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Est-il vrai cependant qu'il doive en être ainsi et que la loi n'ait autorisé la requête civile que lorsqu'il s'agit d'un dol caractérisé?

La négative s'induit des motifs et du texte de l'article 480. La requête civile n'est qu'un moyen de corriger l'erreur dans laquelle le juge devait fatalement tomber par le fait ou par la fraude de l'une des parties. C'est ce que prouve invinciblement le paragraphe 9 de cet article 480.

L'usage des pièces fausses peut caractériser un dol. Il peut aussi n'être que le résultat de la bonne foi et de l'ignorance. A-t-on hésité, dans cette dernière hypothèse, à autoriser la requête civile? Cependant la bonne foi de la partie est exclusive de toute intention frauduleuse, et si la loi exigeait cette intention, il faudrait décider, pour l'usage des pièces fausses, ce que Chauveau enseigne pour la rétention des pièces. Le contraire cependant n'a jamais été contesté par per

sonne.

Mais, si la bonne foi n'est point une excuse pour l'usage des pièces fausses, pourquoi lui reconnaîtrait-on ce caractère, lorsqu'il s'agit de rétention de pièces décisives? Évidemment il y a dans les motifs de décision, dans l'un et dans l'autre cas, une telle identité qu'on ne saurait justifier ni concevoir une pareille divergence

dans les résultats.

Concluons donc que le sens du paragraphe 10, déterminé par les motifs qui ont fait admettre la requête civile, justifié par l'énormité des conséquences que le système de Chauveau entraînerait, est invariablement fixé par son rapproche-❘ ment avec le paragraphe 9. Le dol est présumé dans le fait de rétention, au même titre que dans le fait de l'usage des pièces fausses. L'un et l'autre se réalisant, le jugement est essentiellement altéré dans son principal caractère, et la requête civile est ouverte, quelles qu'aient été les causes déterminantes de l'un ou de l'autre. La preuve que le paragraphe 10 n'a pas d'autre but que le paragraphe 9, c'est que déjà le paragraphe 1o punissait le dol personnel, et qu'il est impossible d'admettre que le législateur ait cru devoir consacrer deux fois, dans le même article, la même disposition.

Enfin la justesse de notre conclusion est prouvée par la jurisprudence que nous avons déjà rappelée. Si, dans la supposition de mauvaise foi admise par Chauveau, la loi exige la dissimulation et la rétention, la conséquence nécessaire de sa disposition sera que le dol n'existera que par la réunion de ces deux circonstances, et que la simple dissimulation, fùt-elle le produit de la fraude la plus insigne, ne saurait,

dans aucun cas, autoriser la requête civile.

Le contraire a été cependant formellement jugé par la cour de cassation. Son arrêt du 19 février 1825 décide, en effet, que la dissimulation d'une pièce, sans qu'il y ait eu rétention, pouvait constituer un dol donnant ouverture à requête civile. Dans le système de Chauveau, cet arrêt serait une violation flagrante de la loi, puisqu'il ferait produire à une seule des circonstances prévues les effets que la loi n'a voulu donner qu'à la réalisation simultanée de l'une et de l'autre. S'il faut qu'il y ait mauvaise foi, dissimulation et rétention, il est évident que la mauvaise foi qui n'aura produit que la dissimulation ne pourrait être atteinte, sans méconnaître la volonté expresse du législateur.

La cour de cassation n'a pas hésité pourtant, et Chauveau approuve formellement son arrêt. Donc la cour a admis expressément que le texte du paragraphe 10 de l'article 480 a un sens tout spécial, à savoir que la réunion des circonstances qui y sont énumérées crée une présomption légale de dol, rendant inutile et superflue l'examen de l'intention qui les a déterminées. Cet examen devient, au contraire, indispensable lorsque les parties se trouvant en présence d'une simple dissimulation, il y a lieu de rechercher si cette dissimulation ne constitue pas un véritable dol, et s'il convient d'appliquer le paragraphe 1er. La bonne ou mauvaise foi, indifférente dans la première hypothèse, est donc décisive et conséquemment nécessaire à établir dans la seconde.

