accepter » une pareille offre, sans qu'auparavant elle eût été soumise à >> mon général; et que je ne pouvais porter que le projet de la lettre >> proposée. » Le citoyen Latouche rejeta cette offre, en mettant en marge « que la république n'attendait la paix que du courage » de ses braves soldats, et de l'abaissement de ses ennemis. » Il me donna l'ordre d'aller prendre congé du Roi; de lui dire « que >> les citoyens commandant les vaisseaux de la république étaient » appelés à la délivrance de la Sardaigne; et que, satisfaits » d'avoir trouvé un ami dans le roi des Deux-Siciles, ils allaient » profiter du vent favorable pour mettre à la voile. » Personne n'est descendu à terre, et personne n'a désiré de descendre. Le général, les officiers, les citoyens de l'escadre, en vrais républicains, ont dédaigné les amorces insidieuses des cours : ils sont partis, après n'être restés que vingt heures devant Naples.

N° 12.

Notes relatives aux démêlés avec la Suisse.

Il serait beau, écrivait le ministre Servan, au général Montesquiou, d'aller briser les fers que le despotisme avait forgés pour accabler les Genevois, s'ils voulaient établir les droits de l'homme.

Cette phrase, citée par un écrivain digne de foi, n'est pas le seul indice qui autorise à croire que le ministère mal conseillé par Clavière avait formé le projet d'une agression contre Genève, au risque de la voir s'étendre à toute la Suisse. Il ne sera pas hors de propos de rappeler ici quelques circonstances à nos lecteurs, pour leur éclairer cette question.

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Après de nombreux débats, la république de Genève avait été forcée d'avoir recours à ses voisins pour rétablir le calme dans ses murs: le parti démocratique avait eu le dessous, sa constitution avait été mise en 1782 sous la garantie de la France, du Piémont et de Berne; si deux de ces puissances se faisaient la guerre, et qu'il y eût lieu à exercer la garantie, elles devaient envoyer chacune de leur côté des commissaires chez celle qui serait restée neutre, afin de s'entendre sur les moyens d'y parvenir, et pour décider si les troupes de la puissance neutre marcheraient seules sur cette ville, ou si des détachements des trois puissances s'en approcheraient; hypothèse dans laquelle le territoire genevois serait alors réputé neutre. C'était sur ce traité que Clavière se fondait à tort, et qu'il brisa quand il en vit l'insuffisance.

Les diétes de Frauenfeld et d'Arau avaient successivement annoncé que, malgré les griefs de la Suisse, elle resterait neutre. Il est vrai que des questions de guerre furent agitées à Berne particulièrement, mais rien ne faisait soupçonner qu'elle dût avoir lieu; et tout devait porter les Français à l'éviter avec soin dans ce moment critique.

Les Genevois, inquiets du voisinage de l'armée de Montesquiou, réclamérent à Berne et à Zurich les secours stipulés par les anciens traités de 1584, afin de mettre du moins leur ville à l'abri d'une surprise. Jusque-là il ne s'agissait que d'un cordon de neutralité dans l'intérieur de la confédération suisse, et point du tout d'un renversement de la constitution de Genève, seul cas qui autorisât l'intervention de la France, conformément au traité de 1782. On argumenta dans ces débats avec subtilité sur la question la plus simple; et la révolution effectuée au mois de janvier suivant, après le départ des Suisses, prouva assez que c'était là l'unique but du ministère influencé par Clavière; les droits de la France dans le traité de 1782, n'y entraient pour rien. Le Conseil exécutif, informé par les amis de Clavière de la demande de seize cents Suisses, prit le 28 septembre un arrêté déclarant cette mesure contraire au traité de 1782, dont le 2e article portait que la république de Genève ne pourrait introduire sur son territoire aucunes troupes étrangères sans le consentement des trois parties qui avaient conclu ce traité ; il déclara de plus que, vu les dispositions malveillantes du canton de Berne envers la république française, la résolution des magistrats de Genève de prendre à leurs ordres des troupes de ce canton devait être consi

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