447. Nous aurions maintenant à rechercher quels sont les jugements qui peuvent être attaqués par la voie de la requête civile ; quels sont les effets de l'introduction de l'instance, ceux de son admission. Mais les difficultés que ces divers points peuvent entraîner appartiennent à une autre matière que celle qui nous occupe. Nous devons donc renvoyer aux auteurs qui ont écrit sur cette partie de notre droit. Rappelons seulement que l'exécution du jugement attaqué ne saurait être ni suspendue ni arrêtée jusqu'au moment où, par la consécration de la requête civile, ce jugement se trouve rétracté et les parties remises au même état qu'avant sa prononciation.

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448. Si dans le Code, disait l'orateur du gouvernement, on avait pu se décider par les sentiments de respect qu'inspirent en France, plus que partout ailleurs, l'impartialité, l'exactitude et l'extrême délicatesse des magistrats, on n'y aurait pas même prévu qu'il pùt s'en trouver dans le cas d'être pris à partie. Mais ne suffit-il pas que des exemples, quelque rares qu'ils soient, puissent se présenter, pour que la magistrature entière doive être satisfaite qu'il y ait une loi sévère, sous l'égide de laquelle les parties lésées peuvent obtenir la réparation qui leur est due.

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général au parlement de Grenoble, avili par l'opinion même de la loi, le magistrat serait dégradé dans ses fonctions; son autorité, liée à la dignité de son caractère, s'affaiblirait comme elle, et lorsque le juge serait sans considération, la loi serait sans force.

La prescription absolue de tout recours n'offrait pas de moindres périls, quoique dans un autre ordre d'idées. Dégagé de toute crainte, le magistrat aurait pu se livrer à ses passions, sous le voile de l'accomplissement d'un devoir. Or, ajoutait le même magistrat, le plus grand crime des administrateurs de la justice serait de la trahir quand ils paraissent la rendre. Établir comme une règle que dès qu'un homme est décoré du titre de juge, il est inaccessible à la prévarication, ce serait mal connaître la faible humanité, ouvrir la barrière à d'odieux abus et consacrer quelquefois la plus révoltante iniquité.

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450. Le besoin de répression contre les magistrats prevaricateurs était donc impérieusement indiqué. Cette nécessité a été sentie par tous les peuples. L'histoire est là pour nous montrer que les peines corporelles les plus cruelles ont puni de pareils forfaits. Il est donc vrai de dire que la prise à partie se retrouve dans les plus anciennes législations, sous des formes empreintes dans chacune du caractère, du génie et des mœurs de la nation. Les Romains l'avaient formellement consacrée 1.

En France, la partie qui avait succombé pouvait, dans les premiers temps, appeler le juge à défendre, l'épée à la main, le bien jugé de sa sentence; plus tard, et lorsque la faculté d'appel fut reconnue, le juge qui avait prononcé devenait l'intimé principal et devait plaider à l'appui de son jugement. Cet état de choses soulevant des plaintes unanimes, une ordonnance de François Ier le fit cesser, en déclarant que l'appel devait être dirigé contre la partie. Mais le juge ne dut pas moins être intimé. De partie principale, il devint partie jointe, mais nécessaire.

Le premier édit qui restreignit la faculté illimitée d'actionner le juge est l'ordonnance de 1540. Cette ordonnance, relative à l'administra tion de la justice en Normandie, défend de prendre le juge à partie, sinon que l'on maintienne par relief qu'il y ait dol ou fraude, ou concussion, ou erreur évidente en fait ou en droit 2.

L'ordonnance de Blois, de 1579, rendit ce principe commun aux autres provinces; celle

2 Voy. Collection d'Isambert, t. XII, p. 709.

de 1667 le confirma. La seule modification que cette dernière introduisit fut de multiplier les cas légaux de prise à partie.

451. Ces ordonnances formèrent le droit commun de la France jusqu'à la loi du 3 brumaire an iv. Plus tard, le Code de procédure est venu définitivement régler le principe et les formes de la prise à partie.

452. Aux termes de l'article 505, cette voie d'attaque contre les juges n'est ouverte que dans l'une des quatre hypothèses suivantes : 1o s'il y a dol, fraude ou concussion, qu'on pré tendrait avoir été commis soit dans le cours de l'instruction, soit lors du jugement; 2o si la prise à partie est expressément prononcée par la loi; 3o si la loi déclare le juge personnellement responsable, à peine de dommages-intérêts; 4o s'il y a déni de justice.

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De ces quatre hypothèses, deux appartiennent plus particulièrement à la matière que nous examinons, à savoir la première et la quatrième. C'est aussi d'elles seules que nous nous occuperons. 453. Le dol et la fraude, que la pratique confond assez habituellement, ont ici une acception spéciale qu'il ne faut pas perdre de vue. Identiques dans leurs effets, ils diffèrent dans les caractères qui les constituent. Ainsi et par rapport à la prise à partie, le dol consistera dans les machinations ou les artifices qu'un juge se sera permis à l'encontre d'une partie. Il y aura fraude lorsque, volontairement et dans le dessein de nuire, le juge aura ouvertement violé la loi qu'il était chargé d'appliquer.

454. Le dol peut se réaliser soit dans le cours de l'instruction, soit au moment du jugement; la fraude ne résulte que du jugement lui-même. Ce n'est qu'alors, en effet, que le préjudice qu'elle a pour but d'occasionner se manifeste.

De là cette conséquence que le fait qualifié fraude, et sur l'existence duquel il ne saurait y avoir doute, peut n'être que le résultat d'une erreur involontaire. Il est même présumé tel jusqu'à preuve contraire. Le dol, au contraire, emporte par lui-même l'idée d'une intention évidemment mauvaise.

En effet, les manœuvres, les artifices qui le caractérisent ne permettent guère d'équivoquer sur l'esprit qui a dicté les unes ou les autres. Comment le juge pourra-t-il intentionnellement se justifier d'avoir, par des moyens fallacieux, amené la partie à des aveux ou à des concessions qu'elle ne devait pas? d'avoir ajouté ou retranché à la déposition des témoins qu'il a

entendus? Comment le rapporteur d'un procès innocentera-t-il le fait d'avoir soustrait d'un dossier, ou dissimulé dans son rapport, une pièce décisive pour la partie? d'avoir présenté comme certains des faits qu'il sait étre faux? Comment enfin le président, qui après la prononciation du jugement en altère la rédaction en y ajoutant ou diminuant, pourra-t-il persuader de sa bonne foi? Chacun de ces faits est trop contraire à la loyauté qu'exigent les fonctions de magistrat. pour qu'on puisse se méprendre sur l'intention qui les a dictés.

455. Mais, à la différence de la fraude, le dol ne résultera jamais du jugement, en ce sens que les faits qui le constituent ne ressortiront jamais da rapprochement de celui-ci avec le texte de la loi. Dès lors, s'il est vrai que la fraude, comme le dol, doit être prouvée, il n'est pas moins certain qu'il y aura dans la preuve offerte cette distinction importante que celle de la fraude devra porter sur l'intention du juge, et celle du dol sur l'existence des faits dont on veut le faire résulter.

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Dès lors la preuve de la concussion donnerait lieu non-seulement à la pénalité édictée par la loi criminelle, mais encore à la prise à partie, dont les effets entraîneraient l'obligation, pour le juge, de réparer le préjudice qu'il aurait causé. 458. La corruption tentée contre les juges n'agit pas toujours ouvertement, elle sait revêtir des formes tellement adroites, elle se produit par des moyens en apparence si innocents, que le juge se trouve enlacé sans s'en douter, et comme malgré lui, dans les filets dont elle a su l'envelopper. Le magistrat jaloux de sa considération ne saurait donc se montrer trop susceptible contre l'audace de certains plaideurs. L'objet de la plus minime valeur, le cadeau le plus in

différent, le service le plus faible doit être impitoyablement refusé. La magistrature est à l'instar de la femme de César : elle ne doit pas même être soupçonnée.

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459. - Le dol, la fraude, la concussion peuvent, dans le sens que nous venons d'indiquer, devenir, en cas de dénégation, l'objet d'une preuve testimoniale. Il est facile de comprendre que les faire dépendre d'une preuve, ou même d'un commencement de preuve par écrit, c'était en rendre la répression impossible. C'est dans cette prévision que la loi n'exige l'annexe des pièces justificatives que s'il en existe. Mais, à défaut, la requête doit contenir l'articulation précise des faits de dol, de fraude ou de concussion. Si ces faits sont graves et pertinents, la preuve ne saurait en être refusée.

460. Le déni de justice constitue une véritable forfaiture. Institué pour rendre la justice, le magistrat la doit à tous sans faveur, sans préférence. Il manque donc au premier de ses devoirs lorsqu'il refuse de se prêter aux réclamations de ceux qui recourent à son ministère.

Le déni de justice, sévèrement apprécié par les législations qui se sont succédé, constitue, sous l'empire du Code de procédure, un dol présumé. Cette présomption est de telle nature qu'elle n'admet même pas la preuve du contraire. Le législateur n'a pas pu supposer la possibilité de la bonne foi chez celui qui, sourd à toutes les injonctions, a persisté à méconnaître les obligations que son caractère, que la confiance de la loi lui imposait.

La preuve du déni de justice entraine donc avec elle la nécessité d'une répression, aucune excuse ne saurait prévaloir. On comprend dès lors pourquoi tous les soins du législateur se sont portés sur la détermination de ce qui constitue cette preuve.

461. Il était dangereux de s'en rapporter, quant à ce, à la déposition de témoins. La dignité de la magistrature courait le risque d'être altérée par les nombreuses attaques qu'un pareil moyen aurait pu motiver. En conséquence l'article 507 du Code de procédure a taxativement indiqué le mode de preuve admissible.

Ce n'est donc qu'après les deux sommations faites dans les formes et délais qui y sont indiqués, que le refus du juge est certain et que le droit de le prendre à partie est ouvert. Conséquemment la requête qui signale l'exercice de ce droit doit mentionner l'accomplissement de cette formalité, et être accompagnée de l'original des deux sommations, comme pièces jusBÉDARRIDE. 1.

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tificatives. Le défaut de production de ces deux actes, et à plus forte raison l'omission qui en aurait été faite au mépris de l'article 507, rendrait la prise à partie non recevable. 462. Un principe incontestable, et qui résultait de la nature des choses, c'est que la disposition de l'article 505 est essentiellement limitative. En conséquence, toute prise à partie fondée sur un fait autre que ceux qui y sont formellement prévus serait absolument non recevable.

463. Une difficulté s'est pourtant présentée, qui, tout en respectant ce principe, tendrait néanmoins à le violer. On a dit: La violation involontaire de la loi peut constituer une faute extrêmement grave. Or, aux termes de la loi romaine, la faute lourde est assimilée au dol; donc, la prise à partie pour une faute de ce genre rentre parfaitement dans les termes de la disposition du paragraphe 1er de l'article 505.

Ce système, qui tend à ajouter la faute lourde au cas de dol, de fraude ou de concussion, avait été formellement consacré par un arrêt de la cour de cassation du 23 juillet 1806. Mais un arrêt plus récent, du 17 juillet 1832, a décidé le contraire. Quel est, de ces deux monuments de jurisprudence, celui qui fait une plus exacte application de la loi?

464. Pour décider cette question, qui ne laisse pas de présenter un grave intérêt, il convient de faire un retour sur ce qui se pratiquait, avant le Code de procédure. La volonté du législateur, éclairée par la doctrine et la pratique de ses devanciers, ressortira plus nette et plus claire. On jugera de ce qu'il a réellement fait par ce qu'il était en mesure de faire.

Or, l'édit de 1540 plaçait nommément au rang des causes autorisant la prise à partie l'erreur évidente du juge en fait et en droit. Mais quelle que fût l'élasticité de cette prescription, la pratique, cette pierre de touche des lois, ne tarda pas à la restreindre. C'est ce qu'attestent les jurisconsultes de l'époque.

Ce qui est certain, c'est que la répulsion que l'exécution littérale inspirait était telle, que l'ordonnance de 1579 n'osa pas la méconnaître. L'article 147 se borne à autoriser la prise à partie, si nos cours et tribunaux trouvent qu'il y ait faute manifeste du juge, pour laquelle il doive être condamné en son nom, et cela indėpendamment du dol, de la fraude, de la concussion.

Ainsi, l'erreur continua d'être une cause de prise à partie. Mais cette erreur dut constituer une faute évidente, jugée telle par les tribu

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naux, et de nature à faire condamner le juge en son nom; et encore ce mot faute avait-il été accepté comme emportant l'idée d'un fait volontaire qui empêchait de la confondre avec l'erreur simple. C'est ainsi que de nombreux arrêts avaient jugé que le magistrat qui avait prononcé contrairement aux lois et règlements, mais qui l'avait fait sans dol ni fraude, ne pouvait pas être pris à partie.

L'ordonnance de 1567, conçue cependant dans un esprit hostile à la magistrature, que la noble voix de Lamoignon fut impuissante à protéger, ne dispose, sur la faute du juge, autre chose que ce que renfermait déjà l'ordonnance de 1579. La pratique dut donc rester, et resta en effet, la même. On n'admit comme faute, autorisant la prise à partie, que la négligence AFFECTÉE et inexcusable 1.

Voilà le droit commun qui s'offrait au législateur au moment de la loi de brumaire an iv. Dès lors, les auteurs de cette loi étaient parfaitement en mesure de juger de ce qu'il convenait de faire; et si d'une part il est certain que la prise à partie ne peut être autorisée que dans les cas formellement prévus, ce qui a été admis sous toutes les législations; si d'un autre côté la faute du juge n'a plus été placée au rang des causes qui l'autorisent, ne faut il pas reconnaitre que le nouveau législateur a formellement répudié les errements de son prédécesseur?

Ainsi, le silence de la loi, imité plus tard par le Code de procédure, suffit pour enlever à l'opinion que nous combattons tout appui dans la lettre de cette loi; car ce qui est vrai aujourd'hui, à savoir que la faute lourde est assimilée au dol, ne l'était pas moins sous les ordonnances. Cette assimilation n'avait pas dès lors été jugée suffisante, puisque le législateur avait dù inscrire dans sa disposition la faute du magistrat. Cette même assimilation suffirait-elle aujourd'hui que notre Code n'a plus reproduit cette cause de prise à partie?

On pourrait le prétendre si cette suppression n'avait été que la conséquence de l'idée que la faute étant assimilée au dol, il était inutile de s'occuper de l'une, l'autre se trouvant formellement prévue. Mais il s'en faut que cette pensée ait été le mobile du législateur. On peut juger, par les paroles que nous avons empruntées, en commençant, à l'exposé des motifs du Code de procédure, que l'admission de la prise à partie n'a été consacrée qu'avec l'espérance qu'elle resterait comme une menace vaine, en présence du

1 Jousse, sur l'article 8, tit. Jer.

caractère si honorable de la magistrature française.

L'arrêt de la section civile du 17 juillet 1832, qui repousse la prise à partie pour la faute même grossière du magistrat, à qui on ne peut reprocher ni dol ni fraude, a donc fait une application rigoureusement exacte du texte de l'article 303 du Code de procédure.

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465. Cependant Chauveau, mettant cet arrêt en regard de celui de 1806, regrette ce changement de jurisprudence. «< Sans doute, dit-il, la faute grossière, la faute lourde ne devra pas être légèrement admise; mais il peut exister des fautes tellement grossières, qu'il soit impossible de ne pas les considérer comme un véritable dol, et dès lors une réparation devient nécessaire autant dans l'intérêt de la morale publique que dans celui de la justice: De la morale, parce qu'au lieu de compromettre la magistrature, cette réparation éclatante venge son honneur en ne tombant que sur le membre que son ignorance ou son improbité rend indigne de siéger dans son sein; de la justice, parce que la loi reconnaît elle-même que tout fait de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer 2. »

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466. Chauveau a tort, dans la forme, de placer sur la même ligne l'improbité et l'ignorance. Le juge qui se trompe par improbité ne commet pas seulement une faute lourde, il se rend coupable d'une véritable prévarication. Le principe de sa conduite résidera dans un sentiment de faveur, d'inimitié ou d'avidité, et, à ce titre, la prise à partie ne constitue plus que le juste châtiment de sa fraude.

Peut-on assimiler à ce juge le magistrat qui, n'ayant pas cessé d'être mù par la pensée du devoir, a eu cependant le malheur de se tromper? L'intelligence la plus noble, la plus élevée n'at-elle pas ses moments d'oubli, d'entraînement, d'erreurs? Et l'on punira, comme un malhonnête homme, celui qui a cédé malgré lui à l'infirmité de la nature humaine? Nous ne craignons pas de le dire un pareil système serait plus qu'une révoltante iniquité, il serait un véritable malheur social. Quel homme voudrait, à une pareille condition, aborder les fonctions de la magistrature?

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Nous l'avons déjà dit, le juge ne peut, ne doit répondre que de la droiture de ses intentions, que de la loyauté de sa conduite. Tant que sa volonté est demeurée pure, il est réellement irréprochable. Son erreur, quelque lourde qu'elle soit. n'est plus qu'un fait malheureux, fort re

2 Sur Carré, art. 505 du Code de proc.

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